Ecrits A.B.

André Benedetto, Ecrits

textes sélectionnés et « posés sur la toile » (expression de l’auteur) par lui même à partir de 1999

La révolte des personnages !

Les gares nouvelles, en particulier TGV, ont été paraît-il conçues et aménagées en courants d’air pour dissuader les sans-abri de s’y installer pour la nuit. On n’y rencontre pas non plus des employés. Il y a même des gares où on ne peut plus prendre de billet pour un train de nuit qu’avec une carte bancaire. Il n’y a plus personne.

Les gares sont vidées de leur personnel, les couloirs des métros, les couloirs des lycées de même, et depuis longtemps les bus ont perdu leur receveur. Le chauffeur au lieu de simplement conduire devient aussi l’encaisseur… Où est donc le propriétaire de ces lieux froids, lisses, vides et de plus en plus anonymes ? Où est donc le responsable, ou son représentant ? Nulle part ! Débandade générale ! Il y a en permanence vacance du pouvoir. La nature ayant horreur du vide, quelle bête va donc s’installer aux commandes.

Est-il tellement étonnant alors qu’il s’y passe des choses effrayantes dans ces lieux à l’abandon ?

Les labyrinthes de la nuit, et maintenant du jour, appartiennent aux minotaures. Ne vous étonnez plus de rien ! Même les scènes de théâtre sont vidées peu à peu de leurs intermittents, et n’était le sacrifice de ces articles au bien public, il n’y aurait déjà plus personne sur scène. Nous serions en danger…

Si l’hémorragie continue et s’aggrave, on ne pourra plus répondre de rien dans un avenir proche. Les passions se déchaîneront et plus personne ne sera à l’abri. Les personnages, ces entités étranges, plus réels qu’il ne paraît, errent dans l’ombre, frôlent les portes, se glissent par les interstices, gémissent dans tous les coins et se faufilent dans les corps.

Si on ne leur accorde pas leur quota nécessaire, leur tribut de chair humaine en actrices et en acteurs, ils vont se précipiter sur n’importe qui et posséder de l’intérieur nos personnalités publiques les plus importantes. Ca a d’ailleurs déjà commencé. Il suffit de voir le nombres de mauvaises affaires qui éclatent, et d’innocents transformés en victimes.

Nous seuls, actrices et acteurs, nous pouvons maîtriser ces monstres. Qu’on nous en donne les moyens, tout rentrera vite dans l’ordre.

TEMPS DE CRISE DE PRECARITE ET DE GROS PROFITS.

Tout semble bouger encore un peu, juste avant la pétrification générale dont je vous entretenais dans le dernier épisode.

Le statut d’être humain perd de plus en plus de sa valeur. Aussi bien dans la pratique des plans sociaux (sic), qui jette cyniquement des milliers d’hommes et de femmes à la rue, que sur les écrans (sic) où on assiste à la destruction froide et implacable, sans aucune hésitation de quantités considérables d’êtres humains comme si c’était des nuisibles !

La loi du plus fort inculquée d’heure en heure, nous secoue de plus en plus vivement toutes et tous, pour nous faire tenir debout et nous faire pousser des crocs et des griffes, quand on n’a pas été écrasé tout de suite.

Seuls, les plus forts, les plus vigoureux, les plus rapides seront épargnés…Un goût de mort pour les plus faibles et les moins vifs… Avoir survécu est une prouesse… L’élimination des faibles, des étourdis suit son cours… Ce prédateur joue le rôle de la nature qui élimine les faibles les imprudents les malades… La nature encore une fois va opérer sa sélection… Nous faisons partie des obstacles que la nature a mis sur leur chemin pour fortifier leur race…

A écouter ce commentaire, on se dit que ces pauvres saumons ne vivent que pour devenir un jour des vrais aryens : un interminable parcours du combattant. Et après les saumons, les milans noirs… Pareil !

Peut-être est-ce au nom de cet entraînement à la supériorité à venir que la démocratie tolère en son sein l’ennemi même de la démocratie au nom de la démocratie qui en sera peut-être amélioré ! Comme les saumons !

La république est devenue progressivement la monarchie avec son versailles et toute sa cour. La décentralisation reproduit le féodalisme et ses fiefs. Ils ont raison. Il n’y a ni coupables ni responsables. C’est un système qui tourne. Et qui rapporte !

Mais le fameux centralisme français se porte encore très bien ! Ainsi le projet culturel national semble bien d’implanter dans chaque petite ville un théâtre où tourneront des productions nationales ad hoc, mais où jamais ne seront montrées les productions ni des petites villes ni des régions elles-mêmes. Mais peut-être y-a-t-il des aspects positifs et joyeux dans cette situation… Dites-le ! Pauvres saumons !

Septembre 97.

SE DEPECHER DE NAITRE ET DEVENIR HUMAIN.

Mowgli élevé par les loups, Tarzan élevé par les singes, ces petits d’hommes deviennent – par la plume de leurs auteurs – des rois de la création. Mais peut-on dire que ce sont de belles histoires ? Ces enfants-là dans la réalité, élevés vraiment par des animaux, resteraient des enfants sauvages à mi-chemin de l’homme et de la bête. Il y a eu, il y a encore des exemples. Un humain ne devient humain, et n’apprend à parler et à rire qu’au contact des autres, des êtres humains. Privé de ce contact social, trop de facultés en lui ne s’animent pas. Il perd ses possibilités de développement. Il reste inachevé, définitivement. Peut-être que privés des contacts, des rencontres, des échanges nécessaires mais inconnus, nous restons toutes et tous en partie, pour une partie de nous même, des enfants sauvages qui auraient bien besoin d’activités d’éveil physiques, intellectuelles, artistiques pour s’épanouir pleinement ? Difficile à admettre ! Et pourtant ! Au siècle dernier, les chevaux que l’on descendait dans la mine pour les faire travailler, à force de vivre dans l’obscurité, devenaient aveugles. Nous, en quoi sommes-nous encore aveugles, et à quoi ? Par quel manque et à quoi devenons-nous aveugles, de quelle cécité ? Quelles sont les lumières dont nous sommes privés ? Car nous avons parfois l’impression nous aussi, que nos sens et que nos perceptions, que nos intelligences et que nos sensibilités restent en sommeil et se débattent dans des ténèbres profondes. Nous aspirons à plus de connaissance, d’aisance, et d’émancipation. Nous rêvons même de plus de conscience et même d’accéder à une hyper-conscience… Si nous sommes en ces moments-là en déficit d’humanité et si nous n’y prenons pas garde, nous devenons des proies faciles pour les sectes et pour tous les marchands d’illusions et de drogues. Comment et avec qui, par quels moyens et par quelles activités, pouvons-nous mieux nous humaniser clairement et ainsi nous émanciper les uns les autres ? 17.01.97

PEUT-ON CREER EN REGION ?

Au Carré d’art de Nimes le 20 décembre 98 avec Mutations nous avons débattu sur ce thème :  » Entre repli identitaire et étouffement provincial, peut-on créer en région ? « . Cette formulation ai-je dit, est l’expression-même du provincialisme inquiet et réducteur. Ne peut penser douloureusement ainsi qu’un provincial dans l’âme, quelqu’un qui se sent mal dans sa peau, là où il est, frustré, diminué, bougnoulisé, et qui voudrait être à la capitale ! Moi je n’ai pas besoin de ma rattacher à un centre quelconque, puisque je suis le centre même. Là où je suis, là est le centre, le centre de ma vie, le centre de ma création. Ici et maintenant toujours ça tourne autour de moi, comme ça tourne autour de n’importe qui. Car si nous ne sommes pas tous des centres, pourquoi sommes-nous tous réunis ? Il ne s’agit pas du tout d’être entre le repli identitaire et l’étouffement provincial mais d’être en même temps dans le repli identitaire et dans l’étouffement provincial. Et jusqu’au trognon pour pouvoir créer. Voyez un peu tous les grands qui se sont tripotés le repli et l’étouffement avec férocité et jubilation. Je formulerais la question d’une autre manière : dans un monde totalement dominé par la culture nord-américaine de masse et par microsoft, entre le repli frileux des diffuseurs de la culture sur un marché de plus en plus étroit, et l’étouffement régional exercé par beaucoup de petits marquis installés dans les nouveaux fiefs de la culture officielle d’état à la remorque des modes, peut-on créer en région ? Et je réponds sans hésiter : Oui ! Surtout si on vient d’ailleurs !

LA VRAIE VIE EST ICI DANS LA PERIPHERIE.

Etre là dans le monde et vivre la grande harmonie ( ou le grand désarroi ce qui revient au même) est-ce possible ? Oui. Il faut avoir la force de rester dans son trou et d’en faire le tour. Le visiter, le découvrir et l’explorer de fond en comble. Peu à peu on y prend plaisir. On ne peut en venir à bout. Ici sont la ressource, le sens, les choses et les gens, le bois dont on fait les flèches et les feux, l’eau, le vent, le soleil, le commencement et la fin, les pistes à ouvrir, les sons notes et onomatopées et les mots de toutes les langues pour tout dire. Tout bouge sous la main et attend de servir. S’ébrouer dans liberté, s’y étendre, s’y étaler, s’en nourrir et prendre l’éternité pour miroir. Cela veut dire de rester dans le mal-être, dans le tragique de la situation ! Et au lieu de fuis se dresser et regarder en face. Travailler pour soi-même. Brr ! A quoi bon fuir, se laisser emporter par la première tentation venue, choisir la réussite standard et devoir se plier, devenir un singe savant, un robot, un très obéissant, un zombie, l’ombre de quelqu’un, devoir se glisser dans une image préconçue, dans une idée, mettre un carcan et souffrir pour être belle… Difficile de lutter contre l’appel des sirènes et contre l’ordre de rentrer dans le rang. Oui difficile mais à quoi bon la guerre ? la provoque ? la rage ? le sectarisme ? l’autoréduction des têtes ? A quoi bon cette haine ? ce besoin de jouer les incompris et les vexés et devenir les injurieux les agressifs ? Est-ce pour exister ? Pour trouver des forces ? Pour quoi ? Il suffit d’être là et de nommer le monde. Faire sur place le tour de la question. Ne pas chercher plus loin que le bout de son nez. N’est-ce pas là un beau programme ? Choisir sa vie. Inventer un nouvel amour. Se noyer dans un verre d’eau. Se sauver là où on croit qu’on se perd. D’autres sages l’ont dit. Et puis toujours ceci : que l’obstacle devienne le passage ! Comme pour son canal Riquet fit de la Montagne Noire. On a d’abord bien de la difficulté à croire qu’il n’y a rien de bon à attendre ce qui paraît bon efficace moderne réussi ! Et pourtant…voici un très bon précepte pour vous :  » Agir en primitif et prévoir en stratège  » René Char pendant la Résistance. Pas d’autre solution que cet échec en permanence en apparence. Vivre l’ici et maintenant. Etre là dans le monde d’une harmonie possible. Il y a là toute la ressource nécessaire autour de nous. Est-ce possible encore de se sauver ainsi quand la maladie a gagné toute la planète ? Retour de Larrazet, le village du Tarn et Garonne où se poursuit la réflexion sur les identités communales.

AVIGNON CAPITALE.

Une spectatrice de passage me disait qu’au lieu de disperser ses efforts sur de multiples centres d’intérêts, Avignon devrait tout miser sur la culture qui est son principal atout. La question serait alors : Faut-il donc tout miser sur la culture ? La question suivante étant évidemment : Tout miser sur quelle culture ? Si bien sur l’on accepte l’idée qu’il y a plusieurs cultures, et si l’on arrive à les identifier et à les poser les unes à coté des autres à l’étalage ! Il y a d’abord et grosso modo la culture occitane de base (ou provençale) et la culture française. Le moins que l’on puisse dire est que ( matinées l’une et l’autre d’italien d’espagnol d’arabe…) elles ont entre elles deux des rapports très complexes depuis des siècles. Oui plus complexes qu’il n’y paraît à première vue. Ainsi certains Méridionaux qui parlent un francitan savoureux sont capables de vous dire qu’ils sont les seuls vrais français ! Et ajouter peut-être que le français qu’ils parlent est bien meilleur que celui des gens du nord. Le renversement de perspective mérite d’être notifié à tous les gens de courte-vue qui ont des certitudes néfastes comme à ceux qui sont dans la localité jusqu’à la moelle des os et qui aimeraient tellement être d’ailleurs parce qu’ils ont honte on se demande bien de quoi ! On en connaît hélas ! Surtout chez les cultivés ! Il y a toujours eu bien des malentendus. Il y en a encore beaucoup. Beaucoup plus sans doute qu’il n’y en eut naguère ! Il y a vingt ans par exemple du temps de La Madone des ordures, de Gaston Dominici et des  » Rescontres Occitans « . Depuis on a vu pire ! On ne peut pas dire qu’il faille tout miser sur la culture mais on peut affirmer qu’il faut miser gros sur les cultures, sur toutes celles qui prospèrent par ici : les autochtones, les allogènes, les disparates, les banlieusardes, les campagnardes, les centrevilardes et de quartiers…au lieu de réduire ipso facto la culturel au culturel bcbg si clean smart distinguished and so on ! Foin des frilosités. Là où nous sommes là est le centre. Le provincial est celui qui a honte de vivre en province. Il faut sortir de la pièce de Tchékov dans laquelle nous sommes englués avec ses gens autour de nous qui ne rêvent que de partir et vivre ailleurs et qu’il ne savent pas qu’il n’y a pas d’ailleurs et qui comme les Trois Sœurs perdues au fond de leur province russe ne cessent de gémir  » nous irons à Moscou ! Nous irons à Moscou !… Là où nous sommes est la capitale. Et si ses habitants vivent leur ville comme une capitale alors leur ville peut se dresser et discuter et débattre d’égale à égale avec les autres capitales du monde. Mais pour cela il faut avoir une certaine idée de soi de sa ville de sa culture de ses cultures… un certain sens au fond de notre dignité et de nos forces créatrices. Si on le dit pas un peu -oh juste un peu ! – qui le dira ?

FAIRE L’ANE POUR AVOIR LE SON

On sait que, comme la musique dans les films, le son monte à la télé avec les pubs. Le ton monte. C’est la voix de Big Brother qui se hausse pour mieux s’introduire dans toutes les têtes. Pour faire acheter toujours plus. Le son fait des ravages. Pas seulement dans les oreilles des utilisateurs de baladeurs mais aussi et surtout dans le mental de tout le monde. Et cela jusqu’au fond des jungles ! Le son a des effets insidieux. Il a beaucoup de part à l’aplatissement des idées, à la standardisation de la vie, au lavage permanent des cerveaux, à l’ennui… et cela de bien des manières. Il jouit d’un tel prestige qu’ils veulent tous avoir une sono même quand elle n’est pas nécessaire. J’ai vu un soir dans un petit théâtre un amateur prendre tant de plaisir à chanter micro à la main que j’ai compris qu’il se sentait vraiment branché avec les grands. Agrandi ! Grâce à … l’amplification ! De même que cet homme politique m’expliquant qu’avoir le micro en main est un grand réconfort pour l’orateur qui se raccroche à quelque chose ! Une prothèse ! Moi j’aurais cru que c’était plutôt la présence de l’auditoire et la nécessité du discours à faire qui procuraient le réconfort et qui donnaient les forces. Mais non ! Au fond la réunion et les idées tout cela lui importe peu, pourvu qu’il soit branché lui aussi avec les grands. Ils se tiennent au cordon ombilical de Big Brother. Ils se sentent comme tous les professionnels du son, ces maîtres des curseurs, des potards, tous -appendices et serviteurs zélés du Grand Frère – branché sur la puissance ! Ceux-là, les pros à casquettes longue visière et à rangers, à peine ont-ils fait les réglages (pour n’importe qui) qu’ils balancent plein pot dans les enceintes les mélopées du grand patron : leur confiture. J’ai vu un jour des danseuses laotiennes, des musicos turcs, des railleurs algériens, des poètes divers…. Faire toutes et tous leur prestation dans le dispositif des rockers qui passaient les derniers parce qu’ils étaient considérés comme les premiers ! Et tout cela dans une fête multi ou pluri culturelle ! Big Brother veille partout. Branchez-vous ! Il n’attend plus que vous ! Faites l’âne pour avoir du son !

COMME UN CHIEN PAS SAVANT.

Des gens vivants, en chair et en os, qui jouent réellement, qui représentent une action fictive du passé ou du présent, devant d’autres gens bien vivants, cela peut être le théâtre. Les bâtiments n’ont guère d’importance. Leur forme change avec les siècles, mais assez peu le principe même du théâtre : quelqu’un est là, quelqu’un arrive et joue. Les bâtiments, ils peuvent être utiles pour se mettre à l’abri, pour le travail quotidien et même pour les représentations, surtout si l’entrée est payante. Mais en fait, là où on joue c’est là qu’est le théâtre. Bien d’autres peuvent dire cela ! Surtout celles et ceux qui essaient de jouer, qui font tout ce qu’ils peuvent pour arriver à montrer quelque chose. Montrer bien sûr, pas démontrer. J’avais un chien étonnant. Il m’a souvent inspiré. Ainsi il m’a servi de modèle pour le chien des Eureupéens. Mais surtout pour le chien de Robespierre qui discutait avec son maître. Donc ce chien là qui parlait sans cesse, a toujours essayé de parler comme un homme. Je ne saurai dire si, du point de vue canin, il avait tort ou raison. Mais moi à le voir faire je me suis dit : c’est cela que doit faire l’acteur ! Essayer de parler ! En général on sait déjà parler, on sait trop bien. Et à si bien savoir on finit par ne plus rien dire. On est devenu chien savant. Dommage !

DE L’AUTRE CÔTE DE LA VITRE.

Dedans il y a un type pétrifié qui ressasse : Perdu ne sachant où aller, car je suis au cœur des ténèbres, des vagues panneaux apparaissent, des visages sourient, des personnages passent. Je les vois mais aucun ne parle, ni du geste ni de la voix. Ils apparaissent, disparaissent et puis réapparaissent plus loin comme s’ils se proposaient comme guides je ne sais pas. Des parents, des amis, des connaissances, des penseurs, des hommes d’actions …Mais qui suivre ? Vers qui aller, je ne sais plus du tout. Je n’ai plus de repère. Pas un seul signe clair. L’obscurité gagne sur tout. Bientôt on ne verra plus rien… Dehors y a un type gelé par le froid, aux portes de la barbarie, tribut payé mais à quels minotaures ? Homme faible croit-on mais c’est un homme fort, un homme qui se tient en dehors de l’espèce, dissident absolu qui a coupé les ponts. Toujours dans l’obscurité on devient aveugle. Toujours dans l’exclusion, on devient quoi ? Totalement démuni, n’a plus qu’une image intérieure de lui-même et se charge de la sauver. Sans logis dans les rues, il ne dit pas : Ote-toi de mon soleil ! Il dit : Je ne veux pas de ton soleil ! Suicidé de la société, ça fait honte mais c’est trop tard. Quand il refuse, c’est trop tard, nous ne pouvons plus rien pour lui. Et pour nous ? L’homme pétrifié dedans sait-il qu’il s’interroge encore grâce à l’homme pétrifié dehors qui veille aux frontières du froid ?

EXISTENCE-RESISTANCE.

J’emprunte cette expression à  » Ne pas plier  » Tout à vendre ! On liquide tout ! Les privatisations battent leur plein. Aujourd’hui les entreprises publiques. Demain les monuments les musées les châteaux. Ainsi Versailles de prestige et ses millions de visiteurs, coûte trop cher. Que dire alors de tout le reste ? Et de nous par exemple dans cette débandade, nous qu’il faut bien nourrir un peu jour après jour alors qu’une cassette vidéo ne demande qu’un peu de jus…

On sert à quoi ? Les intégristes de la rentabilité, plus efficaces que ceux des religions et des totalitarismes, sont à l’œuvre. Ils renouent avec la logique la plus obscure de l’histoire de l’occident, la sélection à mort. Ils retrouvent le grand souffle des années trente. Ils font leurs divers choix dans les populations. Ils prennent ce qui peut leur rapporter le plus. Les autres, ceux et celles qui restent, considérés comme inutiles, considérés comme déchets, au lieu de les brûler dans des grands fours, ce qui serait plus propre, ils les jettent aux ordures. Comme ça à même la rue. Et ils attendent que froid les achève. Ou simplement ils les renvoient chez eux, par milliers et milliers, stagner pourrir très lentement, désespérer surtout, ce qui est plus grave. Sans réfléchir aux conséquences.

Tous ces malheurs, et toute cette misère accumulée dans tous les coins, rendent cette société profondément malade. Malade comme un être qui néglige son corps et son esprit, qui vit dans son ordure, qui ne se lave plus, qui ne se soigne plus et qui peu à peu se dégrade et se couvre d’escarres, de plaies et de nécroses. Chaque rejeté, chaque abandonné, dans la rue ou dans sa maison, et par contagion chacun et chacune de nous est comme eux une petite partie visible de ce grand corps malade, et qui ne le sait pas. Les cancers les sidas les folies meurtrières et maintenant les encéphalites spongieuses devraient le mettre en garde. La terre même a des sursauts terribles et des vomissements ! Mais non il ne comprend pas les messages ce grand corps, et sur son dos les intégristes de la rentabilité continuent leurs méfaits. Font procréer les morts. Nourrissent les herbivores de viande. Inventent le protège-slip. Arrachent les yeux aux innocents pour les vendre à des vieux coupables. Suppriment l’eau de source aux fontaines gratuites.

Nous sommes tous atteints. Nous dégradons nos environnements. Nous polluons la terre, l’air et l’eau de nos déchets non biodégradables. Nous enlaidissons le monde. Grandes barges sur l’océan, énormes tas aux quatre coins, saloperies un peu partout, satellites dans le cosmos, nos ordures sillonnent les mondes. Il n’y a plus aucune barrières à l’infamie.

Et avec ça en plus, il n’y a pas de responsable en titre. L’anonymat prévaut. Ca ne dépend plus de personne, semble-t-il ! Ca peut continuer longtemps. Des civilisations ont prospéré sur des esclavages semblables. Et nous sommes tombés, à notre surprise, de l’eschatologie à la scatologie. C’est la cacophonie.

Les amuseurs et producteurs de rire et de dérision s’en donnent à cœur-joie d’anéantir la dignité humaine, heure après heure, systématiquement. Ceux qui ne rient pas avec eux, déjà effrayés par le silence éternel des espaces, se plongent dans les obscurités pour devenir aveugles et sourds, ou dans les documentaires animaliers pour essayer de retrouver en eux un peu de l’animal, et ainsi quelque secret ou truc de la loi du plus fort qui pourrait les aider, en leur donnant des crocs.

Nous dont le sens civique nous interdit de disparaître trop vite car nous ne voulons pas, en nous ratatinant aussi dans notre coin, contribuer à l’empuantissement général et porter tort à la santé de nos congénères, nous pouvons tenter de survivre, adhérer à la cause rentabiliste et nous mettre à son service, en collaborant au divertissement, et à la justification de la loi des profits, en faisant accepter le sacrifice aux faibles et aux non-rentables, en dénonçant les résistants et les suspects, etc… et ce faisant contribuer encore plus à la dégradation générale, et à cet empuantissement que nous ne voulons pas.

Que faire alors ? Si nous ne voulons ni disparaître ni participer au massacre, nous devons en premier lieu nous persuader qu’il n’y aura jamais des lendemains qui chantent et jamais de victoire, et en second nous interroger sérieusement sur le rôle que nous jouons ici et maintenant dans cette société ! Et en débattre ! Et nous préparer à nous battre ! Tous ensemble, tous ensemble, ouais ! Ou à quelques-uns uns seulement ? Mais lesquels ? Se battre ! Au nom de qui au nom de quoi ? Et contre qui et contre quoi ? Exactement ! Ca ne sera pas très facile ! Mais il le faut !

Je n’ai jamais trop su à quoi pouvait bien servir le théâtre. Maintenant je la sais : à repousser sans cesse cet enlaidissement absolu….

REPLIQUE DU SIECLE.

Je lui demande : – je joue où ? Il me dit :

Là ! En me montrant le sol. Alors moi :

Là ?

Oui ! Là !

Mais je ne peux pas jouer ce spectacle au sol devant des spectateurs tous assis sur des chaises.

Pourquoi donc ?

Au troisième rang ils ne verront plus rien !

C’est ce qu’on a prévu pour aujourd’hui !

Il faut vous dire que nous sommes au Salon des Auteurs de Théâtre de. Il n’est pas prévu de scène. Il semble acquis qu’un auteur de théâtre doive s’asseoir à une table là où on lui dit et lire sa pièce et se taire ! Mais cependant j’insiste :

En général vous le savez : soit l’acteur est sur une estrade soit le spectateur est sur un gradin, et…

Ne me faites pas de leçon ! s’étrangle-t-il. Et puis un théâtre on en a un. Venez donc voir un peu.

Il m’a montré son vrai théâtre et pour conclure l’entretien m’a fait cette réplique d’anthologie :

Si vous vouliez une scène il fallait le préciser sur la fiche technique !

C’est un directeur de théâtre. Il dispose d’un beau théâtre tout neuf. Et quand on vient jouer un spectacle chez lui, il faut lui préciser qu’on aura besoin d’une scène ! Génial non ?

Avril 95

PARFUMS BON MARCHE

Chez vous dit-il vous le savez on dit qu’il y a toujours un beau texte mais rarement de beaux décors. C’est vrai chez nous il n’y a pas de ces décors très chers qui imposent leur présence vulgaire comme des parfums bon marché. On ne fait pas de dépenses excessives.

Il ne nous viendrait même pas à l’idée de faire même au dixième un vrai cuirassé Potemkine ou autre boite de camembert ou quoi que se soit qui se prétende vrai et naturaliste et qui soit en quelque sorte du réalisme libéral.

Par contre il y a du décor. Du décor comme idée du décor comme outil du beau décor bien intégré sans prétentions. Et sans remonter à plus de deux ans, souvenez-vous du ballot du squat, du ballon d’Aguirre et de son costume évolutif, de l’arbre à tuyaux transparent de Grand-Vert.

Et puis de tout ce que vous pourrez voir ou revoir cet été : le minuscule pays des neiges de Louise, la valise de l’Eureupéen, et la grande table conviviale pour Eléments de Politesse Gourmande.

L’esthétique est la pointe avancée d’une éthique et pour faire des décors à la mesure de nos grandes faims et pas de nos misérables appétits de parvenus ce qui importe est l’idée simple qui puisse ouvrir des portes à l’imagination.

Avril 95

THEATRE ET CINEMA

Je n’ai pas d’expérience professionnelle réelle du cinéma, ni devant, ni derrière la caméra. Je n’en éprouve aucun manque. Mais j’ai plutôt tendance à parler du théâtre, de l’intérieur et du cinéma, de l’extérieur.Je sais qu’il existe une tendance déjà ancienne qui tend à transformer le théâtre en cinéma de la part de l’administration dans sa minière de plus en plus froide de recevoir le public, de la part du metteur en scène dans sa propension à la dépense grandiose et inutile mais surtout dans son désir de remplir le cadre de scène comme il remplirait l’écran.Bien que souveraine sur quelques grandes scènes, cette tendance reste très minoritaire et on peut encore distinguer nettement le théâtre du cinéma.Je vois d’un coté des représentations toutes uniques et données en nombre forcément limité d’un spectacle d’êtres vivants devant un public d’êtres vivants dont les réactions influent sur le spectacle en cours.De l’autre, je vois des images définitives projetées au cours de séances qui peuvent se répéter quasi indéfiniment sans que les réactions d ‘un public vivant puisent rien y changer.D’un coté je vois un acteur qui fait l’image et qui l’agrandit ou qui la réduit à sa convenance sous les yeux du public et qui, son personnage meurt, ressuscite toujours à la fin pour le salut.De l’autre je vois un metteur en scène qui peut faire à partir de ce qui se joue toutes les images qu’il veut sans que les acteurs n’interfèrent. Des acteurs qui, une fois morts, ne se relèvent jamais pour saluer !Au théâtre il est d’usage de tenir le spectateur au courant de ce qui se passe, un spectateur qui en sait d’ailleurs toujours plus que les personnages. On ne peut pas imaginer des spectateurs allant au théâtre pour découvrir le sort des Œdipe, Antigone, Hamlet , Rodrigue, Lorenzaccio, Cyrano, Vladimir et Estragon…Au cinéma par contre le spectateur ne veut pas connaître la fin avant d’entrer. On va le tenir en suspens le plus longtemps possible. On y tient le sens en haleine. C’est une forme d’érotisme, et même de terrorisme… La rétention du sens, comme celle dans laquelle pour s’évader dans le lyrisme les acteurs au théâtre ont tendance à se laisser aller, fait des ravages : Celui qui règne dans les cieux…De ce point de vue le cinéma reste au sol dans ses sabots, quoi que, la normalisation de l’accent…Bref !S’il s’agit de faire du cinéma avec du théâtre, j’imagine que c’est dans un souci d’efficacité, de rentabilité peut-être, de vulgarisation ?Voici la question que je me pose et que beaucoup de gens se posent sur le projet pédagogique : le petit nombre du théâtre peut-il devenir le grand nombre du cinéma sans qu’il y ait un changement qualitatif, sans qu’il y ait la perte de l’essentiel, à savoir l’acte théâtral ?J’en ai une autre de question, subsidiaire : dans quelle mesure le cinéma par son action sur l’imaginaire des peuples, peut-il avoir contribué à préparer les citoyens à accepter l’immense dérive des politiques ? 14.03.97.

LA PRATIQUE DE LA MUSIQUE.

Nous avons pratiqué la musique dans nos spectacles de bien des manières. Du clavecin trafiqué aux pierres frottées, du tambour malgache à la boite à rythmes, de la fanfare aux petits instruments, de l’enregistrement au direct. Surtout du direct et depuis très longtemps, et de moins en moins avec la sono.

Ne pas chercher avec des sons à faire joli ou à plaire selon des normes et des modes.

Plutôt un petit son en direct qu’un superbe effet enregistré qui demande un appareillage lourd et un spécialiste, et qui introduit forcément un autre univers dans l’univers en place. Aussi délicate à pratiquer la diffusion de musique enregistrée que la projection de diapositives.

Nous avons abandonné très vite le principe de la bande magnétique constituée d’un collage de tous les enregistrements nécessaires chacun avec son amorce et son temps précis de passage. Et le clac des débuts et des fins !

Nous avons préféré utiliser un quatre pistes synchrones sur lesquelles nous enregistrions quatre sons ou musiques différentes que nous diffusions selon les besoins plusieurs fois au cours du spectacle. Le magnétophone tournant en permanence, il suffit de pousser les curseurs.

C’est un peu long parfois à l’enregistrement mais on arrive à faire des longues variations intéressantes. Pas de la grande musique peut-être mais suffisantes pour nos besoins.

Certes on peut considérer que quatre sons ça fait très peu, de même que douze circuits d’éclairage mais on peut faire beaucoup de travail, et de qualité, avec des moyens techniques réduits.

Quand je dis que nous manquons de moyens, je ne pense qu’aux personnes, jamais au matériel. S’il y a quelqu’un pour remplir la fonction, il n’y a pas de problème !

On a aussi beaucoup utilisé les cassettes sur le même principe : une musique par cassette, et toujours du rab.

Mais ceci dit, cette méfiance affichée, moi j’aime bien les techniques sophistiquées ; je me souviens qu’au Théâtre de la Tempête il y avait des projecteurs orientables avec des télécommandes (à fil malheureusement) et qu’en 78 pour la Madone des Ordures, mon frère et moi à tour de rôle nous nous éclairions l’un l’autre et à vue pour nos entrées spectaculaires sur des cothurnes, à la Cartoucherie.

Autre exemple en 93 dans Nous les Eureupéens, j’ai commencé à me faire les éclairages en direct, oh très simple, avec la télécommande infrarouge. Ca allait bien avec le héros !

Ah oui la technique bien pensée permet des quantités de choses. En 68 dans Zone Rouge, au lieu de crier, je brandissais un petit magnéto qui criait à ma place. Une seule fois par représentation bien sûr. Pour se marrer !

Nous avons souvent pratiqué la fanfare, pendant quelques années. Ou bien des ensembles de cuivres ou de cordes, selon les spectacles. Très rarement avec des vrais musiciens, les acteurs assurant cette fonction.

Quand il y a des vrais musiciens sur la scène pendant le spectacle, ils n’ont pas du tout la même fonction que les acteurs jouant des instruments. C’est d’un usage moins courant parce que ça pose des problèmes d’argent, de disponibilité, et surtout de dramaturgie, car il ne s’agit pas que les musiciens ne soient là que pour l’accompagnement, la décoration, l’ambiance.

Parfois un seul musicien en scène : Marc Perrone pour Grand-Vert en 90, ou Sébastien Benedetto aux percussions pour Rigoberta en 96. Et avec Bernard Lubat surtout mais plutôt pour la poésie et autres textes…

Des accessoires comme chaînes, tubes, fouets, balises, etc… Peuvent servir aussi d’instruments de musique. Tout le monde en joue.

Nous utilisons beaucoup les petits instruments : pierre, claves et autres bois claqués, pipeaux, flûtes de toutes sortes, tambourins divers, à manche, basques, cloches, grelots, clochettes, moulins d’enfants, crécelles, harmonicas, raclette, râpes, cuillères, didjéridus ou substituts de tubes en carton, guimbardes, tuyaux sonores à faire tourner…

Cet apport musical minimal joue un grand rôle, comme rythme ou comme mélodie pour venir supporter, souligner, prolonger, perturber parfois, agrémenter … la musique des mots.

Mais cet apport doit-être absolument nécessaire. Lorsque l’adolescente de Fleur du Béton se sert d’un rythme enregistré sur un baladeur pour faire ses raps, on n’imagine guère autre chose, sinon un chœur de jeunes gens avec elle. Ce que nous avons réalisé une fois avec un stage de quatre jours. Le chœur est notre avenir.

Depuis peu j’ai découvert le chant qui sort du rythme que fait l’acteur avec ses mains avec ses pieds avec son corps, avec à peine une esquisse de mélodie. Alors on sent vraiment chanter le personnage, du plus profond. Mais il faut pour ce faire, que les actrices et les acteurs se lâchent de toutes leurs mains. Il le faut. Malgré la peur, avec la peur.

Avec Rigoberta, je me suis lâché, en me fondant sur le rythme donné par le percussionniste, je me suis lancé dans l’improvisation dansée et chantée. Ca fait un effet dans l’espace imaginaire équivalent à celui que produit l’improvisation verbale sur le corps. Il faudrait reprendre cela, et d’autres choses, mais quand ?

LUMIERISTE mon ami.

Cette page que je t’adresse est dédicacée aussi aux quelques éclairagistes qui se sont vraiment mis à notre service quand nous sommes arrivés chez eux et qui nous ont vraiment aidés dans notre misère au cours de toutes ces années. Car les plus compétents sont les plus serviables.

Et d’abord un bon lumiériste sait que les gens qui arrivent chez lui ne viennent pas pour l’embêter et lui causer du tort, mais pour y faire simplement leur travail pour lequel ils ont besoin de lui.

Ainsi toi pour suivre leur exemple, ne cherche pas d’abord à imposer ton autorité, ni à prouver ton originalité.

Oublie tout ce que tu crois être certain. N’étale pas des trucs des manies que tu considères peut-être à tort comme des connaissances et des certitudes, parce que tu es chez toi.

Ne considère pas le jeu d’orgues comme ton animal personnel de compagnie, mais comme un outil de travail. A une époque en certains lieux on ne pouvait pas y poser un doigt. Mais je crois que ça change un peu. Heureusement ;

Ecoute de qu’on te dit du spectacle et ce qu’on désire obtenir. Demande des précisions sur ces résultats qu’on attend et met ensuite tout ton savoir toute ta science toute ton intelligence toute ta sensibilité toute ton imagination pour trouver les solutions les plus simples et les plus élégantes.

C’est en te pliant aux exigences du spectacle, en essayant de réaliser au plus près ce qu’on te demande que tu feras œuvre de créateur, non en imposant « tes idées « . Car sans que tu t ‘en doutes, tes idées risquent de n’être souvent que les clichés à la mode du jour, qui nous font tellement de mal.

Je connais bien des lumières, des manières d’éclairer, qui nous maintiennent dans une obscurité pesante.

Plutôt n’utiliser qu’un seul projecteur si tu n’as que très peu de moyens, que d’essayer de singer les lumières en vogue, suspectes justement parce qu’elles sont en vogue. La médiocrité dominante.

Essaie de lire les lumières d’un spectacle comme si c’étaient des écritures et tu comprendras qu’elles en disent beaucoup plus que ce qu’on peut penser d’abord. Il y en a même qui disent le contraire exact de ce que disent le texte et la mise en scène.

Cependant si ce qu’elles disent te convient parfaitement, va dans leur sens. Sinon, fais autre chose. De toute façon : pense un peu.

Si des lumières sauvent un spectacle, c’est qu’il n’y avait pas grand chose à sauver.

Pendant le spectacle prends de bonnes habitudes : ne discute pas, ne fume pas, ne bois pas de bière, ne t’éclipse pas à la moindre occasion. Sois là complètement. Ou alors disparais.

Si tu ne te juges pas absolument nécessaire, qui le fera ?

Sauf pour un moment très court, choisis d’éclairer l’acteur plutôt que le mur. Même si cet effet te paraît porteur de beaucoup de sens, et de développements infinis, sache qu’il peut aussi provoquer des maux de tête. On veut voir et entendre, simplement !

Tu as un grand rôle à jouer : donner à voir, créer des ambiances, des univers, signaler des lieux, des personnes, des époques, des temps, dévoiler, trouer soudain la nuit, la faire tomber de mille manières, faire danser les lumières, etc… Ne gâche pas ce grand rôle.

En matière de son, il n’y a guère mieux que la voix sans apprêt, toute nue toute seule. En matières de lumières, vive la lumière du jour, du sud bien sûr, à midi en hiver, en peu plus tard en été, pour éclairer nos jeux.

Un soir j’en ai entendu un faire une conférence sur les éclairages sans parler du soleil. Etonnant n’est ce pas ?

14.04.96

SONORISTE mon fils.

Je veux te donner quelques conseils utiles afin que tu fasses bien ton métier, à la satisfaction générale. Je mets tout ça à la suite car il est difficile d’établir une hiérarchie.

Je commencerais cependant par une opinion inadmissible par tes futurs confrères. La voici : ce n’est pas le matériel qui fait la qualité, qui fait la différence, quoi qu’on en dise, c’est l’homme. Il faut l’admettre.

Rentre dans cette corporation par la compétence, et non part l’apparence. N’endosse pas un uniforme de commando. Il n‘y a pas de démonstration de force à faire. Il n’y a rien à conquérir, rien à imposer. Il n’y a qu’à faire ouïr, qu’à faire aimer.

Abstiens-toi de bière, de tabac blond…et brun, et toute autre dope. Aucun de ces produits ne contribue au génie. L’eau par contre favorise grandement l’inspiration. Tu peux en consommer des quantités.

Méfie-toi des modes sur les marques, sur les types de matériels, sur les prises, broches, fiches, câbles et autres connections, sur les gadgets, sur les effets spéciaux. Les modes passent mais les problèmes restent. Et j’en ai vu de très bien résolus avec des matériels démodés par des bonhommes hors d’âge.

Méfie-toi du clinquant, du tape à l’œil, du superflu. Ne frime pas. N’essaie pas d’épater la galerie. Fais ton travail avec tes oreilles, ta sensibilité, ta raison, ton intelligence et surtout le respect des autres.

Ne cherche pas à avoir raison tout de suite.

Le silence pendant le travail est meilleur pour la préparation du son que ses sempiternelles musiques d’autoroute qui envahissent les espaces comme si certains avaient peur de s’entendre penser. Car malgré tout ils pensent.

Au fait, y-a-t-il besoin d’une telle puissance sonore pour ce travail ? Tu crois ? un peu de marge en plus, oui mais…

Selon comment tu disposes les haut-parleurs, le résultat varie. Selon comment tu emploies les micros aussi.

Ainsi selon ce que devra faire l’acteur (car j’espère que tu sortiras un peu de ces circuits horriblement académiques du classique, du jazz, du rock, du rap… pour agir dans d’autres secteurs), selon donc ce qu’il devra faire, il parlera dans un micro posé devant lui sir un pied, ou qu’il tiendra à la main avec ou sans fil, ou qu’il portera en HF sur la poitrine, ou encore qui sera suspendu au-dessus de lui, etc…

Car en plus de la qualité du son à obtenir, il faut savoir quelle est l’image ainsi donnée qui correspond le mieux à ce qui doit être diffusé.

La sonorisation ne réduit jamais l’amplification. Il faut sortir du matraquage pour entrer dans le subtil. Et dans la dialectique.

Et s’il se trouve qu’il n’y ait pas besoin de micro, dis-le Voilà le point le plus délicat. Les micros isolent leur utilisateur. La liaison sociale change beaucoup. Prequ’automatiquement l’utilisateur se trouve branché, au moins dans sa tête, sur le grand réseau mondial de Big Brother. Il plonge dans les gargouillis du gros ventre comme dans une grotte profonde et s’y croit à l’abri le malheureux. Et ceux qui se servent d’un micro comme d’une prothèse, surtout les politique, ce qu’ils disent est-il fiable ?

Toi je t’en prie : n’abrutis pas le monde, écoute-le.

Et dis-toi bien que ce n’est pas parce que tu manipules le potentiomètre que tu as raison.

J’en ai tellement rencontré qui manipulaient ça comme des armes à feu. Et des tapis de bombes.

Je joins une feuille pour ton copain qui fait les lumières.

10.06.96

INTELLIGENCES MANUELLES.

Beaucoup d’intellectuels ne mesurent malheureusement pas à quel point les manuels, ceux qu’on appelle des manuels, ont des intelligences très performantes, d’une finesse parfois beaucoup plus pointue que celles de beaucoup d’intellectuels qui se prennent bien trop souvent pour des génies. Les électriciens, plombiers, menuisiers, maçons, mécaniciens, charpentiers, forgerons, chaudronniers, etc… quand ils font des créations ou plus souvent quand ils font des réparations sont confrontés à des situations toujours différentes les unes des autres. Car aucune réparation ne ressemble à la précédente.

Et ils sont obligés de résoudre les problèmes qui se posent à partir du cas devant lequel ils se trouvent. Ils ne sont pas là pour imprimer leur marque sur la chose mais pour la réparer, la rendre à elle-même, sans la transformer. Ils n’ont rien d’un enseignant qui veut à tout prix inculquer des notions étrangères à un élève. Et combien d’autres : bureaucrates, ingénieurs, etc… et architectes mêmes n’ont aucune notion des lois de la matière sinon de façon théorique et livresque, et ne rêvent que de la plier à leur volonté. Sans la connaître dans ses profondeurs.

D’immenses sommes de connaissances sont transmises oralement ans aucun support matériel. Mais ça ne fait pas partie de l’écrit donc ça n’existe tout simplement pas !

Les manuels travaillent, conçoivent presque toujours en volumes, dans l’espace. Leur représentation du monde est trois dimensions et ce qu’ils produisent est en permanence mis à l’épreuve du réel. Les effets sont immédiats ! Pour le paysan par contre les effets sont à plus longue échéance… D’ailleurs le paysan qui travaille dans le temps travaille aussi beaucoup dans l’espace. Et le plus souvent seul…

Les manuels ont souvent beaucoup d’humour, plutôt quand ils travaillent en ateliers. Il faudrait étudier l’influence de la solitude sur la conception du monde des artisans… et des paysans…

P.S. Un acteur est aussi un travailleur manuel qui travaille en trois dimensions et même en quatre.

LA REDUCTION DE L ‘ESPACE VITAL ET LE THEATRE-RESURRECTION.

Tant qu’il est jeune l’être humain est au monde, complètement, sans limite et sans tabou. Il respire la joie. Il joue dans tous les coins et se rit de n’importe quoi. Il va et sans retenue, il parle à n’importe qui dans la rue. Le monde entier est son espace.

Peu à peu on va lui apprendre à garder ses distances, à ne plus parler à personne, à se méfier. Ses jeux vont peu à peu se dérouler sur des terrains conformes toujours dans des lignes tracées et selon des règles très strictes. Ses déplacements vont se faire selon des horaires précis, dans des couloirs, entre des barrières, sur des chemins balisés immuables. Et sur des distances de plus en plus courtes, avec l’âge.

D’année en année, son espace va se rétrécir jusqu’à se réduire aux dimensions d’un cercueil. Car il est obligatoire à sa mort de l’enfermer dans un cercueil.

Et c’est alors une caisse de bois qu’on va jeter aux flammes, aux eaux ou à la terre. Et même après sa mort, si on l’a enterré, ses restes peuvent être réduits. On les mélangera à d’autres pour faire de la place dans le caveau de famille.

Le théâtre qui réincarne souvent les morts et qui les fait parler, est le seul art qui remette l’être humain dans l’espace total à n’importe quel âge de sa vie passée et lui redonne toutes les potentialités qu’il avait à sa naissance.

Ainsi, on voit bien que le théâtre, c’est vraiment la résurrection. Dommage qu’on ne ressuscite trop souvent que les mêmes, presque toujours les pires, les plus salauds, les plus beaux spécimens de la canaillerie humaine, les derniers des derniers ! Cela pour obéir à la promesse : les premiers seront les derniers et les derniers…

La question angoissante se pose alors de savoir si ces modèles au négatif, qu’on pourrait oublier tous en chœur si on voulait, mais dont on semble avoir un énorme besoin social, ne seraient pas depuis l’enfance les plus rebelles au rétrécissement prévu de l’espace vital ?

Dim 07.07.96

DES STARS DES STORES

Hier les acteurs jouaient de préférences les chefs de gangs. Aujourd’hui ils jouent tous un commissaire. Hier ils croyaient peut-être à la loi du plus fort. Ca leur plaisait de la faire triompher, d’êtres des malfaiteurs…Eux qui se croyaient tous des loups de La Fontaine qui voient la trace d’un collier et qui prennent leurs pattes à leur cou ! Ils ont fini par comprendre de quel côté s’exerce vraiment la loi du plus fort. Ils sont devenus des commissaires, autant dire des chiens de garde.

Hier les spectateurs et téléspectateurs voulaient voir des hors-la-loi des malins, des robins des bois. Ils avaient besoin d’aventures et de se faufiler dans des personnages plutôt sympas, même fripouilles. Aujourd’hui tous hors-la-loi, tous exclus peu à peu et jetés à la rue. Ils ont un grand besoin de sécurité. Ils veulent des commissaires à domicile qui les protègent. Alors ils ont moins peur. Ils se sentent moins seuls moins vulnérables. Ils ont toujours tort mais on n’y peut rien !

Les commissaires sont sur toutes les chaînes. Navarro, Rocca, Maigret, Cabrol, Goupil, Mangin, Paparef, Moulin, Cordier, Massard. Je dois en oublier. Tant pis. Ils se portent tous bien. Ils ont engraisser dans le crime. Ils font retraite dans la loi. Ils frisent tous la perfection humaine.

Neufs sur les dix sont des poids lourds, très enveloppés et bien franchouillards. Et jamais aucune distance dans le jeu. Oh oui je les connais. Je passe des heures en leur compagnie. Ils me foutent l’angoisse terrible. Je me regarde péricliter en eux et me réveiller chaque matin sous la forme d’une énorme vermine.

Dernièrement Marcel Bigeard sur Radio Notre-Dame disait que sa devise avait été : Croire-Oser ! qu’elle était maintenant : Etre-Durer ! Nous en sommes tous là : Avec nos bons gros commissaires de la police. Derrière nos portes blindées tenir encore un peu avant d’être jetés à la poubelle. Nous en Province on n’a guère de relations de haut niveau, on connaît surtout des intermittents de la Région qui vendent leur âme à la télé pour jouer les petits flics de service dans les commissariats…

décembre 94

UNE NOUVELLE ETONNANTE.

Ce n’est que le 11 octobre 1997 que nous avons appris de la bouche d’Astor qu’en 493 avant JC, les gouvernants d’Athènes avaient interdit la pièce Phrynicos sur la prise de Milet et décrété qu’à l’avenir aucun sujet d’actualité ne pourrait être traité par la tragédie.

Jusqu’aujourd’hui cette interdiction agit encore très efficacement, non plus pour des raisons politiques mais pour des raisons esthétiques, et de bienséance ! Etonnant !

Phrynicos sortit la tragédie du chœur et inventa le principe du masque et du costume dont se servait l’unique acteur. Eschyle inventa le deuxième acteur.

Plus tard les politiques interdirent même le chœur.

LE GRAND ART EST DE PLAIRE.

Malgré l’effort, le stress, l’excès, la pratique du sport a quelque chose de facile, d’apaisant de paisible ! Il y a toujours quelqu’un ou quelque chose à battre : des concurrents, des adversaires, des durées, des distances…

On connaît les enjeux, on connaît les limites. On sait clairement ce qu’il y a à faire, et le but à atteindre. Même si c’est très dur, c’est quand même très simple. Tu vois cette hauteur ? Tu dois sauter plus haut ! Tu vois cet adversaire ? Tu dois le battre ! Etc…

Les performances sont visibles, les résultats incontestables, et les records homologables. On établit le classement et on distribue les médailles.

Mais le théâtre ? Il n’y a aucun critère, ni aucune limite, ni aucune règle ! Il n’y a aucun premier prix qui fasse l’unanimité. Un autre aurait pu l’avoir !

L’acteur alors, quel défi peut-il se lancer ? Le grand art est de plaire ! Comment ? Jusqu’ici on ne sait pas trop !

JACQUELINE, BRIGITTE, MOI-MEME ET

Au centre du plateau tout seul ou toute seule, l’acteur l’actrice comme la conque et le totem qui parlent, comme le pivot, le nerf même, comme le prêtre halluciné, le jeteur de foudre et de sorts et le paratonnerre à la tête d’épingle, peut-être même ainsi que le voulait Artaud comme un supplicié qui fait des signes de là-haut. Plus souvent d’ailleurs qu’un prophète et proférateur, c’est un diseur d’inepties il faut l’admettre, car ils ont tous perdu la boule.

C’est l’acteur c’est l’actrice qui est au coeur de tout, de la tempête et de l’inondation, de la bataille, de l’émeute, de ‘l’incendie_ et qui, aveuglé titubant démâté, les prend malgré tout sur son dos et les porte en lieu sûr tous ces gens qui lui sont venus comme des fleurs de cataclysme, C’est Saint-Christophe le passeur et beaucoup ne se rendent compte de rien des profondeurs qui les habitent. Ils rient ils pleurent.

Et lui ou elle, il ne peut pas faire autrement que d’être là en qualité de personnage saisi, pris au piège, coincé avec quelque chose dedans ou sur les bras ou sur la tête, très visible et insupportable. Ca lui saute à la face, ça lui surgit tout à coup, ça sort de lui soudain, ça le pétrifie, ça le secoue fort, ça l’agite. Il s’en passerait bien de cela, l’acteur l’actrice, de servir de support alchimique à quelqu’un qui arrive d’ailleurs. Mais il ne peut. Il doit.

Et plus que c’est affreux et plus que c’est comique !

La fameuse définition du nô : Quelqu’un est là quelqu’un arrive, sous toutes ses formes possibles vous allez la voir avec nous. Ca arrive à quelqu’un oh oui! Ca lui arrive dedans ou ça lui arrive devant. Ca lui arrive, Alors le voyage commence avec Jacqueline, avec Brigitte, avec moi-même et bien sur avec tous les autres, sur toutes les scènes du monde.

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André Benedetto, Ecrits II

textes sélectionnés et « posés sur la toile » (expression de l’auteur) par lui même à partir de 1999

JE NE SUIS PAS METTEUR EN SCENE

On me classe souvent dans la catégorie « Metteurs en scène « . J’ai mis longtemps à comprendre que c’était dans une bonne et flatteuse intention. On veut ainsi me faire honneur, me semble t-il, me montrer qu’on estime que je vaux quelque chose. Car « Metteur en scène  » ça pose quelqu’un, je suppose.

Ca renvoie au cinéma et donc au monde entier, aux stars, etc… Ca situe un individu au meilleur rang de la société, beaucoup mieux que peintre ou poète, parmi les nouveaux prêtres avec les scientifiques et les animateurs de télé. Mais moi fondamentalement je ne suis pas metteur en scène, je suis auteur-acteur, ou bien dramaturge-poète.

Certes je monte des pièces avec des collaborateurs, avec lesquels, du plateau même je coordonne plus ou moins la circulation des personnages dans l’espace. Allant parfois regarder ce que ça donne de la salle. Mais c’est surtout sur la scène que ça se cherche, que ça se règle. Il y a belle lurette que je ne me suis plus amusé à tracer des itinéraires sur des feuilles.

Acteur parmi d’autres actrices et acteurs, c’est surtout leur travail qui m’intéresse. Ils ne sont pas pour moi des pions qu’on déplace dans un espace mais des explorateurs de l’espace et du temps, des trafiquants de leur corps et de leur voix, les véritables créateurs de théâtre dans le moment ultime : la représentation. C’est l’acteur qui produit l’image, pas le metteur en scène, lui qui donne les dimensions de ce qui se passe, tous les prolongements.

Non-non ils ne sont pas en scène pour incarner mes idées ni pour réaliser mes images, mais pour jouer avec mes personnages. Et pour cela il faut d’abord qu’ils soient au centre d’eux-mêmes, et puis qu’ils ne s’évadent pas dans le joli lyrisme cucul qui nous accable sur toutes les scènes.

Ferme la phrase, ferme le sens pour ouvrir l’imaginaire ! Ne tiens pas le sens en suspens et les spectateurs en otage de tes intonations ! Si l’auteur écrit en vers, ne les transforme pas en prose. Que tes alexandrins conservent douze pieds. Tout doit faire image. Image après image, sans aucune démonstration d’aucune sorte. Et puis respire…

Sur le plateau on fait tout ça dans la pratique, dans la matière, en chair et en os dans le temps, comme ça vient. Et parfois c’est très long pour se faire comprendre. Et moi j’ai plus confiance en eux qu’ils n’ont confiance en eux-mêmes car on leur a inculqué qu’ils ne sont que des interprètes, les malheureux et ils le croient ! De même qu’on a inculqué aux techniciens qu’ils ne sont que des exécutants dociles. Et on voit le résultat de ce mépris dans plus d’un théâtre. Hélas !

23.01.98

APPLAUDISSEMENTS.

A la fin des représentations, on voit assez souvent pendant les applaudissements, quelqu’un de la distribution qui montre de la main la régie, dans le but semble-t-il louable de faire partager les applaudissements aux techniciens sans lesquels, souvent, le spectacle ne pourrait se faire.

Personnellement je n’ai jamais ainsi montré la régie non pas pour garder tout pour moi mais parce que je n’ai rien à partager. Ca leur fait plaisir d’applaudir aux spectateurs. Moi sans enthousiasme mais avec le sourire, je me prête à ce jeu convenu du salut. Mais les applaudissements, je crois que ce ne sont pas des choses qu’on me donne, à moi et aux autres sur le plateau. Je n’en dispose pas !

Les applaudissements à la fin du spectacle sont un rituel et ne me concernent plus moi directement. Ah s’ils intervenaient dans le cours de la représentation, surtout quand je joue seul, là oui j’apprécierais les encouragements, les appréciations flatteuses, les exclamations étonnées. Comme pendant une épreuve sportive, j’aimerais bien parfois entendre les bravos, vas-y, allez, c’est bien, en avant, ouais ! Ca me propulserait très loin. Mais à la fin, les jeux sont faits, ça ne sert plus à rien.

Ils tapent des mains pour en finir tout simplement ! J’ai l’impression qu’ils chassent les démons, comme dit la vieille dame anonyme ! C’est très juste, tout à fait ça, elle a raison ! Ce ne sont pas les acteurs et les actrices qui crient en tapant dans les mains : on ferme ! Non ! Mais les spectateurs, les spectatrices qui se déchaînent comme s’ils gueulaient : Assez ! assez ! assez ! Et plus ils ont été touchés, plus ils tapent ! Comme s’ils voulaient échapper à des pinces gluantes ! Chassant les bestioles et après ouf, sauvés !

Ils ont renvoyé le théâtre dans sa tanière. Et c’est qui, c’est quoi le théâtre, on ne sait pas ! Naguère, il y avait un roulement suivi des trois coups pour annoncer une entrée solennelle, celle du théâtre bien sûr que personne ne sait ce que c’est mais ça arrive au beau milieu et ça commence à se développer comme un cancer.

Et bien sûr aussi à la fin quand ce théâtre n’a montré que le bout de son nez, quand ça n’a pas été très bon, ils n’ont pas besoin de se décarcasser pour le repousser. Il s’en va presque de lui-même et honteux ! Ne se trompent-ils donc jamais les spectateurs ?

Ven 19.07.96

RIGOBERTA SANS FILET.

Hier soir à cause d’une trop longue et très pénible discussion avec un groupe de jeunes, petits bourgeois, destinés paraît-il à la fonction d’animateurs de banlieue peut-être (il n’y avait ni beur ni black !) et que Fleur du Béton qu’ils avaient bien aimé avait tout de même bien secoués, je n’ai pas pu faire mon filage ultra rapide de quarante minutes, et j’ai joué Rigoberta sans aucune préparation. J’ai même oublié de me maquiller ! C’est incroyable et pourtant ça arrive.

A quelque chose malheur est bon. Tout c’est bien passé pour Rigoberta Met les Voiles, et sans l’avoir décidé, j’ai donc passé ainsi une étape importante et seulement à la 22 ou 23ème représentation de cette pièce qui reste une grande épreuve physique et mentale, difficile à analyser. C’est tellement pire que pour Xerxes par exemple que ça ne me donne même plus envie de dormir avant de jouer, comme ça me prenait à l’époque, il va y avoir trente ans.

A jouer simultanément les deux rôles de l’homme et de la femme, je change de registre vocal et gestuel en permanence. Ce qui fait que je suis dans un état d’incertitude, de non-fixation de quoi que ce soit, continuellement. Des possibilités nouvelles de jeux, des gestes, d’intonations, de variations, de mouvements, de pas de danses, de notes et de vocalises ne cessent de me venir dans le corps et dans la bouche.

Je suis dans l’inverse exact de Nous les Eureupéens où la nécessité de l’improvisation verbale me contraignait, presque malgré moi à un jeu assez bien défini confinant au par-cœur, et n’autorisant au fond presqu’aucune fantaisie, comme s’il pouvait ne pas s’en permettre, comme s’il y avait risque que la fantaisie gênât la création verbale. La tension créatrice de l’improvisation produisant une espèce de tétanie du corps qui pourrait aller jusqu’à la rigidité cadavérique pour laisser passage total à la voix seule ! J’exagère ! Et pourtant…

Oui avec Rigoberta Met les Voiles, c’est l’inverse, le texte s’est fixé peu à peu, mais pas encore définitivement. J’ai accumulé les versions successives avec des variations souvent minimes. J’approche peu à peu le mot à mot impeccable mais il se produit encore et toujours des distorsions à cause des variations et des vibrations corporelles, vocales et buccales qui, elles, ne sont pas du tout fixées. Et je constate que l’interaction de l’invention corporelle sur le texte est beaucoup plus importante que celle de l’invention verbale sur le corps ! C’est ce qu’il me semble pour le moment. Je suis en travail dans ce spectacle comme jamais encore avec aucun autre.

Depuis la reprise de cet été, Sébastien m’accompagne au petit tam-tam pour les trois chants : le personnage sud-américain de Rigoberta, le blues afro-américain de la fille de la rue, le final maghrébin de Leila, et bientôt pour un quatrième, la farandole de la peur. Ces agréments rythmiques nouveaux enrichissent beaucoup le spectacle par des prolongements culturels issus d’autres civilisations et introduisent ainsi des belles respirations.

Il y a toujours le risque que cette richesse développée par le rythme ne limite ma propre expression chantée. J’ai ressentie ce risque avant-hier mais hier le sachant je me suis restitué convenablement dans la partition. De toutes manière je n’écrirai pas de mélodie définitive. Bien que cette certitude soit une gageure, il me paraît nécessaire de ne fixer aucun pas ni aucune note. Ca ne facilite peut-être pas le succès immédiat mais tant pis !

Il faudrait dire aux spectateurs avant de commencer que même s’ils ne sont pas nombreux, cela n’est pas grave, que l’acteur et le musicien n’en souffrent pas particulièrement. Ils font leur travail et ils sont bien contents que quelques personnes viennent et leur permettent de le faire. Le nombre là ne fait rien à l’affaire. Le seul impératif est que cela se fasse ! S’il ne le fallait pas impérativement, et je ne sais pas pourquoi, je m’en passerais bien. J’écris cela en ce moment sous la seule emprise de la stupéfaction.

Je sais combien ce la peut paraître absurde mais je suis prêt à jouer chaque soir quel que soit le nombre de gens dans la salle, et même pour un seul s’il ne s’en trouve qu’un seul à venir. Qu’un seul soit là et le théâtre est sauvé. La rentabilité du théâtre, de la fonction du théâtre est assurée. Parce que ce qu’il faudrait prendre en compte, e sont tous les autres autour qui ne viendront jamais mais qui savent que ça se fait ! Et que si le théâtre se fait effectivement en chair et en os, grandeur nature, ça veut dire qu’il se fera… sinon il meurt !

S’il y an dix, s’il n’y en a que dix comme on dit, et qu’ils restent jusqu’au bout, ça vaut mieux que s’il y ne mille et qu’il en part des dizaines et des dizaines, et des centaines, comme ça se voit ailleurs de plus en plus ! Car les dix pèseront plus lourd que les mille. Comme disait le Duc de Rohan aux protestants en résistance contre les armées de Richelieu : trois résolus valent mieux que trente éperdus !

Dim,14.07.96

LE JOUR OU JE ME SUIS INSTALLE A LA PRESIDENCE.

La genèse de la pièce, les personnages.

En ces temps de crise, les rapports de l’élu et de l’électeur, bien qu’ils soient restés ce qu’ils étaient sont en même temps devenus de plus en plus ambigus et contradictoires. Aujourd’hui, dans ce monde dit moderne, même s’il ne peut pas être remis en question, le principe de représentativité nous interroge !

Le protagoniste, un élu.

Dans cette pièce donc : le jour où je me suis installé à la présidence, il ne s’agit absolument pas de chercher un bouc émissaire, de désigner un responsable unique, de porter à la scène un personnage particulier, de faire la caricature de tel ou tel de nos élus passés ou présents et de se défouler sur son dos. Pas du tout !

Il s’agit plutôt de montrer un élu, un homme en mouvement par rapport aux autres hommes et en l’occurrence par rapport à un seul homme qui les représente tous, encore plus représentatif peut-être que le président lui-même !

Quelqu’un est là, quelqu’un arrive.

Le Président élu par sa majorité représente tout le pays. Il arrive au palais et tombe sur un Intendant qui est de son propre parti et qui d’une certaine manière, du point de vue dramatique, va représenter tous les électeurs ! Le Président élu par tous se retrouve seul face à un électeur, face à un Intendant élu par personne mais qui représente tous.

Le théâtre opère le renversement absolu nécessaire. Sur la scène, sous nos yeux, le représentant, l’élu se retrouve un simple individu, et le simple individu, l’électeur, se retrouve représentant de tous ses semblables et d’abord des spectateurs. Mais cela qui m’apparaît si clairement aujourd’hui n’a pas été si facile ni très rapide à découvrir.

Pour la Présidence, il fallait opposer un personnage qui soit à la hauteur, mu par autre chose qu’un intérêt tout personnel. Il a fini par apparaître. C’est l’Intendant en place au palais présidentiel. L’élu émoulu arrive, tout neuf dans sa fonction. C’est lui qui arrive. Et il va se trouver confronté à quelqu’un qui est déjà sur place, qui accueille, qui a de l’expérience. Il est la référence, le point fixe, le paramètre.

Le deuteragoniste : un électeur.

Mais au risque que la confrontation ne tourne court, il ne peut pas être un ennemi, ni un adversaire, ni un opposant, ni même un contestataire. Mais un partisan ! Car s’ils n’ont rien de profond en commun ces deux-là, où se situera le conflit digne d’intérêt. Je suis en train de traduire là en clair une recherche qui se fait plutôt de manière empirique, tactile, tout un jeu d’appréciations, de pesées apparemment irrationnelles… Ce se sent plus que ça ne se réduit rationnellement.

L’Intendant sera donc du même parti, ou de la même sensibilité que le président, c’est vraisemblable. Un personnage de la base, naïf, crédule, croyant, respectueux, impressionné, dévoué, etc… comme nous tous. Son candidat a été élu, il se sent lui aussi élu, choisi par le destin. Peut-être pas lui personnellement mais ses idées et ses espoirs. Il incarne tout l’électorat qui croit avoir gagné, sans savoir exactement quoi, sinon la quasi certitude d’un changement.

Plein d’illusions, extrêmement banal, pétri d’honnêteté et de dévotion, il va être surpris, puis étonné, puis interloqué, puis indigné, puis ulcéré par les paroles et les actes du Président qui n’a d’ailleurs rien d’un monstre mais qui dépasse quelques bornes et provoque peu à peu la grande déception, et puis la colère finale de l’Intendant.

Ne cherchez pas le modèle de ce président.

L’intérêt de la pièce est là, dans cette confrontation, dans la tension progressive des rapports entre les deux personnages qui nous représentent tous les deux, et qui nous sont très proches. L’un comme l’élu, l’autre comme porte-parole informel ; Deux personnages de fiction pure issus d’une dure réalité. L’Intendant est un anonyme. Le Président n’a pas de modèle officiel. Il y en a des dizaines et des centaines. S’il n’avait qu’un seul modèle, ce serait une caricature, ce ne serait qu’un cas parmi d’autres. Or ce n’est pas un cas particulier, c’est un mal général, et plus répandu qu’on ne croit…

Jeudi 3.07.97

UNE CABANE DANS UNE IMMENSITE

Note complémentaire sur le décor en général et sur la vastitude en particulier.

Devant le projet de jouer à la Cave-Poésie de Toulouse, en espace assez réduit, j’ai douté de l’opportunité d’y jouer Fleur du Béton qui se passe dans un grand immeuble. Et j’ai cherché un thème à peu de personnages, qui irait bien dans cette cave : un fou, un prisonnier, un mort dans une morgue, un traqué, etc… Et puis je me suis souvenu que sous le titre de l’Ermite, j’avais pris il y a bien longtemps quelques notes pour une pièce avec deux personnages. ‘est finalement ce thème que j’ai décidé de traiter.

Au cours d’une randonnée, une adolescente des banlieues, une sorte aussi de fleur du béton, tombe par hasard dur un type qui vient de fuir le monde et qui ne veut plus voir personne. Une espèce de phénomène pour cette jeune fille, ébahie par sa découverte ! La scène se passe dans un coin perdu : cabane ; abri sous roche, grotte, ancien blockhaus, crypte, souterrain, vieilles ruines…

La pièce écrite, Le Solitaire et la Curieuse, ou encore Tentatrice, bien qu’elle soit assez bonne et amusante, il ne m’a soudain plus paru convenable de la créer là-bas, dans la Cave-Poésie. Il m’a semblé que l’exiguïté des lieux risquait de peser sur la pièce, de l’étouffer et de la réduire à son sens le plus étriqué, minable, misérable, et en somme : petit-bourgeois !

Le solitaire souffre du monde entier, accablement existentiel qu’il faut bien percevoir autrement que dans ses mots. De son coté, l’adolescente apporte tout un monde avec elle. Elle le ré-injecte dans ce trou noir, dans cette tombe. Et elle l’illumine… Comment tout cela peut-il cohabiter entre quatre murs comme d’une prison ? Comment l’enjeu peut-il apparaître ?

D’où mon hésitation à y jouer aussi Rigoberta. Une impasse dans une cave, un cul de sac, ça ne va pas. Dans un cul de sac, il vaut sans doute mieux représenter un grand carrefour et vice-versa.

Tout au contraire, imaginons une minuscule cabane sur une immense scène. Car en fait, nous avons toujours besoin de beaucoup d’espace pour jouer.

Ah oui une petite cabane sur une immense scène ! Ainsi ce fut un grand plaisir de jouer en espace réduit, même Acteur-Loup, sur la grande scène de Vitry. Il suffit de délimiter une aire de jeu au milieu de l’immensité qui reste visible et qu’on peut utiliser quand on veut.

Le problème des dimensions sur grand plateau ne se pose que si on veut l’occuper totalement, que si on veut en faire une scène, un lieu complet dans son ensemble, tout l’habiller, tout le transformer, comme à l’Opéra ! Mais si on le prend simplement comme un plateau sur lequel on présente un univers, vaste ou réduit à l’aide de quelques éléments significatifs, il n’y a plus de problème, au contraire !

Ainsi donc il y a au milieu d’une immensité, une cabane, un coin de ruines, un replis minuscule. L’adolescente vient de loin, voit cet objet, s’approche, très intriguée, l’examine, en fait par ruse sortir le solitaire, l’observe de loin et tourne autour de lui… Et sa situation se met en question tout de suite !

A l’inverse supposons que la scène dans son ensemble représente l’abri du solitaire. Quelle soudaine réduction de sens ! Au lieu d’une coquille perdue dans le monde, et pourquoi, on a une tentative de faire entrer plusieurs mondes dans une seule petite coquille. Tous les gestes tous les rapports sociaux paraissent déjà préétablis, et pesant.

Non cette cave ne peut pas être tout entière le refuge, l’abri, la niche du solitaire. Par contre, si on oublie ce qu’elle est et ses petites dimensions, elle peut contenir une niche, proportionnée à l’espace total ! Finalement je crois qu’il vaut mieux y donner Fleur du Béton. Tout se passe autour de quelques boîtes aux lettres, et très étroitement en deux personnes. Les dimensions réelles ne font rien à l’affaire…

Dim,16.06.96

MOLIERE AU CŒUR.

Ah non ce n’est pas une anthologie des belles grandes uniques inimitables scènes du plus grand homme de théâtre.

Ah non ce n’est pas une nouvelle vie passionnée de M. Ses amours malheureuses ses démêlés avec les dévots et les médecins.

Ah non ce n’est pas une quelconque plaidoirie, une invocation à l’intercesseur, un appel à Louis XIV, ou un banal transfert de personnalité.

C’est une pièce originale oui. Et du point de vue de la scène et du point de vue de l’auteur que tout s’ordonne. Il y a un homme au milieu de la scène. On ne sait pas pourquoi. Il ne sait pas pourquoi. Il s’y trouve. Il doit d’y trouver. Il ne peut pas faire autrement que d’être là. Et y étant il doit attirer l’attention la retenir. Et pour cela alimenter la scène, dynamiser l’espace, faire feu de tout bois pour alimenter la machine. Cette grande gueule ouverte.

Acteur-auteur a brûlé sur les planches, s’est consumé, s’est consommé. A t-il déversé sa vie sur la scène ? Ce qu’on sait ce qu’il est sûr, c’est que ses créations se sont déversées dans sa vie, vases communicants. Imbrications. Complications. Difficultés. Souffrances et ne reculant devant rien s’est trouvé au pied du bûcher. L’a évité. Ont fini par avoir sa peau. Trop tard quand même. Avait tellement donné sur le théâtre. Et nous rester là avec lui. Demeurer au cœur de l’action et tentative de jeu de mots dans le titre avec le cœur traversé par le théâtre évidemment il faut voir Molière aucteur un mot seul mot qui dit tout n’existe pas encore. Qui contient tout.

Un type se démène sur une scène, petit insecte noir dans un champ de dorures. Bien des plans sont possibles. Bien d’autres images. Se tenir à cet axe à cet axteur, au ras du plateau, avec lui de son point de vue. En prenant l’itinéraire des rôles principaux qu’il s’est écrit pour lui-même sur mesure.

Seuls les spectateurs et les spectatrices pourront voir ce qui se dégage…

Quand la méthode ça consiste à tout lire et relire et tout connaître. Quand on plonge et quand on replonge comme dans l’océan c’est le vertige. On se noie dans tant de beautés tant de richesses. Les idées faites volent en éclats et en bulles. Plus rien ne reste. On coule dans l’immensité insondable. On se trouve glissant au fond perdu au milieu des ces paysages perspectives à l’infini. On part à la dérive et puis on refait lentement surface.

Alors asphyxié exténué et ivre on fait la planche, on regarde le ciel et mollement bercé, ayant ressenti chaque vague connue chaque goutte d’eau par son nom, rencontré chaque poisson, dialogué avec chaque algue, chanté avec chaque oiseau, sommeillé avec chaque rêve, et joué avec chaque jeu du langage en travail, du théâtre dans le théâtre, de la réalité aux prises avec la fiction, alors oui tout s’apaise on peut tout oublier et on refait tout de mémoire avec ce qui flotte dans l’air depuis des siècles et dans les eaux des souvenirs. On pousse hardiment l’imprévu. On laisse divaguer les imaginations.

Dans le prochain numéro le centième qui ne sera expédié que sur commande, nous publierons le texte du spectacle Molière au Cœur et avec la première biographie de Lagrange et Vivot, quelques études sur ces thèmes évoqués : le langage en travail, le théâtre dans le théâtre, l’auto-célébration en scène, et même la présence de Molière à Avignon que nous évoquerons spectaculairement dans les rues au début de mars.

LA DANSE DES VIVANTS

Comme quelques autres, nous avons été durement frappés dans nos subventions au cours des trois dernières années. Et voilà que nous sommes encore vivants! Ca coûte cher oh oui, de survivre aux mauvais traitements, mais ça réconforte beaucoup de rester libre. En même temps ce qui amuse c’est que les plus riches ne font pas mieux en art, sauf en esbroufe. Et ce qui réjouit surtout est de constater qu’au moment où on veut nous faire disparaître, voici que d’autres indépendants, des jeunes troupes ne cessent pas de naître et de s’affirmer! Voir ce qui se fait dans le off… Ca résiste beaucoup à la loi du plus fort, du profit et du prix fort. Les normalisateurs n’en finiront jamais. Ils en auront toujours encore un à abattre et parfois même devant son propre fils. Car malheureux, ils n’arrivent pas à contraindre et esclavager tout le monde. Réjouissons-nous en pensant à cette victoire quotidienne que nous remportons sur le profit. Mettons-nous à la place des nantis, des puissants, des maîtres du monde! Imaginons quelle sorte de rage froide ils peuvent avoir, eux qui ont tout, à ne pas pouvoir clouer le bec à tout le monde, à ne pas pouvoir licencier encore plus plus, à ne pas pouvoir tout nettoyer et racler jusqu’à l’os, et liquider tout le théâtre! Il y a des résistants partout. Ils ne se connaissent pas et sans le savoir ils se tiennent par la main dans une immense solidarité contre le rouleau compresseur qui ouvre la marche au progrès sur le corps de l’humanité. Tout acte de résistance si infime soit-il s’inscrit dans cette grande résistance au jour le jour, et retarde l’apocalypse qu’on finira par arrêter juste à la dernière seconde! On peut sans hésiter danser la danse des vivants et se marrer jusqu’aux étoiles! Et se faire chaque matin un bal du 14 juillet à la guimbarde et un feu d’artifice avec des allumettes. C’est la fête!

André Benedetto

LE PARTAGE DE LA DOULEUR

Quand quelqu’un souffre et qu’il gémit, ses plaintes ont sans doute plusieurs fonctions. Elles sont un ensemble de messages lancés vers l’extérieur: appel à l’aide, avertissement, signal de prudence et mise en garde, balise de détresse pour détection par les services de secours, signal sonore espèce de sonar pour autorepérage par le malade de sa situation dans le monde, signe de reconnaissance en direction de la communauté des souffrants pour reconnaissance réciproque et solidarité… Les plaintes sont aussi un ensemble de tentatives pour apaiser les douleurs par mélopée, psalmodie, bercement et recherche de léthargie afin de transformer le lieu de ces douleurs en centre de diffusion de substances lénitives, et peut être un moyen de les évacuer en partie à l’extérieur du corps par l’émission d’ondes sonores qui se glissent dans la respiration qu’elles mettent ainsi en relief. Le souffle emporte des particules de souffrance… Dans ces annihilations et dans ces évacuations des douleurs, il doit y avoir bien des réactions chimiques subtiles et complexes, et encore inconnues, produites par ces plaintes et ces gémissements. Ainsi qu’au cours de ces rencontres qu’on pourrait appeler le partage de la douleur. Ils se jettent dans les bras les uns des autres et ils pleurent ensemble pour se délester de poids insupportables comme s’ils se mangeaient réciproquement tous les noeuds qu’ils ont dans la gorge… Il y a beaucoup de gens admirables qui pour partager la douleur viennent en aide à leurs semblables de bien des manières et sans chercher ni récompense ni gloriole, très simplement, souvent dans la difficulté. Il y en a même qui vont assister les mourants et leur tenir la main. Ils offrent à un autre la possibilité de s’accrocher à quelqu’un, à un semblable et de s’arracher à la solitude ultime et au désespoir insondable. Et pour en tirer quoi? Pas autre chose que ce que tirent les éléphants de la compassion qu’ils expriment pour l’un des leurs blessé. Une chose si simple et si fondamentale que les esprits retors qui croient tout connaître du coeur humain, ne comprendront jamais… J’admire tous ces gens dont d’ailleurs on parle très peu. Les médias font plutôt et même de manière systématique, la chronique de la mort et de l’horreur, de la compétition et du grand banditisme. Si on faisait un jour la chronique de la vie quotidienne, si on créait la seule radio en continu d’informations humaines, quel changement alors, quelle révolution! Je pense que le théâtre est comme ce cri de la douleur de l’être et comme cette générosité… tous ensemble… tous ensemble… Ouais?

André Benedetto 15 07 97

Je pense que le théâtre est comme ce cri de la douleur de l’être et comme cette générosité… tous ensemble… mais je me demande aussi s’il ne serait pas préférable d’apprendre et de pratiquer le contact physique et réel avec la souffance d’autrui, avec la souffrance de celle et de celui qui sont, à nu à vif, réduits à l’humain-même qui est au coeur-même du théâtre.

Y A 40 ANS OU PRESQUE

Ah non ce n’était pas pareil! Les choses se transforment et changent… Evoluent-elles en mieux, en mal? Il y avait une troupe dans une ville. Et la ville jouait au foot contre la troupe. Aujourd’hui dans la même ville, peut-être un peu diminuée, il y a des centaines de troupes… En ce temps-là, le théâtre se voulait au service du public. Au-jourd’hui on voudrait officiellement qu’il fût au service du public de théâtre. La différence est grande. On vous dit: occupez-vous de ce public-là, tout le reste n’est que vile animation. Il y a là matière à débat, mais il n’y a pas de débat. Bien des troupes et parmi les meilleures souffrent de ces jugements négatifs formulés par des gens qui n’ont jamais fait ni création ni animation, sinon ils sauraient dans leur esprit et dans leur chair qu’il n’y a pas de différence. Il y a même des troupes qui ne disent rien de leurs animations pour ne pas être considérées comme des minables! Dans cette société on doit se cacher pour faire le bien, c’est beaucoup dire mais quelle honte! Aujourd’hui comme hier des spectateurs des spectatrices se faufilent dans le noir. Hier c’était les retardataires à qui on faisait atten-dre le premier noir pour leur entrouvrir les portes et qui fonçaient pour trouver leur place ou une place. Aujourd’hui ça fonce pareil. C’est les épouvantés par le spectacle qui fuient à toute vitesse. Ca circule en sens inverse. On en trouverait beaucoup qui ont ainsi changé le sens de leur circulation avec le temps! Faut-il regretter cette époque? Oh non! Y a aucun regret à avoir! C’est le passé! Et nous sommes dans le présent. Peut-être n’y-a-t-il que quelques leçons à tirer? Mais au fond celles et ceux qui sont prêts à tirer ces leçons, ils sont déjà tellement dans la réalité quotidienne qu’ils en savent déjà beaucoup. Et d’abord ils savent que leurs prédécesseurs se bagarraient comme eux au jour le jour, non pas pour appliquer quel-ques recettes dérobées à quelques alchimistes, non pas pour sauver le monde, mais seulement pour faire partager du bonheur, et surtout pour essayer de se dégager des idées reçues, des clichés, des vilainies… Utopistes peut-être mais pas idiots! Et même sans illusion!

André BENEDETTO Mar 16 07 96

MACBETH FAIT COMME UN RAT SANS UNE SEULE PAUSE JUSQU’A LA MORT

Macbeth ça file à toute blinde, et vitesse-folie . Ca s’arrête pas un instant pour respirer pour s’écouter pour prendre des temps lourds de signification. La signification c’est qu’ils ont mis le doigt dans l’engrenage et ça va de plus en plus vite précipi-tés au gouffre ils sont. Ca les dépasse. Il courent derrière leur destin. Lui Macbeth et elle qui pousse. Il apprend sa promotion on la confirme. Il galope à la maison le roi arrive il le tue. Il tue les gardes il devient roi. Il tue Banquo témoin gênant. Il ne peut pas faire autrement. Faut dégager la route éliminer les preuves. Il tue Lady Macduff et ses enfants et bien d’autres encore et encore plus on sait pas tout mais il ne peut régler le compte. A pas le temps de s’arrêter Macbeth et de se poser des questions il faut prendre des décisions et vite et encore plus vite toujours. Pas du tout la grandeur tragique avec la grosse voix impressionnante et le souffle de l’épopée, c’est du nervosisme de petite catégorie, du raisonnement d’alcoolo, de la spasmophilie infantile. Y a du grand c’est vrai du très grand texte dans Shakespeare. Du texte de clodo sur un coin de comptoir philosophant l’horreur de vivre un peu comme Khayyam de Nishapur. Ca cavale à toute pompe Juste le temps de respirer Pas le temps de l’intonation Ni du temps bien senti File vite sans rien forcer Vite à la fin sans savoir ce qui va arriver Il ne sait rien il va très vite vers la fin pour connaître le résultat des courses. D’un coup alors il voit la fin il est en plein dedans on lui coupe la tête et il n’a rien compris du pourquoi du comment cette injustice fondamentale dont il vient d’être la victime. Il pourrait dire: On m’a vraiment pris pour un con. Et Don Juan c’est pareil et Oedipe et tous les per-sonnages tragiques, ils sont pris aux oreilles et en deux temps trois mouvements sans une seule pause, cuits!

INDIEN PROVOCATEUR UN BRÛLOT A LA MAIN

Nous n’avons pas tellement à nous plaindre des critiques, sauf de ceux qui ne viennent pas nous voir, comme s’ils avaient fait des choix définitifs. Ceux qui viennent par contre font leur travail. Ils écrivent souvent des bonnes choses. Une bonne chose c’est une chose écrite qui ne trahit pas le spectacle, qui ne fait pas fuir le public sans raison, qui apporte des aperçus intéressants, des points de vue sur nos travaux, sans forcément tartiner des louanges. Certes il peut arriver qu’une bonne chose ait un mauvais effet. Par exemple je crains que le terme « poétique » tombe comme une condamnation. Quant au mot « dialectique », brrr! Je n’ai jamais polémiqué avec un journaliste, et je ne vais pas commencé aujourd’hui avec qui que ce soit. Cependant je dois dire que je suis surpris de la persistance de certains clichés dont je me sens victime. Le cliché n’exprime pas une opinion personnelle. Il reprend une idée reçue, une idée qui semble aller de soi et il la ressert par manière de sous-entendu, de complicité, de jeu. Il ne mesure pas à quel point il enferme, gomme, cache, détruit, alourdit, pervertit la compréhension des oeuvres. Et peut-être tient-il les spectateurs potentiels à distance, et en respect! De ces clichés il y en a des dizaines dans nos dossiers de presse. Sans remonter bien loin dans le passé, au cours des derniers mois on en a vu reparaître plusieurs qui tendent à me présenter comme un indien, ce qui connote folklore désuet ou rebelle un peu obtus; ou comme un moraliste qu’on n’a guère envie d’entendre. Souvent comme un militant, comme un type engagé tandis que moi j’essaie d’agir comme un simple citoyen qui essaie de se dégager de tous les clichés, idées faites, poncifs, dogmes et croyances qui nous étouffent. J’ai même appris au sujet de l’invocation d’un mort, que j’avais écrit un brûlot. Non non je ne polémique pas. J’essaie de comprendre! Et qu’y-a-t-il à comprendre quand cette dame vient me proposer une collaboration future et qu’elle s’excuse de n’être guère venue jusqu’ici chez nous parce que, dit-elle, mon esprit provocateur n’est pas sa tasse de thé. Il y a de quoi tomber des nues: Provocateur! Je ne provoque jamais! Je dis sans élever la voix, sans manifestation intempestive, sans déclaration, ni accusation, ni menace, je dis ce qui me parait juste et vrai. Alors je me demande quels visages pâles sont-ils? A quelles idées douillettes se raccrochent-ils? De quoi ont-ils peur au fond, sans l’avouer? D’où croient-ils que je parle au lieu d’écouter ce que je dis? Ne criez pas au génie mais ne gênez pas l’écrit! andre benedetto 98 Après Giordano Bruno j’ai eu droit à Benedetto l’hérétique, à Benedetto l’iconoclaste

L’INVENTION D’UN PAYS POUR LES MORTS UNE NECESSITE

La mort de quelqu’un. Il est mort. Il n’est plus là. Mais en fait il est encore là dans la maison, et en tout lieu dans la pensée. Présence insupportable à la longue, sans doute. Schizophrénie pour tout le monde. Comment guérir de ce mal? Il faut en finir avec ce qu’il y a de trop survivant dans ce mort, de sous-vivant. Ce n’est pas un sur-vivant mais un sous-vivant. Il est par là, par dessous, tapi. Oui les morts sont des sous-vivants toujours présents mais invisibles. Les vivants ont-ils un jour inventé le lieu des morts pour vivre en paix? – Où est-il? – Il est au ciel. – Il est au pays des chasses éternelles. – Il est au Wallallah – Il est réincarné dans un être vivant – Etc… Les peuples ont inventé chacun le pays de leurs morts pour s’en débarrasser, pour les éloigner du foyer, de la cité, pour les tenir à l’écart et pour en finir avec la schizophrénie. Malheureusement l’église est venue faire commerce de cette nécessité. et ajouter par-dessus le marché, la notion d’enfer et de paradis, sans doute occidentale et très abominable! Comment a pu venir cette abomination: l’invention d’une église? Heureux les peuples qui ont des croyances, des cultes mais qui n’ont pas d’église! Je comprends l’invention d’un pays pour les morts: – ils ne sont jamais morts – donc ils sont encore là et c’est insupportable – il faut les éloigner, les loger ailleurs, leur donner un pays… Alors bien sûr il leur arrive de revenir parmi nous, puisqu’ils ne sont pas morts. Je notais ailleurs cette différence culturelle: – En Méditerranée, on va voir les morts pour les interroger comme des devins, – En Angleterre ils reviennent hanter les vivants comme une conscience morale. Au théâtre l’apparition d’un mort va presque de soi et ne gêne jamais personne sauf le personnage éventuellement. Comme si on s’attendait en permanence à les voir apparaître. Comme si sur la scène ils étaient même plus vivants que les vivants. Car ils portent avec eux, purs esprits, le poids écrasant du définitif. Ils sont enfin achevés. Dans les salles de théâtre il y a de plus en plus de morts, dans la salle. Et sur la scène la tendance à jouer les vivants comme s’ils étaient déjà morts, achevés et bourrés de mystères… Tout est mort. On est dans la mort. Secouons-nous. D 21.06.98.Londres-Marseille En finir avec Pétain par exemple! Le mettre où? Vaste problème l’oubli, la mémoire nécessaire et la condamnation. Pas d’autre solution sans doute que l’étude froide sans complaisance de ce que ces gens-là ont fait dans le passé. Tout dire.

MANIFESTE PER LO TEATRE D’OC

Avem una lenga nòstra que inventet la poèsia europenca una cultura tant rica que nos es venguda d’en pertot un biais de jogar lo teatre… e lo cinema una tipologia de personatges tancats ailas desempuèi mai d’un segle en riba de rota coma lei santons, e que bolengan plus Avem d’escrivans ancians, autors d’òbras magers, e mai de joves escrivans que sabon escriure d’òbras bèlas e bònas Avem tot aquò! E pòdi dire qu’ai vist d’espectacles que son fòrça bòns. Mai la situacion actuala dau teatre fa crenta e la devem cambiar un pauc. Per aquò vaqui çò que me pensi que devem faire: 1. Jitar fòra la scena toteis aquelei decòrs laids, lords e encombrants: telas, taulas, cadieras, cosinieras, armàris e bufets… Garçatz tot aquò defòra que ne’n avem ges de besonh. Nos cau servar una scena vueja e nusa. Un plateu e basta! 2. Prendre la lenga coma una lenga vertadiera, fòrta, poderosa, rica que pòt tot dire a totei sus la terra sensa ges de besonh d’assajar de se faire comprendre dei solets franchimands, sens aquela manía de revirar tot en frances ò d’escriure lo proensau amb la fonetica francesa. La lenga es pas un sota-francès, un patès. Es una lenga coma una autra. Es pas simpletament un suplement d’anma per lo paure proensau. La lenga es pas soncament facha per lo pantais, la galejada, la farsejada, lo desconatge, la mantenença de sabem pas de qué, la politica estrecha… Devem quitar tot aquò que son d’entrepachas au desvolopament nòstre. La lenga es facha per la vida, per la comunicacion, per dire lo mond e lo cambiar, per dire la femna e l’òme e per leis adjudar a viure e per que se podon dire elei-meteis tot çò que an dins lo còs e dins l’anma. Devem auborar lo niveu de la lenga e lo biais de la dire sus lo pontin. E per aquò leis amators devon trabalhar coma lei professionaus e mai e mielhs encara. 3. Durbir lei pòrtas e lei fenestras sus lo mond d’ara, aici e aila, e sus lei fòrmas nòvas de la creacion. E jogar tanben defòra, dins lei carrieras. Mandar d’invitacions en totei aquelei que fan lo teatre, que sabem jamai çò que se jòga en cò nostre, dins la lenga. Organizar d’acampadas mai nombrosas per manejar aquela situacion d’ara. De segur qu’avem de se parlar e de veire ensems çò qu’es possible de faire. Per acabar vaqui lo mementò: 1. La scena vueja 2. La lenga plena 3. Lo fenestron dubert.

Andrieu Benedetto

AS YOU LIKE IT DE SHAKESPEARE AU GLOBE LE 19 JUIN 1998

Une représentation dans le Globe reconstitué renouvelle complètement la vision, la connaisssance de Shakespeare. On sort soudain du littéraire. C’est pas très grand, assez banal au fond, ordinaire, quotidien, en bois: un grand théâtre intime, simple. Ca joue partout, dans cet univers clos. Ca entre ça sort du fond de la scène par trois grandes portes au-dessus desquelles se trouve une galerie, ou de la face et par la salle des 4 entrées du parterre et ça monte alors sur la scène par un escalier tout le long de la face. Ca écarte le public debout pour passer, ou pour se battre, ou pour jouer musique, toute en direct avec quelques instrumentistes. Ca prend sans cesse à témoin, en quelque sorte, des spectateurs très présents. L’histoire tout à coup se joue se fait se fabrique se crée là-même avec ces gens-là, tels qu’ils sont. Le monde est une scène. Tout joue, se joue, prend à témoin, prend à parti. Aucune gravité aucune prétention aucune frime. C’est sans tralala, pauvre, suant et soufflant, sans fard, d’une réalité palpable, immédiate, ça sort de l’humanité ordinaire, loin des mannequins et des revues de mode. Ca se passe là et nulle part ailleurs. Ca joue aussi bien de dos au public, derrière les deux gros piliers qui soutiennent le toît de la scène, comme ça vient, sans chercher à faire du théâtre en rond, aucune importance… Des « oiseaux » font le tour des galeries, par derrière le public, avec des appeaux. Les longues tirades ne sont pas longues puisque ça parle dans la rue, sur la place. Il n’y a plus le vulgaire et le distingué, il y a des personnages qui s’expriment chacun avec son langage, et devant toutes et tous. On est dans l’évidence de la diversité, de la pluralité. Je n’aurais jamais imaginé une chose pareille, il n’ y aucun problème de texte, du genre de ceux que les professeurs et exégètes aiment à se poser. A l’orchestre, au parterre, si les spectateurs restent debout aussi longtemps, c’est que ça joue partout devant eux, autour d’eux et au milieu d’eux, c’est qu’on les bouscule, qu’on les met dans leur situation de badauds de place publique et de foire. Et ceux qui parlent sont comme eux, car il y en a de toute sorte. S’il n’y a que des assis dans un théâtre, je comprends maintenant que ça ne fonctionne pas à fond. Il manque quelque chose: l’occupation réelle d’un même espace de jeu, ensemble. Le fou de cour, le déconneur de bistrot, le rigolo de fond de classe ou d’atelier, ne peuvent pas être perçus pleinement par des assis en rangs d’ognons. Il n’y a pas de quatrième mur. Il n’y a même aucun mur du tout. Le théâtre c’est ce qui vient à la conscience, ce qui a le besoin de venir à la conscience du monde et de se manifester aux yeux de tous. Ils arrivent de n’importe où, ils disent ce qu’ils ont à dire, ils font ce qu’ils ont à faire et puis ils disparaissent dans le monde, dans nous. Ca se passe au milieu du monde en train de vivre, avec les bruits extérieurs, des avions des hélicoptères dans le ciel, des travaux au loin, les rumeurs de la ville, c’est le monde, le soleil ou les nuages comme ça vient. Ici ça se passe dans le cercle, entre nous, en plein air et à l’abri. Ca vit ça bouge. Voilà l’accomplissement du théâtre, j’allais dire du théâtre à l’italienne, mais non tout simplement du théâtre pour tous devant tous parmi tous. Je peux me lever, aller-venir en bas au milieu du public debout. Ca ne change rien à l’histoire, au déroulement. Il n’y a vraiment là que des individus pris à témoin de ce qui se passe. On sent même bien dans ces conditions de représentation que chaque individu du public est en puissance un personnage de théâtre prêt à entrer en jeu et en attendant ils regardent ils écoutent ils vivent à leur rythme. Des écoliers ont leur bouteille d’eau ou de soda, ils mangent des glaces qu’ils sont allés acheter dehors, dans le hall ou sur la place. Il suffit de se déplacer avec son billet. Je sors un moment, ça suit son cours, ça ne m’attend pas. Aucune contrainte, aucun sacré: on n’est plus à l’église, enfin! Curieux que ce soit sous ces latitudes que ce théâtre de plein-air ait vu le jour, c’est le cas de le dire! Voir le jour! Si on n’y est pas dedans, dans cet espace, on ne peut pas imaginer comment ça fonctionne, comment le texte fonctionne, et ce que c’est que le théâtre. Usher veut dire huissier, ouvreuse. Sur une sorte de chasuble, d’étole, elles portent par devant « Globe » et par derrière « Usher ». J’ai compris aujourd’hui ce que voulait dire ouvreuse! Elles sont aux entrées et elles ouvrent les portes, en permanence. Il n’y a pas nécessité de donner l’illusion d’un lieu. Un seul objet peut suggérer l’univers dans lequel ça se passe, sans insister sans alourdir, car ça se passe d’abord là où ça se joue. Le personnage est le lieu-même, le lieu de l’action de son jeu. Le lieu du je est le lieu du jeu. Simplement. Pas de décor. Le happy-end est évident, sur les trois frères il y en a un de noir et tout le monde accepte ça sans problème. Et pourquoi ça en poserait? Il est un des frères. Il m’est arrivé d’entendre dire qu’au parterre jadis, les gens étaient debout, que ça bouffait, que ça rôtait, que ça pétait, que ça jouait aux cartes, etc… Pour avoir vécu cette expérience au Globe, sans pet ni rôt quand même, je crois que cette description est complètement fausse. Peut-être que parfois les choses se passaient ainsi, mais dans un contexte de jeu, de vie, de monde en mouvement, et si un type pétait, sans doute le faisait-il au bon moment pour ponctuer une réplique qui le méritait, dans l’approbation générale. Car tout le monde est pris par le jeu. La dialectique de l’individu dans le collectif et du collectif dans l’individu est très intense dans ce contexte. J’imagine qu’Hamlet le poignard à la main s’interrogeant au milieu de cette foule sans cesse interpelée, ça devait être bien autre chose que tout ce qu’on peut imaginer à notre époque qui cherche des significations subtiles tout en fuyant la signification forte et principale d’un texte proféré sur la place publique. Bien des gens de théâtre mes confrères ne rêvent souvent que d’un théâtre-cimétière-silence sacré, (un théâtre de zone piétonne pavée de marbre et déserte la nuit!), où on fait du théâtre-cinéma, c’est à dire qu’on fait le noir, qu’on joue, que le public applaudit puis s’en va quand on ré-éclaire la salle! Signal général: Ite Missa Est! Tirez-vous! Il n’y a plus là que des individus isolés, séparés, atomisés, ennemis… Dans ce théâtre-cinéma, et comme au cinéma, ce n’est plus l’acteur qui fait l’image mais le metteur en scène. Il fait l’image dans le cadre de scène conçu plus ou moins comme un volume. L’acteur n’a plus qu’à obéir au doigt et à l’oeil, qu’à suivre la circulation élaborée par d’autres comme une épure, une abstraction, une formule mathématique. Il n’y a plus de scène du monde. Molière quelques décennies plus tard devait jouer dans un contexte comparable à celui du Globe mais sans le plein-air, sauf en tournée dans sa jeunesse peut-être Il y avait les chandelles, les nobles sur la scène, le peuple au parterre debout, et des gens assis tout autour. Ce peuple au beau milieu était certainement plus composite dans son ensemble qu’une simple assemblée d’ouvriers, d’artisans, de domestiques. Ce peuple n’est-il pas le choeur-même qui juge de tout ce qu’il entend et de tout ce qu’il voit par ses réactions immédiates? Tout ce que j’ai vaguement lu ou entendu du choeur de la tragédie antique me parait bien faux par rapport à cette réalité que j’ai rencontrée au Globe de ce populaire installé dans l’orchestratégique. Le choeur jouait par substitution au peuple. Il chantait et disait tout ce qui devait se penser dans les gradins des personnages et de leurs actions Etapes successives d’un effondrement? Un choeur aviné chante et danse autour d’un chariot. Un choeur de personnes de même rang, classe, origine commente. Un peuple au parterre qui pèse tout juge de tout sans rien dire. Un public dans un lieu encore un peu festif ne bouge plus. Un public dans une salle obscure un public entièrement captif. Et nous notre grand débat était: faut-il ou non diviser le public! Or s’agit-il de diviser le public ou simplement de lui montrer quelque chose? Voilà un authentique patrimoine. Ils s’en emparent et ils renouvellent pour moi la vision de Shakespeare, et même celle du théâtre moderne qu’il faut venir confronter illico à ce moule, à cette forme inventée par les élizabéthains et reconstruite à l’identique. Notre théâtre jusqu’ici n’a inventé que la RE-lecture. Et de nos jours combien de scénographes ont conçu des théâtres sophistiqués d’où le tremplin-même du théâtre est exclu. Comment peut-on d’ailleurs parler de scénographie quand la scène n’est plus le lieu où le monde se manifeste, quand on se trouve dans un théâtre-cimetière, un théâtre esclavagiste du type caverne de Platon avec esclaves attachés, leur regard dirigé vers le mur où se font les projections, un théâtre du sous-entendu, qui ne cesse de chuchoter à l’oreille d’un public captif quelque chose comme: entre nous, vous savez bien de quoi on parle n’est-ce pas, inutile d’en dire plus? Le Globe le monde la scène. Tout lieu ici peut devenir la scène. La scène est comme un pavois, comme un projecteur qui se braque sur une partie de l’humanité et la donne à voir. Un vrai projecteur que peut-il montrer de plus dans cette forme? J’ai vu un soir à la Maison Jean Vilar un spécialiste faire une conférence sur les éclairages sans dire un seul mot du soleil. Vingt ans après ça me parait encore plus aberrant. Chez nous par ici, quand il pleut, il pleut! Là-bas, dans un pays où ça pleut-ça pleut pas, la pluie clignote, il y a des gens à l’abri sur plusieurs étages, des anneaux superposés. Les pauvres ou les plus pauvres, les plus enfants, les plus curieux, les plus savants peut-être sont debout dans l’espace au pied de la scène. Ca se joue devant eux eux et autour d’eux,

et même au milieu d’eux, presqu’au contact l’acteur est là. C’est ça la vraie magie du théâtre! Quand on ne cache rien. Le public est la masse-même d’où émerge tout le théâtre, tous les personnages. Questions qui ne sont venues qu’au retour: On ne sait peut-être pas comment ça se jouait à l’époque. J’imagine assez bien comme ce que j’ai vu avec ce As you like it. Ai-je raison? Couvraient-ils quand il pleuvait? Le théâtre était-il orienté de la même manière? La galerie centre en plein soleil? Il n’y a pas de projecteurs sinon un ensemble de gros quartz fixés autour de la troisième galerie pour éclairer sans doute a giorno la scène et le public? En d’autres circonstances. Lesquelles? N’y-a-t-il jamais aucun effet lumineux? Les actrices et les acteurs sont-ils gênés par les bruits extérieurs et par les déplacements des spectateurs?

André Benedetto

APPELE? OUI! ENGAGE? NON!

J’ai été qualifié d’auteur engagé. Je ne sais pas très bien pour quelle raison. Il est vrai que j’ai reçu parfois des commandes pour créer un spectacle sur un thème donné (Tu viens au Havre et tu réagis! Viens aux Ulis! Viens à Bègles! Lis ce texte de Gautier-Sauzin et dis-moi si tu peux faire quelque chose avec? Un Jaurès pour Carmaux…), ou même parfois sans thème défini (Dix briques pour un truc au Palace! On va faire chacun une création à partir de ce tableau…) Mais dans tous les cas je n’ai jamais reçu aucune directive. Je n’ai en fait jamais été engagé par personne pour occuper un emploi salarié et me tenir aux ordres. Engagé c’est bien ce que ça veut dire: recevoir des gages pour obéir à quelqu’un! Il parait que c’est Sartre qui aurait inventé ce concept d’engagé! Moi je me suis toujours considéré plutôt comme un appelé! J’aurais bien aimé d’ailleurs. Etre engagé. Etre payé pour écrire avec des directives précises. Savoir ce qu’il faut dire. Etre bardé de certitudes. Disposer de tout un attirail et d’un appui logistique. Avoir peut-être des aides qui vous mâchent le travail, vous fournissent les mots, les expressions, les documents, les sujets bien sûr… Et 39 heures par semaine, le rêve! Jamais rien eu de tout cela. N’ai dû en faire qu’à ma tête. Qui ne savait, qui ne sait toujours pas où elle en est exactement. Très pénible! Le théâtre ça passe par des situations qu’il faut trouver. Ca peut durer, la recherche! Vingt ans à laisser piétiner Robespierre dans l’attente de la situation qui permettrait de le mettre sur scène. Et les personnages qui ne s’embarrassent pas d’attente et qui font un peu ce qu’ils veulent. Qui vous tombent dessus et auxquels il faut obéir, comme ce yéti de 92, qui débarque le jour de l’an! Engagé par le yéti ah oui! Ou par Marie No Man’s Land! Ou par tout autre personnage. Ou même par une image, celle de ce type traqué par un projecteur qui a donné Napalm et ses malentendus! ou encore par la première phrase du Capital de Karl Marx qui dit: La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s’annonce comme une immense accumulations de marchandises! La première phrase de la Bible n’est pas mal non plus: Dieu, au commencement, créa les cieux et la terre! La seule certitude c’est qu’il y a comme un malaise… Et après la situation et les personnages, il faut s’attraper avec la langue française, ce qui n’est pas une petite affaire. C’est un peu comme essayer de creuser un trou parfaitement cylindrique dans du sable. Pour moi, elle fout le camp de tous les côtés.

LA LECON DU CAIRE

Oh oui j’ai beaucoup apprécié cette invitation au Caire. Ce fut un séjour d’une semaine très instructif, très fructueux. D’abord j’ai vu les Pyramides dans leur environnement de rocaille, le Sphinx dans son bassin allongé, la première église copte, la citadelle, le grand cimetière musulman comme une ville, la mosquée et le marché de Khan Khalili, le musée bien sûr et les statues d’Akenaton et de Néfertiti. Voilà déjà une très bonne chose que ce tourisme rapide. La prochaine fois je n’irai qu’à Tell El Amarna. Il m’a semblé connaître cette ville depuis longtemps, surtout les collines, le cimétière la citadelle, par un cauchemar que je fais de temps en temps. Le Festival lui-même m’a paru d’une extraordinaire étrangeté. Comme si tout se passait dans les dunes du passé, au milieu des figures énigmatiques de l’Egypte éternelle. Quasiment pas de parole publique. Aucun discours de bienvenue ni de présentation de l’opération. Le Ministre de la Culture s’est contenté d’annoncer: Au nom de Dieu je déclare ouvert le Septième Festival…, une phrase et terminé! Ensuite il y a eu la présentation des membres du jury puis des personnes honorées. Et les premiers spectacles. Et là: pareil! Le silence! Le thème était le corps de l’acteur. Il y eut, surtout de la part de l’Egypte, du théâtre dansé de la pire espèce. De celui qui essaie d’occuper l’espace, qui essaie de faire passer le temps au spectateur. Qui ne dit rien mais qui bavarde beaucoup. Le plus curieux ce fut le colloque. Des gens assis côte à côte qui débite une contribution traduite paragraphe par paragraphe en arabe. Pas une question ni des confrères ni des journalistes ni du public. Pas de débat entre les participants. J’ai eu l’impression de rencontrer un pays qui ne veut officiellement rien dire, qui se rend muet et qui semble se baillonner. Une impression accrue par le fait que j’ai eu les trois derniers jours pour les promenades touristiques, en minibus de la Sécurité, une charmante jeune guide francophone qui n’a pas arrêté de parler, comme pour combler le vide de la parole officielle! L’Egypte se mit tout à coup à parler plus que de raison, à essayer de se montrer, de s’expliquer… Très fascinant! Je regrette de n’avoir pas vu plus de 7 sur les 40 spectacles invités. A Veroli, j’en ai vu plus, je les ai vus tous les 8. C’était d’une toute autre catégorie. Chaque troupe comme un pays en miniature. Il y avait là des Palestiniens, des Israéliens, des Croates, des Italiens, des Albanais, des Cubains… Un ensemble plus réduit mais plus percutant. Ca tient au thème choisi chaque fois. Cette année le Théâtre et la Paix. Chaque rencontre apporte toujours quelque chose d’essentiel.

ANDRE BENEDETTO

STAGE DE THEÂTRE AVEC DES RETRAITES 16-20 MARS 1998 VITRY-SUR-SEINE AREV

Résidence Paul et Noémie Froment Ce stage s’est déroulé sur 5 séances de 2 heures dont la dernière a été consacrée à l’ultime répétition et la représentation d’un spectacle improvisé de 25 min, réalisé à partir des suggestions des stagiaires; à la satisfaction générale des participants, des responsables et des personnes invitées. LES STAGIAIRES étaient des personnes retraitées, surtout des femmes, d’un grand âge entre 75 et 90 ans, lucides, sans grands problèmes de mémoire, lentes et douces mais passionnées, toujours prêtes à évoquer leurs souvenirs et à les comparer, mais discrètes sur leur profession, leur famille, leur vie privée, facilement bavardes et tentées de parler toutes en même temps, capables d’improviser des personnages proposés, souvent handicapées physiquement, des personnes en représentation sociale de souvenance et donc de savoir, en représentation de performance: je viens de loin…avec humilité en représentation de handicap physique, montrant des corps qui souffrent comme de la bataille, marqués par le destin: j’ai subi, je subis. DANS LEUR JEU Il y a le handicap, la lenteur, la gestion difficile de l’espace et la crainte de ne pas faire comme il faut mais l’assurance de personnes qui ont vécu, qui ont agi, qui ont de l’expérience, tout de même… il y a comme une pratique systématique de la bonté, de la beauté, de la gentillesse, de la fête, il y a l’évocation d’un monde de rêve dans les rapports sociaux il y a comme une sorte de catharsis inversée, au-delà de la tragédie grandiose, la conviction profonde que la vie est belle, il n’y a pas de mal, pas de méchanceté, pas de perversion, pas de violence, pas de brusquerie, pas de critique, pas de dénonciation, pas de médisance, pas d’éclat de voix et pas un mot plus haut que l’autre, il y a le plaisir de vivre chaque instant. LA PEDAGOGIE Il faut les prendre tels qu’ils sont. Ils ne sont pas là pour apprendre mais pour s’exprimer. Ils peuvent recevoir quelques conseils. Il faut impérativement avec eux: une patience souriante et attentive, une écoute de chaque instant, une recherche des talents cachés, une incitation à faire, à jouer, à chanter, sans bêtifier, beaucoup d’égards, de la douceur et rien qui soit présenté comme obligatoire, n’imposer ni texte ni mise en scène… Ce fut pour nous une semaine enrichissante. Il y aurait bien d’autres analyses à faire et bien des leçons à tirer.

F.A. et A.B. 23.03.98

IL N’Y A PLUS DE CAISSE DE RESONNANCE IL Y A UNE FOSSE AUX OURS

C’est peut-être un peu fini le plateau comme caisse de résonnance du monde. C’est à dire un plateau surélevé au-dessus des spectateurs, parfois exagérément comme dans beaucoup de salles des fêtes. De plus en plus la tendance est de jouer (de faire jouer…) au ras du sol devant des gradins (et des gredins?) dressés comme une muraille. Surtout dans les salles petites et moyennes. Quelques nostalgiques gardent encore une scène un peu surélevée. Ils sont minoritaires. La tendance tend à jeter les acteurs dans une fosse aux ours, dans les arênes. Fini le théâtre de tréteaux et de proclamation. Au trou! Descendez dans la fosse! Rampez! Enduisez-vous le corps d’huile! Arrondissez les angles! Dansez! Bêlez! Faites-nous rire! On veut vous voir plus bas que terre! A cause de cette tendance à l’aplatissement, au rétrécissement, le théâtre idéal actuel est une grande scène au niveau du sol, recouverte de tapis de danse noirs, toute peinte en noir sur les trois côtés, équipée de rideaux de fond et de pendrillons noirs, et pourvue d’un plafond technique noir. Mis à part quelques théâtres qui ont conservé un mur de fond de pierres, le noir semble être la couleur obligée. Il paraît que c’est plus facile pour décorer, pour éclairer les spectacles. Ça introduit une référence anonyme passe-partout, avec laquelle il n’y a aucune surprise nulle part. C’est pratique bien qu’un peu triste, et ça pompe beaucoup de lumière! Devant la scène se dresse un mur de gradins. Quelle que soit la largeur de cette scène, les sièges sont disposés face à elle de manière rectiligne, de telle sorte que les spectateurs placés sur les côtés regardent le spectacle de travers. Qu’est-ce donc qui gêne de disposer les sièges en demi-cercle? La nécessité d’un proscénium arrondi perturberait-elle la rectitude obligatoire? Pour le confort et pour la visibilité, il faudra faire quelques dessins très précis. On peut peut-être avoir une scène au-devant rectiligne devant une salle en hémicycle. Il faut tout repenser. André Benedetto 18 03 00 Questions posées: la hauteur de la scène l’arête de la scène, rectiligne ou arrondie la couleur générale de la scène la forme de la salle

LES FESTIVALS COMPARES

Le Festival officiel dit « Festival In » qui jouit d’un grand prestige, a une direction qui décide du choix des troupes et qui établit le programme. Les troupes bénéficient d’un label de qualité, d’une publicité internationale, de la présence de la presse et donc de comptes rendus, et pour la plupart d’une sécurité financière. Le IN fait appel chaque année à un peintre différent qui réalise une affiche. Il diffuse un programme tiré sur beau papier! Le festival actuel n’est pas en rupture complète avec celui qu’a créé et dirigé Jean Vilar. Car c’est Vilar lui-même qui a fait éclater le festival dans plusieurs lieux de la ville, et y a fait entrer d’autres pratiques artistiques. La rupture semble plus nette du point de vue de la relation aux publics Le Festival non-officiel dit « Festival Off » n’a pas de direction, pas de gestion générale. Personne ne fait de choix. Toutes les troupes qui le désirent peuvent être inscrites dans le Bulletin Avignon Public Off moyennant une somme d’environ 2000F par spectacle. Cette publication est assez bien faite, pleine de renseignements classés de diverses manières, mais pas très belle. Le « Off » se caractérise par la profusion et la diversité des lieux, des heures, des spectacles, des pratiques. On a pris l’habitude de dire qu’on y trouve le pire comme le meilleur. Bref on peut y voir presque tout ce qui se fait en France, et même ailleurs. En règle générale les troupes qui ont un lieu y jouent et accueillent d’autres troupes. Celles qui n’ont pas de lieu louent une tranche de deux heures dans un lieu aménagé en théâtre selon des tarifs très variables qui doivent aller de 20000 à 80000f pour le mois. Le « Off » entretient des bons rapports avec la population ignorée par le « In ». Il y a des passages de l’un à l’autre surtout par les acteurs qui jouent indifféremment là où ils ont des engagements.

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André Benedetto, Ecrits III

textes sélectionnés et « posés sur la toile » (expression de l’auteur) par lui même à partir de 1999

MEMENTO

le théâtre une passion dans un acteur sur un plateau devant témoins et en plein air c’est encore mieux et d’abord ils veulent te voir et t’entendre chaque jour respire de tous tes poumons, dans tous les coins sors la voix dans le masque, fais la sirène dans la colonne exerce-toi au ralenti des mouvements, à l’extrème ralenti pratique la lecture à l’italienne ne choisis pas de sens, ne donne pas de ton ne mets aucun mot en valeur ferme le sens pour ouvrir l’imaginaire dis toute une phrase d’un trait reste avec nous, pas de lyrisme creux joue à froid et stupéfait joue le clown et pas le clone articule chaque syllabe et savoure chaque mot empile des images, n’impose pas un sens méfie-toi des temps des silences tu es là comme un animal tu es le personnage tu fais l’image tu montres, tu ne démontres pas méfie-toi de l’orateur en toi et de ses mains laisse-toi chanter et danser prends le texte dont tu as besoin va chercher la technique dont tu as besoin apprends à parler sur un rythme à improviser un chant tu es dans un espace, tu l’articules tu es dans un temps, tu le révèles tu es avec d’autres dans le jeu tu es devant des témoins tu incarnes le verbe, tu le prolonges dans tous les sens tu es le centre-même ni mime ni danse ni cinéma ni peinture ni sculpture ni musique, théâtre

LE PAIN LE VIN LE CHRIST DE CHAIR LES INTEGRISTES

Une de nos invitées s’en allait avant la dégustation. Je l’ai abordée. Elle m’a dit que je l’avais choquée, protestante pour qui lepain et le vin ont une telle importance. Elle n’avait jamais vu ça commeça. Je la crois volontiers. Pour elle sans doute depuis la petite enfanceles expressions: Ceci est mon corps, ceci est mon sang n’étaient quedes mots presque vides, ne renvoyant à rien de réel, de visible, de palpable, n’étaient que des expressions convenues, des formules.Une sorte de langue de bois! Et voilà que ces mots tout à coup présentés dans ce contexte,joués, incarnés acquéraient une densité inconnue, une vie en quelquesorte, une espèce d’obscénité! Comme si soudain aux infos du vingtheures, les récepteurs s’ouvraient au moment du repas et que du sangen coule, et que des cadavres en sortent. Le réel réel épouvante. Nous avons besoin d’écrans… En l’occurence, moi je n’ai fait qu’extrapoler un peu, qu’illustrerun peu la parole. Car c’est bien lui, fondateur du cannibalisme religieuxqui a dit au fond: Mangez-moi! Buvez-moi! Je prolonge, j’interprète, jedonne tout son sens à sa parole en lui faisant dire: Mangez-vous etbuvez-vous les uns les autres! Car enfin c’est bien cela qu’ils font, ou dumoins les catholiques je crois, quand ils ouvrent la bouche pourrecevoir l’hostie. Et alors, moi aussi je suis choqué. Par elle! Par cette réaction siréductrice. De quel droit divin s’autorise-t-elle à être choquée?Comment peut-elle se croire détentrice de tout le sens, de tout le sang,de tous les sens? Et se croire le droit de contester ma parole? Laquelleémane de lui directement! Elle me parle comme si j’avais porté atteinte à sa foi, à son sensdu sacré, et même à son moi le plus intime. Comme si j’avais étésacrilège! Ca veut dire quoi: sacrilège? Il y a donc des intégristes parmi nous. Ils ne voient pas quejamais peut-être on ne leur a montré leur christ aussi vivant, aussi réel,aussi humain. Ils se referment dans quoi exactement? Heureusementqu’ils sont minoritaires et qu’ils n’ont aucun pouvoir. Sinon attention lafatwa! Comme en terre d’islam… Moi je ne cherche pas à provoquer. Je dis ce que je sens, ce queje pense… pour contribuer à l’élargissement des consciences. Hier soir il y avait une émission sur Arte (2/5) sur le procès deJésus. Il a été mis en question la responsabilité de Pilate, du Sanhédrin,etc… mais personne ne s’est demandé pourquoi l’église traduit: « Il leleur a livré » par « Pilate a livré Jésus aux juifs? » Pourquoi aux juifs? Ill’a livré aux chefs religieux de l’église de cette époque! Mais peut-êtreque ceux qui traduisent ont raison? Peut-être n’était-il pas juif ?

INTERMITTENT

Dans un siècle qui a entendu un général franquiste proclamer: Vive la mort! et un propagandiste nazi s’exclamer: Quand j’entendsparler de culture, je sors mon pistolet! le mot d’ordre: Culture morte!lancé par un syndicaliste, ne nous parait guère judicieux… Si nous jouions chaque soir de l’année et que le théâtre soit pleinen permanence, on pourrait à la rigueur le réexaminer ce sloganfunèbre! Les spectatrices et les spectateurs seraient là haletants à laporte et on leur dirait: Ce soir vous n’aurez rien! On va vous montrercomment ça va être bientôt! Et ils auraient un tel besoin qu’ilscomprendraient. Mais ici où nous avons en moyenne cinq à six représentationsparmois, c’est tout à fait absurde de vouloir faire une préfiguration de lamort (quel étrange projet!) une mort dans laquelle nous sommes déjà enpartie, une mort dans laquelle on nous pousse lentement mais sûrement.Et dans ce théâtre qui a été durement frappé, on sait de quoi on parle.Mais on ne baisse pas les bras. On ne dit pas: Vous voulez qu’onmeure? Eh bien d’accord mourons! Jamais! Trimballer des cercueils pour protester, c’est déjà accepter lamort! Or c’est la volonté de vivre qu’il faut affirmer, de vivre et decréer. Et c’est alors un tout autre spectacle qu’il faut mettre enmouvement, et faire preuve de beaucoup d’imagination. Quand les intermittents ont voulu se réunir pour discuter, pour sedéfendre, pour continuer à vivre, nous les avons accueillis ici. Maisquand ils décident qu’il faut tel soir fermer les théâtres, et jouer lescadavres, là nous ne pouvons pas les suivre. Les intermittents assurent la permanence des spectacles, et de beaucoup d’autres activités dans cette société. Voilà ce qu’il faut expliquer aux gens qui ne le savent pas. Enoncer les arguments, lestransformer en images et en scènes, les jouer, se mettre un peu àcontribution les uns les autres.VIVE LA VIE!  

A AVIGNON IL N’Y A PLUS QUE DU OFF DEPUIS

PLUS DE TRENTE ANS Nous avons joué en 66 pour le plaisir, pour exister. Jusque là il n’y avait que le Palais avec sa cour et son verger. Nous avons ainsi fait sauter un verrou, dans les têtes.Sans le vouloir bien consciemment. Nous avons ouvert une brêche dans le sacré, dans letemple, dans l’église, dans la caverne de Platon où les esclaves enchaînés regardent lesombres projetées sur les murs. L’année d’après d’autres troupes sont venues et le Off naissait sans même lesavoir, tandis que le In lui-même entrait dans ce Off en ouvrant un deuxième lieu auCloître des Carmes. Depuis, les lieux du nouveau Off et ceux de l’ancien In n’ont pascessé de se multiplier. Si bien qu’aujourd’hui il n’y a plus qu’un énorme festival off! Schématiquement on peut dire que:- de 47 à 65 il y a eu un Festival qui avait une direction artistique et un projet théâtral,- en 66 une brêche a été ouverte dans le concept, provoquant sans intention de leproduire l’éclatement qui va s’ensuivre,- depuis 67 un off qui ne cesse de se développer de toutes les manières dans toutes lesdirections, à partir de tous les centres, y compris celui du In. Préciser encore qu’il n’y a pas une époque Vilar et une époque post-Vilar. Carc’est Vilar qui a voulu ce développement. Et il s’en est même expliqué! Le In fonctionne de plus en plus comme le Off. Il n’a plus de direction artistique,ni de projet théâtral, mais il a de l’argent, beaucoup d’argent. Alors il se contente deparcourir le monde, de recruter des troupes pour remplir les cases d’un calendrier etoccuper au maximum des lieux publics et des plages horaires. Après un ensemble depays, un continent, puis un autre, des regroupements arbitraires: pays de l’est, paysasiatiques… Bientôt le théâtre selon le Tour du Monde en 80 jours, ou n’importe quoid’autre, pourvu que ça ait toujours un petit côté encyclopédique. Après le concept d’art,celui de carte d’identité et de relevé bancaire! L’Opéra de Pékin représenté par Taïwan,d’après ce qu’on a dit, ça pose tout de même des problèmes d’essence-même! Le In organise même des parades dans les rues et joue à fond la carte du folkloreet du spectaculaire de type télévisuel intervilles. Et il ne rêve que de faire disparaître leOff sans se rendre compte qu’il disparaîtrait du même coup puisqu’il est devenu lui-mêmele Off. Oh certes il y a encore des grandes différences. Ainsi le In dispose d’un budgetconsidérable, de tout le patrimoine de la ville et de tous les médias, sauf quelquesrebel-les. Il dispose de dix fois plus de moyens pour produire dix fois moins de spectaclesque le Off. Il dispose sans bourse déliée de tous les grands lieux publics d’où il voudraitmême chasser les visiteurs de passage! Et puis ne venez pas parler de qualité. Les laideurs de tous les mauvaisspectacles du Off réunies en trois semaines n’atteindront jamais la monstrueuse laideurd’une seule représentation dans la Cour. Là où ils se débattent dans la vulgarité et dansl’impuissance, dans un lyrisme de pacotille, odéonesque et d’avant-guerre, dans unegueulerie époumonée de castrats à longueur d’heures! Et après ça ils viendraient faire lamorale, se plaindre des cartons qui pendouilleraient comme après des lendemains de fête,eux qui détruisent systématiquement la fête des esprits. Eux mais c’est qui? Une petitecaste qui ne rêve que de se replier sur elle-même et de jouir seule de toute la beauté(qu’ils n’ont pas encore assise sur leurs genoux, soit dit en passant avec R.), une petitecaste bien irritée au fond de cette énorme et phénoménale démocratisation de l’art, de lapratique de l’art. Ce qui est en question c’est timidement peut-être un mode de vie, et larecherche d’un autre mode. Peut-être! Et je dis ça sans illusion, en sachant que beaucoupne rêvent que de devenir le In! S’ils sont des fonctionnaires, ça leur arrivera un jour. S’ilssont des vrais artistes, ça leur passera, ou ils n’en rêvront jamais. Les cartons exposés pour s’afficher, pour attirer les spectateurs, pour crierl’existence, si vous les lisez vous y verrez les témoignages d’une incroyable vie du théâtreau quotidien engendrée par des centaines d’hommes et de femmes, de jeunes hommes etde jeunes femmes qui ne sont pas venus ici pour gagner de l’argent, ni pour recevoir descachets mirobolants mais pour faire du théâtre. Et ils le font de toutes les couleurs. Ilsrevisitent tout, le pire et le meilleur. Ils témoignent d’une richesse et d’une variété, d’unepuissance de création dont il y a plutôt lieu de se réjouir que de se plaindre. Et quand unauteur de 17 ans vous apporte sa pièce comme une offrande -une pièce de jeune auteur,injouable peut-être mais avec un verbe étonnant et des folies- il y a de quoi s’interrogersur l’arrogance de cette caste de privilégiés. Pour quelques uns qui se plaignent d’avoir subi un mauvais spectacle dans le Off,combien de milliers qui se plaignent de s’être ennuyés dans la Cour? Et vous avez desgens qui ne rêvent que de mettre de l’ordre, que d’interdire! Mais au nom de quoi? De laliberté des plus riches? Et la liberté d’expression? Et la liberté d’entreprendre? Oh oui il ya des abus. Il y a des amateurs qui jouent sans s’avouer, et sans payer des chargessociales! Sans licence d’entrepreneur, sans patente! Il y a des négriers, des exploiteursmais il y a beaucoup d’équipes jeunes qui se lancent et qui donnent plus qu’elles nereçoivent. Somme toute, le pays a plus de raisons d’être fier de son Off que de son In! Dans cet énorme Festival d’Avignon qui propose entre 5 et 600 spectacles, lestroupes venues de l’extérieur, mises à part celles qui bénéficient de conditionsprivilégiées d’accueil ou qui s’organisent entre elles sur un même lieu, ces troupes entransit sont soumises à deux régimes radicalement différents. Les troupes invitéesofficielles reçoivent de l’argent, occupent gratuitement un lieu public, se réservent desplaces de parking, bénéficient de l’assistance technique, de la pub, de la sécurité desrecettes, du renom du Festival, de la presse, des radios, des télés. Les non-invitées nepeuvent compter que sur leurs recettes propres, doivent louer très cher une tranchehoraire, ne bénéficient d’aucune assistance municipale et sont bien contentes quand unpigiste local leur consacre un article, en espérant la venue d’un national qui ne sera pasforcément meilleur mais qui a une bien plus grand audience. Un des gros problèmes de ce Festival est celui posé par les loueurs de salle, quiétant ou pas du métier, louent 8 tranches horaires entre 50 et 80.000F l’une, parfois dansdeux et même trois salles ou cours. Problème qu’il faut résoudre! Quel recours y-a-t-il?Peut-on empêcher cette récupération privée de l’argent public que les troupes doiventsouvent prendre sur leurs subventions pour investir dans un créneau horaire? Les pouvoirs publics, les collectivités devraient acquérir ces lieux et les mettregratuitement à la disposition des troupes selon des critères à définir, puisqu’après tout lestroupes officielles disposent déjà des espaces de la collectivité. Il faut aimer le théâtre pour s’occuper de théâtre! Etc… Quiconque viendra vous dire qu’il y a trop de spectacles off, dites-lui qu’il estcomme celui qui estime qu’il y a trop d’étrangers et qu’il risque un jour de s’entendre direlui aussi qu’il y a trop des gens comme lui… Ah Letizia! Ieri alla mattina sono arrivati i librial pomerrigio ho faxato due volte al 61 71 144e ciascuna volta, la sua voce: pronto, pronto, pronto…allora ho telefonato e lei me ha dato un altro numeroallora ho faxato al 61 67 512e ancora la sua voce: pronto, pronto, pronto…allora ho spedito il fax come una lettera!Oggi faxeremo alla notte dope le diecidope la rappresentazione di  » La Dégustation aux flambeaux »una nuova commedia con vino del paese…Speremo che il fax funzionera durante il vostro sonno!Vengo di scrivere a Giovanni che sono felice, e anch’io fiero.Si si è molto buona la colore, la stessa che la mia camicia per recitare.Recitero Nous les Eureupéens ad Avignone il 26 aprile, a Montpellier i30 aprile, 1 e 2 mai maggio e il 13 maggio alla Guadeloupe! Parlero dellibro,de lei, de Giovanni e de Lorenzo. L’arrivo del libro adesso è unbuon segno.Tutto il libro è un bel oggetto. Mi piaciono la coperta, il disegno dellap.58 e la p. 77, la traduzione e il prefazione. Le due testi insieme: unabellissima idea.Non sono preoccupato per i diritti d’autore. No problema! Vorreisoltanto sapere che cose mandare, spedire a Giovanni, a Lorenzo:sigari? sigarette? dolci? oggetti? vini? libri? La prego de consigliarmi.Fax 00 33 4 90 86 52 26Grazie per i libri blu e per il rosso de Sand,e per il prossimo consiglio.Anch’io spero di vederLa un giorno. Affettuosomente,Ho conosciuto Dario Fo vinti-cinque anni fa, per due giorni!

LA PEAU DU PERSONNAGE

Oh je t’en prie arrête! Tu me donnes le vertige. Tu es comme un troufion qui a perdu le pas cadencé et qui saute, qui saute à côté de sespompes pour essayer de le reprendre. Arrête d’essayer de sauter dans lepersonnage, de lui sauter dedans, arrête d’essayer de t’immiscer en lui,de l’envahir, comme s’il marchait à côté de toi! Le personnage n’est pas quelqu’un d’autre qui serait à côté de toi,dans lequel il faudrait se glisser. Il n’y a que toi et puis c’est tout! Tu neveux pas me croire et pourtant je te le répète: C’est toi le personnage!Mais oui toi là actrice, acteur et même comédien, comédienne, et enextrapolant un peu, oui oui c’est toi aussi, ou femme ou homme, jeunehomme, jeune fille, n’importe qui! Je te le dis c’est toi! Toi, on te connait, ne serait-ce qu’un peu. On connait la couleurde ta peau, de tes yeux et de tes cheveux, ta corpulence, ta taille, tapointure et toutes tes mensurations. Toi, on connait le timbre de tavoix, sa tessiture, ton articulation et ta respiration, ton allure et tadémarche, tes gestes familiers, tes tics aussi. Toi on connait ton rire,ton pleur possible, ton sourire ou ta sale gueule… La peau du personnage dont on te parle tant, c’est toi. Se mettredans sa peau c’est juste endosser ses habits, enfiler ses chaussures et semunir de quelque objet, l’accessoire qui le complète. Eh oui, tu es lapeau, l’enveloppe extérieure. Tu es le contenant. Et même, tu es mêmele contenu! Bizarre! Tu joues à refaire quelqu’un avec les phrases qu’ildoit dire et les mouvements qu’il doit faire… Et alors tu vas voir un peu comme c’est extraordinairement curieux. Que tu sois dedans, il n’y a pas de doute, sinon il y aurait quid’autre avec sa chair et ses os. C’est donc bien toi que tu es dedansmais si tu es là-dedans toi-même c’est comme quoi que tu y es? Commeune simple récitation? Comme une ingurgitation d’alcool ou d’autredrogue? Comme une transe provoquée par le par-coeur? Car il faut bien que tu y sois puisque tu y es déjà totalement maisil faut que tu y sois aussi comme un autre, c’est à dire comme celui àqui tu joues, celui à qui tu veux nous faire croire même si peu que cesoit que tu serais. Et pour cela il faut bien que tu te glisses que tu tecoules dans une sorte d’ombre, de vertige, d’esprit, d’incube ou desuccube, dans une sorte d’hypothétique peau d’un personnage qui n’aaucune existence, qui n’a même pas la peau sur les os. Cela montre un paradoxe de l’acteur autrement plus complexe etplus passionnant que celui de Diderot, ce très pointu penseur que parailleurs j’admire.

Amigas e amics bonjorn en totei. Vos presenti Peire Pessemesse e la cola de Rasteu que va legir sa peça:

Quora siau estat jogar quauquei morceus de Nous lesEureu-péens au festenau de Mollans, es estat un jorn important per ieu.Ai rescontrat dei gens, ai vist dei pèças de teatre, e ai crompat La Tesi,lo darrier libre de P.P. qu’es un escrivan que m’agrada fòrça. P.P. es un escrivan dei grands e sa lenga es lo provençau. Salenga es aquela qu’ai ausida dins ma joinessa, ont ai trobat totei lesmòts qu’emplegavian nistons e qu’eran pas d’argòt coma o cresiam maid’occitan. La lenga de P.P. es una lenga rica, una forma efemèra esubran eternala dau reau que de lònga cambia, una lenga minerala,vegetala, animala, una lenga d’abans Versailles, una mescladissaespelofida, una sòrga e una fònt mai es pas la fònt de Nimes… Es una lenga que bolega e totjorn en trin de cercar e de se faire,una lenga que vos dòna enveja de legir encara un pauc, de parlar e maid’escriure. Es una lenga que vos dòna d’adjuda, que vos pren per la manper vos faire charrar. Es benleu una lenga de reconciliacion, una lengamoderna, una lenga per l’avenir, la lenga dau brès de deman perque setròba dins aquela lenga, me sembla, l’engenh meteis de la lengaprovençala. I a pas ges de vertat , i a un tipe au mitan dau mond qu’esen trin de faire sortir la lenga… Quand sa peça LoViatge a Cuba m’es estada donada de legir mene siau congostat e ai decidit de la faire coneisser. E uei anatz laconeisser, mai soncament per la legida. Es l’istòria de dos pareus vesinsque se parlan plus dempuei mai de vingt ans dins son vilatge e vaquique se retroban dins lo meteis viatge toristic a Cuba. Dau vilatge auvilatge en prenent l’ala dau viatge. I a mai de sens aqui dedins que nepodetz pensar! Aquelei quatre, dos per dos, se van fugir, puei se reconciliar e finfinala s’empegar ensems amb totei lei rons de l’isla. Vesem ansin queCuba sota de la sarrada e dau blocatge nòrd-american es lo païs de lareconciliacion. Coma avem decidit de trabalhar amb l’ostau de païs de Rasteu,son elei que van legir la peça. Ieu legirai leis indicacions escenicas quese dison ara lei didascalias. Vos grandmerceji d’estre toteis aqui ambPeire Pessemassa,l’ostau de païs de Rasteu,  

L’AUTEUR-ACTEUR-PHENIX

ou l’auteur et l’acteur!

C’est l’histoire terrible d’un auteur de théâtrequi est possédé par un acteurqui a un acteur dans le corpsqui a un acteur dans le ventreLà logé dans le plus profond de cet auteurcet acteur-là pendant longtemps paisiblequi ne dit presque rien pendant plusieurs annéeset qui fait son boulot d’acteuren laissant l’auteur grandirse comporte à la perfectionOn lui demande de faire des petits rôlesil les fait avec plaisiron lui demande de jouer un marchand d’entonnoirsil joue le marchand d’entonnoirson lui demande de jouer un marchand de ratsil joue le marchand de ratssans sourcillersans discuter sans pinailler sans contesterOn lui choisit des poèmes à direfrançais chinois nord-américains soviétiquespeu lui importe il les apprendil les récite à la demandeça ne lui pose aucun problèmesauf que c’est, les poèmes, très difficile à direparce qu’on ne sait jamais commentIl joue Tchékov, Beckett, Brecht ou Claudeltout ce qu’on veut sans hésiteril joue parfois des pièces à moicet auteur dans lequel il vitpas cabotin pas m’as-tu-vu sans prétentionil a même refusé par humilitéde jouer un rôlespécialement écrit pour luile pilote d’Hiroshima qui a cherché après la guerreen commettant des vols à main arméeà se faire condamner et punirpour avoir indiqué que les conditions climatiquesau-dessus d’Hiroshima une des trois villes choisiesétaient très bonnes pour un bombardement(…) Non il n’a aucune exigenceil est dedans l’auteur et il lui obéitet comme un serviteur zéléil se tient à son serviceet quand l’auteur monte un autre auteuril se met aussitôt en quatreil ne recule devant aucun effortil apprend même à danser les claquettespour jouer Dudley Craving Mac Adamou portant une montagne de masquesil joue le choeur à lui tout seul des PersesTout ce qu’il faut faire il le faitjamais ne rechigne à la tâcheet s’il faut jouer un noir il se proposeil se maquille entièrement en noiret même en scène pour faire plus moderneil va toujours dans le bon sens spectaculaireprêt à faire tout ce qu’on veutaucun auteur aucun metteur en scènene peut souhaiter avoir mieux sur une scèneil est en somme un acteur idéalet quand je conteste il m’approuve(…) Cet été-là de 66 ce fut un été décisifpour moi et pour mon locatairemon cher hôte permanent acteur privé âme damnéeil s’opéra en lui une transmutation et il se mit à naîtrece ne fut pas alors un changement brutalmais une lente évolution une irrésistible croissanceà partir d’une simple image de presque rienvenue de son désir de son imaginairel’ombre d’un homme dans un coin du théâtrepoursuivi par un projecteurElle venait de lui il se voyait traquémoi je veux exprimer lui il veut s’exhibermoi montrer lui se montrermais cette image-là je m’en suis emparéà cette époque-là la guerre du Vietnamjetait sur notre table aux heures des repasses enfants nus terrifiés en larmesses corps calcinés au napalmses assassinats en directet ses bonzes en flammesL’ombre de mon acteur traversait ces enfersme conduisant de personnage en personnageet survolant le mondeet découvrant le théâtre gigogneun personnage en joue un autre qui en joue un troisième qui en joue un quatrièmetous emboîtés comme des poupées russesla fameuse distance à la portée de tousil vit tout le parti qu’il pouvait en tireril se mit à rêver à je ne sais trop quoiil se vit en héros pour je ne sais pas quiil m’obligea à revenir à la motoà la moto de grosse cylindréeJ’ai du abandonner le chapeau les gants la cravateendosser le blouson, serrer le casque et enfiler les botteshooligan de retour il m’a fait basculeret sa saga à lui a enfin commencém’a suggéré de reprendre les Perses à troissous le titre de Xerxèsil jouait Xerxès et sa propre mère Atossas’il avait pu il aurait bien joué son père aussijouer tout et n’importe qui n’importe quoi (…) Ce fut la bagarre sans fin pendant dix ansquand il avait un beau rôletout était bon pour faire du tapage et foutre le bordelm’obligeant moi timide et discretà taper sur la grosse caisseà jouer de la guitare et de tas d’autres instrumentsà jouer comme un loup avec ce hurlement…mais en 76 après Géronimo et pour plusieurs annéesle retour à la base et fini les grands rôlesjusqu’en 81 puis en 83(…) Bref il m’en a fait voir de toutes les couleurset tout dernièrement encoreil a voulu jouer au metteur en scène sur scène: »Joue pour moi jeune fille »!…………………………………extraits d’un très long texte inédit non joué écrit en mars 91   

André BENEDETTO théâtre des charmes 84000 AVIGNON

à

Thierry PAILLARD compagnie le rouge et le vert 13 ARLES

Cher ami, Je vous remercie de m’avoir invité à la lecture de votre prochain spectacle. Comme je vous l’ai dit rapidement à la fin, j’ai apprécié ce travail et souhaité que la ville d’Arles la première, sache l’aider comme il le mérite. Le choix du thème est pertinent et renouvelle un peu la vison qui s’impose trop souvent de ce « pauvre » Van Gogh, souffrant dans son coin comme un damné! Ici au moins on sent la création au milieu de la vie quotidienne. Le montage et le rythme sont bons. C’est une belle idée de montrer cette amitié du facteur et du peintre. La sempiternelle vie passionnée de l’artiste s’enrichit tout à coup de la vraie vie entre les gens. Il faut dire que ce Roulin était quelqu’un lui aussi d’étonnant. Vous avez eu raison de suivre la leçon de Michon. Vous sera-til possible d’utiliser un portrait de Roulin? Meilleurs voeux pour la suite!

P.S. Ceci dit je dois vous faire deux remarques. D’abord, le titre me paraît faible. En général il est préférable que le titre ne fasse pas de commentaire sur l’oeuvre, et qu’il se contente simplement de la désigner! Exemple: Le Facteur de Van Gogh! Pour qu’on sache de quoi il s’agit! Ensuite si vous devez refaire une lecture, demandez-vous si le texte à la main n’est pas plus efficace que les pupitres, très tendance? J’ai reçu un groupe polyphonique corse: Voce et Terra. Ils chantaient autour d’un pupitre, parce qu’ils ne savaient pas les textes par coeur! Et moi j’avais l’impression que leurs voix ne sortaient ni de leurs poitrines ni de la terre mais du pupitre!

Evidemment la question se pose de savoir s’il vaut mieux pour une lecture que le texte sorte d’un corps ou d’un pupitre? De toute manière, à partir du moment ou un texte est proféré, de n’importe quelle manière, il n’est plus le texte qui est écrit! La chair déjà l’a corrompu de ses haleines… Oui bien sûr que le pupitre permet de dégager les deux mains…

PAS DE SPECTATEURS AUX REPETITIONS

Curieux comme il y a des évidences qui mettent des décennies pour devenir claires. Dans la nuit du 12 au 13 mai 01 vers minuit trente chez Avedis, tandis que j’expliquais la contradiction dans toute répétition entre la nécessité de préparer la représentation pendant la répétition et la nécessité de n’en pas tenir compte pour ne se consacrer qu’au travail de la répétition ici et maintenant, j’ai soudain compris pourquoi nous n’aimons guère avoir des spectateurs, des témoins pendant que nous répétons.

 En général on prétexte que les acteurs n’aiment pas, que ça gêne leur travail, qu’ils sont dans une phase intime et qu’ils n’apprécient pas d’être ainsi dévisagés par des espèces de voyeurs. Certes il y a de cela mais ce qu’il me parait surtout c’est que les personnes étrangères dans la salle deviennent automatiquement des spectateurs. Et tout spectateur comme toute spectatri-ce entraîne presqu’automatiquement l’acteur ou l’actrice à jouer, ce qui n’est pas du tout souhaitable.

 Quand ça joue ça ne prépare pas, ça se consomme, ça se consume, et donc on perd du temps, on ne travaille pas et on risque de s’engager dans une mauvaise direction. C’est la répétition au risque du spectaculaire! Peut-être suis-je en train d’enfoncer une porte ouverte?

TETANISME

Le verbe se fait chair, la chair se tétanise et si tu n’y prends garde elle devient de l’os. Des éclairs sont lancés mais ils ne brûlent pas! Les filles, je leur demande de parler en dansant. Elles parlent, elles bougent et peu à peu le verbe prend le dessus, et il tétanise le corps. Je connais bien ce phénomène que j’ai souvent éprouvé au cours des grandes improvisations. Je suis tellement tendu par la volonté de produire un verbe fort qui tienne le coup qu’il vient un moment où je m’immobilise et je me pétrifie peu à peu. Avec la peur de se casser et de perdre un morceau. J’ai compris qu’il faut d’abord commencer par bouger, par danser et parler ensuite dans le mouvement, mais si on lâche les mots en premier c’est foutu. Le verbe se fait chair et la chair se fait os. L’une est paralysée par son « lyrisme » de petite chève de monsieur seguin nianiania et l’autre par ses codes de trapèze. Paralysée par sa compé-tence acrobatique! Il faut qu’elle prenne conscience de ses impératifs à elle et qu’ensuite elle ménage un couloir à la parole à l’intérieur de sa structure solidement établie. Alors à l’intérieur de son mouvement, elle émet de la parole et même immobile elle doit continuer à trapézer, à frissonner. D’où la nécessité pour toutes les actrices et pour tous les acteurs de se mettre en mouvement sur scène même en restant immobile. Il faut que ça bouge d’abord et préalablement à la profération du moindre mot, un peu à la manière d’un boxeur. Globalement l’acteur ne sait ni danser, ni chanter. Sa propension au lyrisme et sa volonté de mettre une intonation doivent être diverties, effacées, transmuées. Voir par ailleurs: l’acteur est un tuyau.

mer 27 06 00

L’ACTEUR EST UN TUYAU

Tu devras lui dire que c’est lui le tuyau. Car l’acteur ne doit être qu’un tuyau, sans chair et sans âme. Rien d’autre qu’un tuyau d’arrosage qui doit laisser passer les eaux, et il n’a pas à se préoccuper de la température, de la qualité, de la couleur des eaux qu’il conduit! Et ne pas s’entartrer, se déformer, se boucher. L’important est qu’elles coulent, les eaux!

 Et meilleur sera le tuyau, et meilleur sera l’acteur. Moins il sera le personnage, plus alors il sera lui-même, et par conséquent paradoxalement plus il sera le personnage. Difficile à faire comprendre. Ils croient qu’on veut les empêcher d’être eux-mêmes, de s’exprimer, alors que justement on cherche le contraire qui est de leur permettre d’être enfin ce qu’ils sont dans leurs profondeurs.

 On connait cette répartie:

– Comment vas-tu?

– Yau de poële!

 Le clown qui a ainsi répondu bêtement à une question rituelle par cet écho, par ce prolongement, par ce jeu de mots a révélé tout le secret! Peut-être se sentait-il sur la piste comme un tuyau de poële ou peut-être de poils, comme une bête. Comme un tuyau, comme quelque chose de creux qui laisse passer la parole du personnage qui n’existe pas.

 Ça passe à travers moi. Il a pu constater, ce clown-là. Quelque chose passe. Quelque chose parle. Quelque chose joue. Quelque chose tire, comme dit le maître de zen. L’archer doit tout faire pour que « ça tire », indépendamment de lui, et souvent même malgré lui. Et pour cela il faut: devenir transparent, immatériel, et d’abord perdre toute volonté de réussir.

 Le bien faire n’est pas de chercher à atteindre la cible, mais de permettre le lancement de la flèche dans les meilleures conditions. Pas un accroc en toi, pas une aspérité, pas un désir, pas une intonation, pas une indication de sens, pas une pensée même, rien! La technique suprême est le total effacement de toutes les techniques et de toute volonté de gagner. Difficile!

 Tu seras sur la scène comme le tuyau d’arrosage qui ne fait pas de sentiment, qui accomplit sa seule tache: de laisser couler les eaux… Ici je pense arroseur arrosé. Je ne sais pas pourquoi. Je ne vois aucun développement possible à cette image.

 Bref tu n’as pas à apprendre mais à désapprendre. Jouvet qui écrivit quelque chose comme, je crois, la vaine manie d’un moi te possède, médite-le. lun 14.05.01

C’EST TOI LE MODELE

Il a fait des stages et des formations de théâtre, de bouffon médiéval, de mime et de clown, de danseur-acteur-chanteur, de clown encore, sur plusieurs années. Plus une année dans un conservatoire. Plus ou moins, il pratique le théâtre depuis quinze ans. Il a participé à plusieurs spectacles… et même avec des gens connus, qui ont du métier… Et pendant tout ce temps et avec tous ces gens, il n’a rien appris, pas même à lire à l’italienne.

 Ces gens qui auraient dû l’aider et qui ne l’ont pas fait, que faisaient-ils? L’ont-ils jamais écouté une seule fois? Comme ils auraient dû. Ou alors ils ont les oreilles tellement gâtées et corrompues qu’ils ne peuvent plus se rendre compte de rien. Ils laissent se dérouler la chansonnette presque traditionnelle, sans jamais l’interrompre. Il le laisse parler faux.

 Il met l’intonation comme s’il récitait la petite chèvre de monsieur seguin, il fait du lyrisme de pacotille en relevant toutes les fins des phrases et des vers, il parigotise le texte, il met des mots en valeur on se demande pourquoi, il ponctue de ses mains comme un politicien un discours, il laisse parler quelqu’un d’autre à sa place

 Quand je dis qu’il n’a rien appris, ça veut dire qu’on ne lui a jamais demandé de se mettre au centre de lui-même. On ne l’a jamais entrainé à ça. On ne lui a jamais dit que le personnage n’existait pas. Il croit encore que le personnage est à côté de lui et qu’il doit essayer d’y entrer dedans, de lui entrer dans la peau. Comme les soldats qui apprennent à marcher au pas. La cadence avance à côté d’eux, ils y sautent dedans. D’où peut bien sortir cette expression: la peau du personnage? De quelle penderie?

 On ne lui a jamais dit franchement: l’indication que je te donne n’est pas une forme dans laquelle tu dois entrer, car c’est toi la forme. On ne lui a jamais révélé la vérité première à savoir que c’est lui le modèle, qu’il n’y en a pas d’autre. Et moi je devrais lui dire que c’est lui le tuyau. dim 13.05.01

JEUNE OU VIEUX C’EST PAREIL!

Homme aimable, oeuvre admirable, Omar Khayyam! On l’imagine déjà un peu vieux quand il écrit ses quatrains. Il fait le bilan, le constat, l’état des lieux. Il parle bien, au nom de la vieillesse. Il remue un peu les regrets. Il diffuse mélancolie. Il éponge la tristesse. Et les vieux qui l’écoutent se disent comme lui Ah c’est bien vrai. Il aurait fallu profiter, ne pas se démener pour rien, ne penser qu’à jouir. De leurs regrets, ils font a posteriori, des règles de conduite. Mais s’ils redevenaient jeunes ils recommenceraient pareil, tous leurs excès! Peut-être?

 Si vous faites des ateliers avec des dames et des messieurs agés, vous verrez comme ils aiment les histoires d’amour. Quel que soit le point de départ et le sujet, ils n’improvisent que de ça: l’amour-l’amour. Ils revisitent leurs jeunesses. Et ils frémissent et ils revivent. Et ils vivent par le théâtre quelque chose de grand, de parfait, l’idéal. On peut se demander si toutes les histoires de Tristan et d’Iseut, ne seraient pas des oeuvres de vieillards. Ou alors de très jeunes gens en révolte. Les vieillards sont des ados, les ados sont des vieillards. Ils se disent: j’aurais aimé ou j’aimerais que ce fut ainsi!

 Omar Khayyam peut-il être un exemple, un modèle pour la jeunesse? Est-il lui-même un très jeune poète Oui parce qu’il est en rébellion. Il fait la profession de foi de quelqu’un qui ne veut pas être dupe. Il refuse toute croyance, tout dogme, toute idée reçue. Il est très jeune. Il entraîne à la lucidité, il contribue à forger des esprits libres et purs, il conseille l’amour, la recherche du bonheur simple et la consommation du vin, quintessence de l’univers, sève-même de la terre. Il n’est pas dans le mystique, il est dans l’idéal, il est dans l’érotique, il est dans le voyage et dans la liberté.

 Du vin ou du haschisch? Ou n’importe quoi d’autre, ainsi que prêchait Baudelaire, enivre-toi, peu importe de quoi… Et les adultes alors, les femmes et les hommes mûrs, où sont-ils donc? Ils sont en train de basculer d’un idéal dans un autre idéal. Et ça leur parle très vigoureusement. On les voit bien rentrer à la maison, se servir un verre de vin et se dire en le sirotant: Bon alors maintenant, que vais-je faire? Et c’est à elles et c’est à eux de décider!

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André Benedetto, Ecrits IV

textes sélectionnés et « posés sur la toile » (expression de l’auteur) par lui même à partir de 1999

DANS LA STATUE IL Y A UN HOMME

Avec Jaurès, on se trouve d’emblée dans le sublime et dans le colossal. Cet homme a tout d’une statue géante, d’un bloc de cristal qui représenterait une conscience humaine à l’état pur, et qui émettrait des sons venus des galaxies. Il n’était pas tout seul à lutter contre la guerre. Ils étaient très nombreux. Mais on l’a cru capable d’en arrêter à lui tout seul le processus. La preuve en est qu’on l’a assassiné et que deux jours après la guerre a éclaté. En France il y eut 1 500 000 morts. Et 1 500 000 morts, ça fait 1 500 000 veuves et combien de millions d’orphelins? Les survivants de la der des ders ont regretté sans doute de ne pas l’avoir écouté. Et il fut le premier mort. Et martyr de la paix. On a peine à imaginer l’importance de cet homme en ce temps-là. Une importance telle qu’un inconnu, propulsé par une presse haineuse et par les Péguy, Daudet, Barrès et d’autres, ait pu penser qu’il suffisait de l’éliminer pour que la guerre puisse se déchaîner.

 Son importance ne fit alors que croître et la statue se mit à se dresser. Ça intimide et ça pétrifie même. On se dit si je m’en approche, si j’essaie de regarder de près ce phénomène, et d’escalader jusqu’à ces cimes, je vais être pris de vertige et dégringoler de très haut. La face à face apparaît difficile. On a envie de fuir, de passer son chemin… Et en plus, pour tout couronner, dans notre époque où l’inhumain chez un homme est donné comme le signe majeur de sa réussite sociale et… humaine, où on peut voir un grand patron se présenter publiquement comme un tueur pour prouver son excellence, notre grand homme a quelque chose d’anachronique surtout avec la barbe, d’insolite, d’incongrue et de presque surnaturel avec son image de saint qui lévite en forme de ballon. Et combien d’autres images qui collent au personnage!

Avec lui hommes et femmes se sentaient devenir bons. Ils l’ont dit. Parce que nous les humains nous aimons qu’on nous parle du fond du coeur, mais avec les poches vides. Il semble la chair-même du peuple. Il émerge de la masse, et il l’engendre.

Sort-il d’elle, sort-elle de lui? On ne sait plus.

Si on feuillette les tables des matières des biographies, on a l’impression de lire un catalogue des vertus. Orateur surdoué, premier en tout, agrégé de philosophie, pacifiste, grand vainqueur des méchants, visionnaire… Il donne une impression de perfection totale. En même temps qu’un orateur et qu’un tribun exceptionnel, homme de la parole, il est un homme de l’action: initiateur de la Verrerie ouvrière, fondateur de l’Humanité, éditorialiste, polémiste, historien, militant… représentent énorme et toujours plus gigantissime. Un des plus statufiés de notre siècle, il n’a jamais été déboulonné, et ne le sera sans doute jamais.

Ah oui c’est très impressionnant. Mais il ne faut pas se laisser impressionner et intimider par cette statue faite de clichés écrasants. Dans la statue il y a un homme. Il ne faut pas abandonner Jaurès à sa solitude grandiose. Il faut tirer ce nouveau dieu à soi et y plonger dedans. Il faut aller voir de plus près, traverser le mythe et trouver le tissu des émotions et des pensées dont il est fait, essayer de le retrouver au quotidien et tout de suite il faut ouvrir une biographie et la lire.

– Laquelle? – N’importe laquelle pour commencer. Elles sont toutes bonnes. Dans chacune il y a du bon, Jaurès oblige! Il y a un homme plutôt petit, rond et carré, bon vivant et bourreau de travail, tendre et terrible, haut en couleurs et même en noir et blanc, grand cerveau et grand coeur encore plus qu’on n’imagine,

très émouvant et en plus…

Quand on apprend qu’il lui manque parfois un bouton, comme à Giordano Bruno, qu’il a souvent des pantalons tire-bouchonnés, qu’il lui arrive de s’éponger le front avec une chaussette, on sent que l’investigation de l’individu devient plus facile. On entre avec lui dans sa vie. Et on sort de la croyance.

On trouve un homme. On le voit se battre pour la liberté, pour la justice, pour l’émancipation de tous les êtres humains, au jour le jour, plongé sans réticence dans le réel le plus pauvre, avec des hommes et des femmes qu’il connaît, qu’il côtoie, qu’il écoute, et avec lesquels il s’explique..

On le voit chercher, naviguer à vue, parer au plus pressé mais se maintenir toujours au cap de son utopie. On découvre un projet et une méthode. Il n’a pas de vérité établie. Il n’a pas de réponse toute prête. Il cherche. On le voit au milieu des choix à faire, comme nous, et c’est difficile. Les obstacles qu’il a rencontrés, nous les rencontrons chaque jour. Il était au début de notre siècle et il a voulu l’arracher à son destin de guerre, en se dressant avec toute la puissance des forces populaires et créatrices du 19ème. Et le 20ème en naissant l’a tué pour libérer d’autres forces occultes et devenir ce qu’il était, peut-être: une accumulation prévisible d’horreurs. Et crac, le revoici à la fin de ce siècle. Comme dans un grand film de science-fiction, fulgurant. Quand tout a été consumé, voici Jaurès, le chercheur d’humanité qui revient.

A la fin du siècle avec nous. Ça tombe bien! L’ONU vient de décider l’an 2000 l’année de la culture de la paix. Et voilà Jaurès en chair en os et pas en forme de statue, qui nous accueille sur le pas de la porte, à la charnière des millénaires. Il a des idées sur la paix, de l’expérience, une grande bonté. Il ne s’agit pas de croire en lui mais de travailler avec lui. Et de plonger en lui, d’essayer de convaincre et de s’attendrir avec lui, de devenir meilleurs, de négocier sans cesse, de chercher la conciliation, de trouver une solution, d’enseigner…

Bref d’être des humains, si on peut dire encore, qui ont le respect de l’autre, et de toute vie.

 … et alors cette bouche s’ouvre et la parole coule et le souffle et la voix le verbe se fait chair et c’est vraiment pas cher et c’est encore gratuit quand ça répand la lumière et l’amour comme des milliers de lueurs enfin dans la nuit noire au fond des hommes il y a cette voix peut-être le besoin de cette voix oui une voix peut-être un souvenir commun… Aquela votz que parlava occitan amb minaires e pacans, e totei lei trabalhadors dau païs sieu. Cette voix qui parlait occitan avec mineurs et paysans et tous les travailleurs de son pays.

André Benedetto. 

CHOEUR

Mon cher Félix, je t’avoue que je n’ai pas très bien compris ton diagnostic! J’espère que mon mal n’est pas trop grave!

 Lorsque je me suis intéressé au Macbeth de Sh. c’était pour en faire un spectacle de notre théâtre gourmand: le banquet de Macbeth avec soupe d’orties, ailes de chauve-souris, etc… Et puis un jour de cet été je suis passé au texte pour voir un

peu comment j’allais tripoter ça, et mettre sur pied le spectacle avec des spectateurs convives, participant plus ou moins à l’action, y compris comme figurants.

 D’emblée, je suis tombé sur les sorcières. Forcément, puis-qu’elles font la première scène où elles annoncent qu’elles

vont rencontrer Macbeth. A partir de là je ne pouvais plus m’en tenir à un vague scénario de repas. Il y a les sorcières et elles ne peuvent pas être au banquet!

 Je ne me souviens plus du détail des difficultés rencontrées mais enfin je me suis trouvé devant le problème suivant: comment jouer le spectacle, un Macbeth tout simplement, avec le minimum d’acteurs et d’actrices, avec une sorte de choeur.

 Je pense que le problème fondamental du théâtre est celui du choeur. Très difficile à résoudre. J’ai souvent procéder comme si la troupe dans son ensemble, et en permanence sur la scène, représentait le choeur: l’outil par lequel l’histoire se raconte et progresse. En 67 avec Xerxès (Les Perses), nous étions trois en blouson noir, nous représentions les vieillards et nous jouions les personnages. En 73 avec Gaston D. la troupe en voyage s’arrête dans une auberge… En 95 avec Comédie dans un bus, un choeur se constitue de gens qui vont vivre ensemble une aventure… Je passe sur tous les autres exemples plus ou moins réussis.

 Depuis trois années, je pratique un choeur un peu différent, un peu spécial: le choeur fictif, le choeur supposé, le choeur

désigné auquel on s’adresse et qui ne répond pas.

 Dans Ciao Amore, le public représente les invités de la noce auxquels, en particulier, les parents s’adressent; dans Terres

Brûlées, la vieille tante s’adresse aux ombres du pays (tous les morts) supposées suspendues partout autour; dans Fleur du Béton l’adolescente crée plusieurs choeurs auxquels elle s’adresse elle seule (ses copains et copines, les ombres des habitants partis, les nouveaux habitants lointains).

 A la lecture, on ne peut pas imaginer l’importance dramaturgique, c’est à dire le rôle dans l’action, que ces choeurs

vont jouer lors des représentations.

 Il ne s’agit plus d’un public, d’un groupe de spectatrices et de spectateurs pris simplement à témoins mais d’un ensemble de personnes que le personnage considère comme ses parents, alliés, amis, etc… et qui sont donc comme caractéristiquement le choeur.

Le spectateur se trouve mis en position de dédoublement, de dé-centrement, ce qui n’est peut-être pas confortable en cette époque!

 J’aurais aimé faire une sorte de choeur par lequel l’action sefait et se raconte. Mais voilà il y a les sorcières. Et moi je suis

donc tombé sur elles. La rencontre est toujours rude, les résultats souvent épouvantables. Moi, je ne m’en suis pas trop mal tiré. Elles sont d’un autre monde. Si elles étaient seules sur scène pour raconter cette histoire et jouer tous les rôles ça ne pourrait être qu’à un congrés de sorcières.

 Aucune ne peut jouer Macbeth car Macbeth est leur jouet, leur créature, leur souris. Il y a donc le Lord et s’il y a le Lord, il y a donc la Lady. Et nécessairement Banquo, le personnage quasiment muet mais dont la présence est fondamentale. Ce qui fait six personnes. Pour que ça puisse se faire il faut encore quelqu’un que j’appelle le magicien-tambour (que je joue) pour lui faire jouer plusieurs autres personnages et surtout pour lui faire conduire l’activité musicale d’une importance capitale.

 Ah quel dommage que tu n’aies pas VU! Ce magicien et les sorcières installés à demeure sur scène sous une sorte de hutte figurée par un faisceau de longues cannes coupées le long des ruisseaux. Cannes qui servent aussi de lances aux gardes, de perches de suspension pour divers objets, de poignards…

 Macbeth à lui tout seul est une formidable enflure baroque, comme une cloque sur une chambre à air, qui fait apparaître que la chambre n’est qu’une baudruche gonflée! Inoculé par les sorcières, il interprète l’oracle de travers, courcircuite la

trajectoire du destin, se place entre le roi et son successeur légitime, brouille les cartes! Mais son règne, vaine tentative pour occuper le centre, ne sera qu’une parenthèse. A la fin l’héritier légitime retrouve ses droits, ses seigneurs, ses amis, ses intérêts, ses oripeaux… Tout rentre dans l’ordre. Ca se termine bien! Mais quelle leçon sur le vide du plein apparent!

 Donc Macbeth tue le roi et ensuite il n’arrête plus de tuer, pour affermir son pouvoir. Elle comprend tout de suite qu’il n’y

avait rien à tirer de cette aventure, elle renonce et devient folle d’avoir cru et d’avoir commis tant de meurtres pour ne posséder qu’un hochet. Je suis la riène! dit-elle à juste titre.

 Pour les âmes biens nées, bien trempées, ambitieuses comme elle -elle qui est d’ailleurs le double de son mari et l’autre

centre, en somme- pour ces âmes-là, il apparait que le centre-même est vide creux inutile, que le pouvoir n’est pas une

simple affaire de satisfaction personnelle mais un leurre, et une affaire de clan, de cour, de clientèle.

 Voici un couple à la scène, comme l’unité des contraires, un double centre comme on en voit peu. Car l’homme et la femme, où est le centre quand ils sont égaux? C’est l’énigme même de la pièce. Alors pour s’en tirer on présente toujours Lady comme l’instigatrice, comme l’âme damnée du Lord, ce qui est faux! Il n’est pas le jouet de sa femme, ni elle de son mari. Elle comprend plus vite, c’est tout.

 Et puis il y a la superposition du monde des sorcières et de celui des humains. Lequel est le vrai? Le nôtre sans aucun doute!

Mais le leur domine, irrigue, ironise, subvertit et submerge le nôtre. Alors je les garde sur scène, les sorcières. Elles viennent aider à l’accomplissement de la mission, comme choeur actif, pseudopodes et tentacules du destin.

 Pendant la représentation, du sang versé et des morceaux de cadavres, elles préparent la sangria qu’elles servent à la fin.

 Elles ont le statut ambigu par excellence: elles font les sorcières aux yeux bandés, elles chantent et dansent et puis elles

font tous les personnages en groupes, tous les ensembles (Tous ensemble, tous ensemble, ouais!) c’est à dire les dames de

compagnie de Lady, les gardes du roi, les assassins affidés par Lord, les seigneurs, les guetteurs, les jeunes lords…

 On voit les hommes à l’oeuvre, toutes leurs trajectoires qui se croisent: Macbeth (la dynastie éphémère), Malcolm (la dynastie à court terme), Banquo (la dynastie à long terme) et on voit le destin à l’oeuvre à travers, à côté et au-dessus de ce tissage. Le destin conduit, représenté, incarné par cette équipe de théâtre de régisseurs, de musiciens et de valets de scène qui apparaissent les premiers et qui vont tout faire jusqu’à la fin, sorte de choeur, pour préparer, pour prendre en mains et animer, pour accueillir et servir les acteurs, leur donner la réplique…

 Il faut imaginer: les temps à diverses vitesses comme des trains parallèles qui s’accompagnent, les espaces superposés qui se secouent, les personnages polyvalents, les trajectoires de ces gens, les sorcières qui restent une phénoménale invention

incompréhensible! Et en plus un macbeth noir… pas parce qu’il est noir je l’ai pris mais parce qu’il est naïf comme le personnage!

 Ce sur quoi il faudrait réfléchir c’est sur l’énorme différence qu’il y a entre les Nordiques et Nous dans le rapport au choeur, me semble-t-il, et dans le rapport aux morts.

 Dans le rapport au choeur il faudrait étudier des pièces de diverses époques. Chez les Anglais, Allemands et Français…

Comment ils évacuent la question!

 Dans le rapport aux morts on sait qu’il est courant de voir les morts revenir visiter les vivants chez Shakespeare, et sans

doute chez d’autres auteurs. Chez nous jamais! Les morts ne reviennent jamais. Ils savent ce que c’est que l’horreur de la vie. Ils ont vécu. Ils ne tiennent pas à revivre. C’est nous qui allons chez les morts quand nous voulons les consulter, comme Ulysse par exemple, dans Homère.

 Moi j’ai été très étonné de voir au Caire l’an passé un cimetière dans lequel je me rends souvent dans mes rêves. C’est

une sorte de vrai village en volume, où parait-il il y a de plus en plus de pauvres qui habitent. Mais le mien je crois est plus

délabré. Du moins en certains endroits et là-bas je n’ai vu et reconnu qu’en passant en voiture.

 L’important dans cette affaire, contrairement à ce qui se passe dans le monde du cinéma et de la télévision, c’est

l’appropriation du monde culturel anglo-saxon par le monde culturel méditerranéen, ou du moins la bipolarité culturelle à part égale! Car il reste cette apparition de Banquo qui n’a pas d’autre fonction que de reparaître au plus vite et plusieurs fois aussitôt que mort!

 Les sorcières ont-elles été appostées par Banquo?

 Eh bien voilà la réaction que m’a suggérée ton impression d’un abandon du baroque pour une plongée dans le classique!

REGENERATION

chez nous on a ravalé des façades comme les chinois ravalent périodiquement les ossements de leurs ancêtres

et puis ils les renfouissent mais nous nous transformons tous les bâtiments en sépulcres qui se dressent honteux dans leur obscénité mais la pluie ne les dissout pas dans l’air du temps

déjà les explosions avaient commencé le travail juste au pied du palais pour la rendre à la mort

la ville et là-dessus il y a des idées bizarres qui courent dans des archi-têtes sur la manière d’organiser l’urbain on a vu un quartier central devenir une sorte de nécropolele centre-ville a eu son premier infarctus

je suis toujours en plein coeur du sujet alors le quartier de la balance le bien nommé a été balancé on a oublié où mais il en reste un souvenir

après ce fût le palais paul vidal où se donnait toutes les fêtes mon mal vient de plus loin à peine au fils d’égée

sous les lois de l’hymen je m’étais engagée ils ont fait péter les immeubles pour offrir du terrain dans la proximité aux tribus de la mort qui ont plus d’or accumuléque toutes les tribus de la vie rejetés loin vers les bâtiments gris ils existent ces bâtiments je les ai vus sous leur nom de poète ils existent encore

et sur leurs façades au soleil il n’y a pas une seule fenêtre je n’ai jamais cessé de redécouvrir les banlieues

elles ne sont jamais les mêmes moi banlieue faite de banlieues leur histoire est aussi la mienne

j’appartiens à l’océan sud qui vient battre tous les remparts de ses grandes vagues salées

pour chanter la rengaine des peuples nous sommes là vivants pensez à nous ne nous oubliez pas

c’est pas des sauvages du tout mais c’est moi dont il est question pas des peuplades écoute bien ni des insectes je ne noue pas avec eux la relation du sociologue ni du missionnaire ni du commerçant ni de l’ethnologue ni du militaire vainqueur ni du livreur de culture ni du négrier encore moins

ni en allant un peu trop loin de l’exterminateur partisan of course de l’inégalité des races

je noue sans forcer la dose la relation de l’autre à l’autre avec moi-même et moi-le-même

ça me concerne étroitement il faut le dire je suis en terrain de connaisssance

des connaissances et de la connaissance

c’est mon histoire qu’il s’agit tu vas voir et là-dedans y a plein d’histoires

dans cette histoire-là la mienne y a plein de noeuds de carrefours de connections

avec plein de chemins partout dans tous les sens où tu peux si tu veux te perdre ou retrouver

mon histoire comme un univers de neurones une corde à noeuds une vie

il y a la langue de l’école il y a la langue de la vie et puis d’autres langues d’ailleurs venues

mais les gardiens de la prétendue pureté versaillaise veillent encore et même ils se font des dictées en direct très subtiles et ils s’y font des fautes et des farces et ils rient

ah comme ils sont heureux tous ces crânes savants aux machoires articulées trop bien huilées

à radoter des subjonctifs et à sucer des platitudes ah oui ton café fout le camp y a plus rien dans la cafetière

hélas comme bientôt gueulera mon macduff venu réveiller un vivant

je ne peux réveiller un mort en vérité qui voit autour de lui tous ces cadavres

moi aussi j’ai entendu les injures du racisme crétin à cause de quoi que mon pays que ça aurait pu être totalement la france ça le sera jamais tout à fait vraiment ça restera un pays inachevé dans moi avec un gros trou qu’on aurait pu en attendre beaucoup de ce pays mais il perd de plus en plus des morceaux de sa conscience évidemmenty en a qui croient que c’est pas grave que ça repoussera peut-être la conscience en entier comme les nageoires du tigre mais non

ils sont pas forts en biologie ils savent pas comment que ça se mélange ou comment que ça se mélange pas

des morceaux qui tombent à la poubelle de sa conscience à lui de responsable éthique du monde

ce pays qu’il aurait pu êtrepour donner un exemple à toutes et à tous juste un exemple

y en a plus des exemples nécessaires ce pays ne veut plus ressembler à la France

il veut ressembler à n’importe quoi adieu adieu je m’en vais sans tourner les yeux

je ne sais pas très bien encore si je serai chercheur d’or

ou chasseur de phoques au pôle nord chef de banque chez rockfeller

ou chef de bande chez les gangsters mais bientôt je serai millionnaire….

et pendant ce temps-là des gens quelque part dans le monde en lutte se mettent à chanter la marseillaise

et voilà que le disque s’arrête dans leur gorge ils se demandent ce qui se passe il se passe que le moteur il a calé dit po po po y en a plus des exemples et en même temps y en plus de plus en plus des exemples regarde c’est le concept de différence qui a hérissé ses cheveux sur leur langue et ils zézaient n’importe quoi à profusion lui il est plus ceci que l’autre il est plus cela et l’altérité alors c’est où que vous l’avez jetée

on devient on est devenu une autre république une et très divisible comme un troupeau de gnous fonçant dans les savanes

harcelé par les prédateurs pour accomplir sa migration mais nous les prédateurs

ils nous embrassent sur la bouche l’homme est un homme pour l’homme

tout le monde tue tout le monde pour la sélection de l’espèce

qui deviendra ainsi au cours des décennies de plus en plus forte et méchante cette espèce

il le faut il le faut pour conquérir les galaxies

et le progrès porter toujours plus loin on ne reviendra pas sur la loi du profit

ça nous dépasse individuellement beaucoup trop nous les individus on n’y peut rien faut accepter

peut-être oh je dis bien peut-être une chance à saisir avec eux et moi et nous les pieds dans les périphéries

qui sommes jusqu’au cou enfoncés dans le sujet principal et de l’intérêt général

intérêt et principal la fourmi n’est pas prêteuse eux je te dis qu’ils sont debout et que des citoyens ils sont

et ils refusent de se lancer dans la guerre civile dans laquelle on les pousse à grands renforts de forces

de manière systématique ô temps suspends ton vol

si dans leur coeur et dans leur corps et dans leur conscience les banlieues étaient identiques aux non-banlieues

villages restaurés centre-villes immeubles bourgeois hôtels particuliers zones résidentielles lotissements

elles ne seraient pas ce qu’elles sont c’est évident elles seraient depuis longtemps ces banlieues-là

en guerre déclarée ouverte impitoyable ce qui n’est pas le cas et on semble le regretter

mais ni moi ni bien des amis et connaissances on ne pense le mal et beaucoup et beaucoup qu’on ne connaitra pas

qui ont encore quelque imagination et grand désir de vie

désir aussi intense que celui des ados là où ils ont vécu là où ils vivent est leur pays

territoire de leur jeunesse ils sont partie intégrante de nous

moi par exemple qui suis un cas extrème nous sommes tous des cas extrèmes

considère-toi comme un cas extrème et tu te verras autrement

au milieu des problématiques et des horreurs.

SCHEMA DE L’ INTERVENTION D’ANDRE BENEDETTO POUR LE CAIRE

 Je parlerai du corps de l’acteur selon deux cas:

1. l’acteur représente un personnage muet

2. l’acteur représente un personnage parlant

1. Le corps du personnage muet:

 Parmi toutes les pièces que j’ai écrites et montées, il y en a plusieur qui mettent en scène un personnage fondamental qui ne dit rien, ne prononce pas un seul mot.

La présence du personnage n’a pas toujours exactement la même fonction dans le spectacle et le travail de l’acteur garde à chaque fois une dimension spécifique.

 LE MARCHEUR (1975)

 Cet été-là à Avignon un jeune homme inconnu se mit à marcher à travers la ville dans tous les axes, parcourant des kilomètres pendant des heures. En plein Festival il était troublant de voir ce garçon prendre la ville entière comme scène pour y déambuler en sifflant et sans jamais prononcer un seul mot. J’écrivis alors un long poème qui devint

le prétexte d’un spectacle de clôture dans lequel tandis que je disais le texte un acteur marchait sur place sans rien dire, obstiné et que les autres faisaient l’environnement festivalier.

 Alors voyez l’acteur marche sur place. Silencieux comme une énigme. Et quelqu’un parle pour interroger cette marche. Pour essayer de l’éclairer de la comprendre. Pour en tirer du sens des sens. Lui qui marche dans tous les sens. Du sens

oh oui il semble. Qu’il ait perdu le sens les sens. Car il n’est pas « normal » de se comporter ainsi. En plein milieu du Festival tout seul. Prendre pour scène uneville pleine de scènes!

 La question qui me préoccupait alors était celle-ci: qui de lui ou de nous donne au monde le spectacle, la représentation nécessaire? Est-il en train de nous anéantir, cette espèce de citoyen-théâtre?

LE MINOTAURE D’AVIGNON (1978)

 La question m’a préoccupé longtemps. Elle me préoccupe encore. En 1978, nous créâmes un spectacle, en collaboration avec un très grand nombre d’habitants. Ce spectacle qui se déroulait en plusieurs lieux de la ville commençait dans notre théâtre aménagé en arène dans laquelle le marcheur se remettait en marche, entouré cette fois d’un choeur d’habitants qui regardaient et commentaient l’action du personnage. Dans ce cas-là la fonction de l’acteur n’était pas exactement la même. Ni la signification de son acte à travers la ville. Il marchait encore. Il n’y avait plus une seule personne à parler,

l’utilisant un peu comme une illustration. Ils étaient plusieurs et leurs interrogations quis’accrochaient à lui ne faisaient qu’amplifier le mystère. Celui des sens.

 Il aurait fallu alors questionner les deux acteurs pour leur faire dire comment ils vivaient cet acte muet solitaire. Mais personne n’y pensa! Moi j’étais persuadé et je le suis toujours que c’est une excellente école pour l’acteur d’assumer un rôle de ce type sur la scène. Il est dans une fonction répétitive. Il doit affiner son mouvement. L’accomplir

jusqu’au bout des ongles. Peu à peu percevoir des détails inconnus et ciseler le travail comme un orfèvre. Une quête ontologique par l’exploration systématique du corps lancé dans un mouvement ne peut être que bénéfique pour des êtres dont la tâche principale est la présence.

 On n’a jamais non plus questionné les spectateurs!

 Mais voici que d’énigme la marche de l’acteur devient le support de la voix.

 JAURES LA VOIX (1984)

 J’avais reçu commande d’une pièce sur Jean Jaurès, le socialiste français qui, s’opposant à la guerre de toutes ses forces, fut assassiné par un fanatique le 31 juillet 1914. Il me parut très vite impossible d’écrire les scènes obligées de la vie de cet homme exemplaire. Elles me paraissaient exister déjà partout… comme des icônes laïques.

 Je résolus alors, car c’était un très grand orateur, de m’en tenir à la voix. J’écrivis cinq monologues de 10 minutes chacun dont un entièrement sur la voix, les mots, le verbe et plus généralement l’oralité. Je demandai à un acteur de représenter cette figure légendaire avec barbe, melon et manteau et de marcher, de tourner sur place comme une

vieille photo, comme un hologramme. Lui, il faisait presque toujours la même action.

Autour de nous deux, nous enveloppant, un ballet d’acteurs et d’actrices jouaient des pantomimes lentes évoquant la vie de cet homme. Le tout sur fond de musiques répétitives mais chantantes que j’avais composées au synthétiseur sur le mode interminable!

 La figure représentée par l’acteur, un personnage politique très connu dont on croit déjà tout savoir, donnait à voir de manière palpable la légende d’un homme et la marche de l’histoire, le ressassement et le piétinement. Cette figure devenait le centre, en volume et en filigrane, d’un ensemble d’activités ( l’acteur muet, la parole, les acteurs dansants, les musiques) qui intervenaient les unes sur les autres de manière aléatoire. Si j’avais alors disposé d’un jeu d’orgues électronique à mémoire, j’aurais composé aussi les éclairages avec des successions de chenillards.

 On comprend que le rapport que nous avons à l’histoire se trouve ainsi soumis grâce à ce jeu de distances, à un regard critique dont nous avons le plus grand besoin.

 L’acteur marche donc sur place. Avec manteau, barbichette et melon. Et là tout au contraire du marcheur, sur lequel la parole se posait des questions, là sur cette figure de légende, la parole s’accroche et se dépose, et lui colle du mystère sur le dos. Ca crée de la distance. On croyait tout savoir. Ca modifie notre regard, et notre rapport à l’histoire.

 Que l’on enlève de cette composition le personnage muet et tout s’écroule. Il est et il n’est pas le personnage! Car il ne s’agit pas d’être ou de ne pas être, mais d’être et de ne pas être! En même temps!

 Dans les deux cas, le Marcheur et Jaurès, il ne s’agit ni d’une figuration ni d’un mime. Le corps muet qui fait du mime pour compenser la parole perdue n’a pour moi guère d’intérêt. Il exprime la recherche de la communication la plus simple et la plus immédiate, la recherche du consensus, la volonté de se faire comprendre à tout prix. Et bine que ce soit louable, il y a là aussi, si je puis dire, quelque chose de démagogique. Il ne me semble pas que les muets fassent du mime. Ils parlent avec leurs mains, avec leurs doigts, avec leurs gestes. Il usent d’un langage..

 Pour représenter le Marcheur et Jaurès, il faut un vrai travail d’acteur et pour assumer un rôle de ce genre on a besoin d’un bon acteur. Car cet acteur doit se lancer dans une action répétitive, faire sans arrêt la même chose. Cela n’est pas facile. L’acteur ne peut s’en tenir à une reproduction mécanique. Peu à peu il perçoit en lui des sensations nouvelles. Des détails inconnus surgissent dans son corps. Il se découvre comme une immensité intérieure. Il se rend compte que ce n’est pas aussi simple… Car un simple mouvement est composé de mille petits mouvements.

 Alors il doit faire des choix en permanence, affiner son mouvement initial, l’accomplir jusqu’au bout des ongles, le ciseler comme un orfèvre et le maintenir identique au milieu de mille autres sollicitations qui apparaissent. Lancé dans une

investi-gation de lui-même, il ne peut qu’essayer de faire un pas après l’autre, et de le faire enfin correctement ce pas, ce mouvement qui ne cesse de se décomposer en lui pas après pas.

 Le répétitif comme d’ailleurs le ralenti, voilà une excellente école pour les acteurs.

 Car il ne s’agit pas de passer le temps sur la scène, de réaliser une série de mouvements insolites ou anecdotiques, et de faire n’importe quoi… Pour distraire le monde et lui faire passer le temps. Ou pour faire croire, vieux rêve, qu’on échappe à la pesanteur. La danse moderne s’y emploie beaucoup à son tour, passer le temps, comme s’y est employée en son temps la danse classique avec ses tutus et ses pointes!

 Le théâtre c’est la pesanteur de l’être. Toutes les pesanteurs aucune acrobatie. Il faut se poser là les pieds plantés dans le sol. Et essayer de se sortir de quelque chose qui retient. Essayer de se dégager. Et on essaie toujours en vain mais on essaie. De Xerxès à Vladimir et Estragon, tout est lourd au théâtre, et s’enfonce dans la boue. On essaie de se

dégager, avec ou sans texte. On piétine. On ressasse. Pour trouver une issue. Pas pour passer le temps.

 A la même époque que notre Jaurès on a fait d’autres expériences de conjonctions entre paroles dites, lancées, greffées sur des corps muets: avec les Naufragés du Radeau de La Méduse, avec Savorgnan de Brazza dans la jungle, avec une figure bien connue de toute la ville. C’est une femme toute vêtue de noir qui arpente les rues chargées de sacs

pleins de papiers et de documents. Le personnage parlait dans une fracture. Il partait de l’autre côté de la place,

venait dans un faisceau lumineux vers le hall du théâtre d’où le public le regardait. Il parlait avec des micros H.F. et sa voix était retransmise dans le hall. On entendait la voix tout près et on voyait le personnage dehors là-bas dans le vent et le froid de l’hiver. Le personnage venait poser son visage contre la vitre. Et alors on n’entendait plus rien. Le

corps muet momifié?

MARIE NO MAN’S LAND ( 1987)

 Ce personnage est inspiré par Marie l’Egyptienne qui touchée par la grâce renonça à son métier de prostituée et se retira au désert.

 Dans un décor de désolation, plutôt de guerre que de désert, une vieille femme vivote. Un jour elle voit un homme qui la regarde. Elle lui demande de la laisser tranquille, qu’elle est vieille, qu’elle n’est plus bonne à rien, qu’elle n’a plus aucun goût pour l’amour, etc…. L’homme ne bouge pas. Il la regarde avec un sourire très doux.

 Il n’a pas de convoitise visible, il sourit, il découvre. Et son regard engendre la parole. C’est elle peut-être qui interprète ce regard? Le corps muet engendre le corps parlant. Nous spectateurs nous sommes les témoins de cette rencontre. Elle ne s’adresse pas à nous mais à lui. Qui n’entend peut-être pas? Il y a une immense distance. Sans cette présence muette, le spectacle n’existe pas. On peut dire que d’une certaine manière ce corps d’homme crée effectivement le désert, la désolation, la solitude de l’autre. Elle devient visible.

UN AUTISTE UN SOIR (90) LOUISE ET LE YETI (1993)

 J’ajoute ici des réflexions sur deux autres pièces comportant un personnage muet.

Et auxquelles je n’avais pas pensé d’abord. En 1990 ce fut Un Autiste Un Soir dans lequel, entre une infirmière et un médecin, se trouvait un de ces malades qui s’enferment dans le mutisme. Cet être en souffrance pour peu qu’on s’intéresse à lui nous pose de graves questions et nous transforme nous-mêmes en profondeur. Ce genre de personnage

est très difficile à jouer parce qu’il est très difficile sur scène de ne rien montrer et de se taire. Le moindre détail prend des proportions énormes.

 J’ai pu m’en rendre compte moi-même quand en 1993 j’ai joué un muet d’une espèce bien particulière. Je l’ai représenté, je n’ai pas pu faire autrement parce qu’il s’est imposé à moi! Il s’agissait du Yéti, le légendaire homme des neiges du Tibet. Monté sur des cothurnes, mal vêtu, protégé par une mauvaise couverture, pauvre extrème, très humain et très animal, j’ai essayé de le représenter dans un monolithisme composite, une sorte de stèle anthropomorphe. Je n’ai jamais éprouvé le besoin de parler mais plutôt d’émettre des sons émergeant de la respiration passant par le gémissement et allant

jusqu’au chant.

 Dans ce genre de rôle on sent intensément le regard des spectateurs, de manière quasi palpable. Ils veulent voir ils veulent lire ils veulent comprendre. Sans parler de mimique car aucune n’est possible, chaque mouvement, chaque geste, chaque esquisse signifie toujours beaucoup plus qu’on a prévu et vous fait passer immédiatement dans une catégorie identifiable. L’inconnu ne peut pas rester inconnu! Comment le maintenir le plus longtemps possible comme énigme, comme non-réponse inquiétante? Peut-on mesurer très précisément les effets de la gestuelle dans laquelle on s’engage? Je parle des effets au moment où ça se fait…

 Suis-je le maïtre de mon geste jusqu’au bout des ongles? De ma voix jusqu’à la moindre vibration des cordes vocales? Je joue. Même en sachant ce que je dois faire, je ne sais rien. Je me demande que faire? Comment le faire? Comment réussir enfin? Je n’ai pas de réponse. J’essaie. J’aimerais bien fixer tout ça. Et ensuite m’y reposer! Mais je ne peux. Il me faut rester en attente. A l’écoute. Sur le qui-vive…J’ai vécu très intensément cette situation limite! Je n’en ai rien théorisé. Je pense qu’il faut jouer tout personnage comme s’il était muet. Les actrices et les acteurs savent cela mais ils sont bien loin de l’admettre ça! Ils croient que le texte est important! Ils hésitent souvent à plonger tout seul en eux-mêmes. Mais très souvent aussi les conditions de travail qu’on leur offre…

DON JUAN AUX AROMATES (1994)

 Dans ce Don Juan que nous jouons cet été encore, le personnage ne dit rien. On dit tout ça dans le prologue mais sans en donner la raison. Pourquoi reste-t-il muet? Je ne sais pas si tous les spectateurs pourraient répondre à cette question!

 En fait Don Juan n’est là que comme mythe! Le personnage principal est celui d’une femme.

 On voit Don Juan jeter son dévolu sur une adolescente. La soeur ainée, mère de famille sans doute, s’interpose, veut arracher sa petite soeur aux griffes du séducteur. Elle irait même pour la sauver jusqu’à se sacrifier à sa place.

 Don Juan ne peut pas ouvrir la bouche sinon il fait disparaitre cette femme la seule peut-être pour laquelle il existe vraiment, et de manière obsessionnelle. Il est soudain pour elle l’objet inconnu, l’objet défendu, l’objet du désir. Il est devant ses yeux lancé dans une danse permanente. Il ne parle au fond qu’à une autre! Séducteur il incarne totalement l’être à séduire. Il incarne la subversion muette. Don Juan n’existe que parce qu’il y a du désir interdit. Et je suis effaré de constater à quel point il existe encore dans notre société occidentale. Pas si libérée que ça!

 Dans ce même spectacle je joue le présentateur, le sganarelle et il m’arrive souvent de faire le crabe, c’est à dire celui qui se place pour qu’on juge des éclairages en répétitions. Je fais l’amer, le repère.

2. Le corps du personnage parlant:

 Pour le cas de l’acteur qui représente un personnage parlant dans lequel le corps de l’acteur entre en jeu plus qu’il n’est de coutûme habituellement, je prendrai l’exemple d’un seul spectacle. Celui que j’ai créé cet été à Avignon

 Il s’agit de RIGOBERTA MET LES VOILES.

 En sortant des studios d’une télévision où elle vient de parler contre le port du voile, une femme, prise de panique à l’idée que des intégristes l’aient vu et la reconnaissent, se jette dans l’obscurité d’une impasse.

 A peine vient-elle d’y reprendre ses esprits qu’un personnage inquiétant la débusque. Alors dans un hallucinant face à face nord-sud, elle se trouve aux prises avec un purificateur occidental.

 Je précise que ce qui m’occupe surtout dans cette pièce c’est le personnage de l’homme. Cet homme qui nous habite tous plus ou moins et de plus en plus et que nous redoutons plus que tout. Celui qui est prêt à liquider tous les humains qui ne rentrent pas dans les normes. On a connu ça dans l’histoire. Aujourd’hui la bête immonde est parmi nous. Elle nous occupe et nous contamine. Elle n’a malheureusement pas le visage d’un seul parti. Mais bientôt de tout le monde. C’est cela qui en fait l’horreur.

 Je me serais raisonnablement bien passé d’écrire cette pièce et de jouer ce spectacle. Je n’ai pas pu faire autrement. Pourquoi au fond je ne sais pas. Je craignais même de me retrouver bien seul pour les représentations. Eh bien non, au contraire. Elles et ils sont venus m’apporter l’énergie nécessaire pour mon travail. Le théâtre!

 Je joue les deux personnages avec deux costumes superposés. Il n’y a qu’un seul décor d’extérieur-nuit avec poubelle dans un seul espace et avec un seul projecteur, c’est à dire un seul éclairage sans aucun autre effet. Il s’agit ici avec ce maximum de paramètres constants de donner à voir au plus près, à mieux lire et apprécier l’affrontement de ces deux personnages, leur duel dans le corps d’un même acteur. Rien ne bouge dans cet espace-là que ce corps-là.

 D’abord il y a donc selon le sexe l’utilisation de la voix sur deux registres différents, et l’emploi d’attitudes et de gestes différentes. On connait tout ça. On le pratique régulièrement. Peut-être pas pendant deux heures et dans une tension violente.

Mais enfin si ça ne relève que de la seule performance athlétique, ça n’ouvre pas de perspectives. Et ça fait belle lurette qu’il m’arrive de faire du théâtre comme de la boxe ou du marathon…

 Avec Rigoberta c’est autre chose, ça va un peu plus loin. Il faut faire bouillir la tempête intérieure en permanenc, se tenir sous très haute tension. Pousser un peu l’acteur dans ses ressources physiques: les corporelles et vocales, et dans ses réserves mentales et psychiques.

 Il n’y a pas un répertoire pré-établi de gestes, de mimiques, de sons et de musiques dans lequel je puiserais pour illustrer et pour agrémenter le texte. Il y a une nécessité de prolonger de montrer différemment, sous un autre angle, dans une autre

couleur, selon un autre rythme ce qui est en train de se dire. Et il y a la nécessité concomitante d’inventer ces prolongements au moment-même du jeu, de conserver une grande souplesse, de ne rien fixer, de ne rien

apprendre par coeur. Sauf le texte. Mais aucune mélodie pour les chansons pour lesquelles je n’ai fixé qu’un rythme sur lequel je m’appuie pour chanter. La mélodie, le rythme, la danse. Cela ne va pas de soi. C’est difficile. Il faut franchir le pas. Faire ce qui parait sonner faux. Dépasser la honte et l’inconvenance. Il faut tout oser ainsi que l’osent les enfants quand ils jouent. Ce serait plus simple et plus facile de prendre une guitare mais alors tout ce qui peut naître de neuf resterait quelque part dans un sommeil profond.

 J’ai beaucoup improvisé oralement. Et même des spectacles entiers. Alors le verbe qui déferle à travers le corps, je parle d’un verbe fort et visionnaire, alors ce verbe a parfois tendance à paralyser le corps. Le corps entier se met en attente en voie de passage de l’oralité. Ne bouge plus. Tétanisé. Etrange réaction!

 Je viens à peine de me lancer dans l’improvisation dansée. Dans quelques jours je pourrais mieux analyser ce qui se passe. A travers ces morceaux de transe corporelle où le corps se démène dans des violentes contradictions, le réel, l’irréel et le surréel s’empoignent et nous serions bien incapables de dire ce qui se passe vraiment et ce que

nous voyions dans ces moments où les mémoires corporelles viennent à la surface pour nous parler. De nous saisis simultanément dans plusieurs espace-temps.

 Je joue je ne sais rien. Je me demande que faire? Comment le faire? Comment réussir cette fois enfin. Je n’ai pas de réponse. J’essaie. J’aimerais bien fixer tout ça. Maisje ne peux pas. Il me faut rester en attente. A l’écoute. Sur le qui-vive…

ANDRE BENEDETTO

RETRAITES

Théâtre des Carmes 84000 Avignon Frances Ashley André Benedetto

STAGE DE THEÂTRE AVEC DES RETRAITES 16-20 MARS 1998

VITRY-SUR-SEINE AREV Résidence Paul et Noémie Froment

 Ce stage s’est déroulé sur 5 séances de 2 heures dont la dernière a été consacrée à l’ultime répétition et la représentation d’un spectacle improvisé de 25 min, réalisé à partir des suggestions des stagiaires; à la satisfaction générale des participants, des responsables et des personnes invitées.

 LES STAGIAIRES étaient des personnes retraitées, surtout des femmes, d’un grand âge entre 75 et 90 ans,

 lucides, sans grands problèmes de mémoire, lentes et douces mais passionnées, toujours prêtes à évoquer leurs souvenirs et à les comparer, mais discrètes sur leur profession, leur famille, leur vie privée, facilement bavardes et tentées de parler toutes en même temps, capables d’improviser des personnages proposés, souvent handicapées physiquement,

 des personnes en représentation sociale de souvenance et donc desavoir, en représentation de performance: je viens de loin…avec humilité en représentation de handicap physique, montrant des corps qui souffrent comme de la bataille, marqués par le destin: j’ai subi, je subis.

 DANS LEUR JEU

 Il y a le handicap, la lenteur, la gestion difficile de l’espace et la crainte de ne pas faire comme il faut mais l’assurance de personnes qui ont vécu, qui ont agi, qui ont de l’expérience, tout de même…

 il y a comme une pratique systématique de la bonté, de la beauté, de la gentillesse, de la fête, il y a l’évocation d’un monde de rêve dans les rapports sociaux il y a comme une sorte de catharsis inversée, au-delà de la tragédie

grandiose, la conviction profonde que la vie est belle, il n’y a pas de mal, pas de méchanceté, pas de perversion, pas de

violence, pas de brusquerie, pas de critique, pas de dénonciation, pas de médisance, pas d’éclat de voix et pas un mot plus haut que l’autre, il y a le plaisir de vivre chaque instant.

 LA PEDAGOGIE

 Il faut les prendre tels qu’ils sont. Ils ne sont pas là pour apprendre mais pour s’exprimer. Ils peuvent recevoir quelques conseils.

 Il faut impérativement avec eux: une patience souriante et attentive, une écoute de chaque instant, une recherche des talents cachés, une incitation à faire, à jouer, à chanter, sans bêtifier, beaucoup d’égards, de la douceur et rien qui soit présenté comme obligatoire, n’imposer ni texte ni mise en scène…

 Ce fut pour nous une semaine enrichissante. Il y aurait bien d’autres analyses à faire et bien des leçons à tirer. F.A. et A.B. 23.03.98

ACTEUR ENFANT PERDU

 L’acteur, être qui s’est perdu, se cherche

enfant perdu

ombre qui a perdu son ombre

cherche à perdre du poids de l’ampleur,

d’où très souvent l’enflure et le vent dans les voiles

il veut donner du poids à sa présence

et faire obstacle à la lumière

se faire voir au maximum

pour de nouveau avoir une ombre

et pouvoir croire qu’il est là

si beaucoup le voient

il va peut-être se mettre à exister

il cabotine forcément sinon qui le verrait personne

dès qu’il se trouve en scène

il exagère pris d’une certaine folie

il ne peut pas se retenir exaltation

il y a l’être au fond de lui qui se démène et hurle

pour attirer l’attention

et qu’on sache enfin

qu’il y a quelqu’un au fond de cette apparence

qu’il y a quelqu’un au fond de la jarre vide

il veut attirer l’attention se faire voir

j’avais cette impression avec une chanteuse

je disais à ses détracteurs et ricaneurs

mais si je vous assure il y a quelqu’un au fond

 Le grand art est de plaire

a dit Molière un vrai cabot dit-on

qui a su attirer l’attention

de manière définitive

est-ce plaire ou est-ce quoi exactement

qu’il faudrait dire?

 On a l’impression qu’il n’y a pas de juste milieu possible

ou ne rien faire

ou en faire trop

pas d’autre choix

le problème est que dans les deux cas

il ne s’agit pas de l’intensité extérieure

car on peut en voir qui ne font rien

et d’autres qui en font trop

mais qui restent tous dans le juste milieu bien tiède

 Alors c’est quoi l’acteur?

– Un enfant perdu! Une fêlure! Un ballon de baudruche qui part dans le cosmos.

28.01.01

DANSE FOOT ET AUTRES SPORTS

 La danse contemporaine est un art, si on peut dire, très maniéré, précieux, distingué, bcbg bien sûr et religieux en diable. En exhibant leur corps dans toutes les postures et tous les mouvements, on a l’impression qu’elles et ils veulent l’effacer, le faire disparaître en tant que corps, en tant que réalité matérielle comme si elles et ils en avaient profondément honte de ce corps charnel. Le transcender pour atteindre dieu peut-être? Ils sont des croyants, des adeptes.

 La danse contemporaine est aussi ennuyeuse que le football et que tous les autres sports collectifs dans lesquels on voit des gens se démener dans tous les sens et gesticuler comme des déments qui cherchent à marquer des points en entrant des buts, pour nous faire croire et se faire croire à eux-mêmes qu’il est en train de se passer quelque chose d’important sous nos yeux

 Or il ne se passe rien, strictement rien. C’est purement virtuel, et simulacre. Comparons à une défaite militaire une défait sportive. Dans celle-ci, mauvais théâtre, il peut y avoir des blessés et tout à fait exceptionnellement un mort. Dans celle-là, réalité mauvaise, il y a du sang qui coule, et des blessés réels et souvent des morts en grand nombre.

 Avec la danse, avec le foot, il n’y a pas d’enjeu. Ils font semblant, ils essaient de se bouger le plus qu’ils peuvent, et de transpirer à grosses gouttes. Ils sont d’ailleurs très bien payés pour ça, ces espèces de moulins à vent brassant de l’air, ces ventilateurs inutiles. Je revois la sueur de Georges Golovine… 27.02.01

LA VIE EST UN SONGE

Etonnant à constater: une grande pièce de théâtre résiste à tous les traitements. Mais peut-être faut-il la connaître avant de voir la représentation? Alors on la regarde, ou plutôt on l’écoute se développer sous tous les masques, costumes, simagrées, cris, vociférations, minauderies, lumières, sons, etc… dont on l’affuble

 Nous sommes allés voir hier La Vie est un Songe de Calderon, quel chef- d’œuvre mais quelle épreuve:

– la gadgétisation scénographique avec rideaux transparents et miroirs derrière lesquels de temps en temps ça joue,

– les feuillets pour représenter la campagne et qui font vraiment latrines des camps militaires, qui ne se font peut-être plus,

– le musicien qui ne s’arrête jamais, et qui horripile l’oreille, comme un film télé américain,

– les interprètes plantés de profil et qui se parlent entre eux, ou carrément vers le fond, et qu’on n’entend pas,

– celle qu’on ne comprend pas, même quand elle parle de face vers la salle, mais dont on voit les seins à un moment,

– celui qui en sa qualité de héros sauvage hache le texte, le déchiquette pour faire plus bestial peut-être ou plus douloureux, en larmoyant bien sûr,

– et l’autre qui joue de la guibole comme un clown, mais qui ne fait pas rire.

J’ai quand même apprécié:

– les gardes cagoulés de noir pour le terrorisme d’état,

– l’installation à la cour royale de Sigismond sur un praticable en pente, qui représente son territoire de prisonnier,

– la gestuelle-danse des corps à corps,

– le fils toujours aussi dépouillé dans la victoire finale.

On connaît l’histoire de La Vie est un Songe. Le roi Basile a enfermé son fils Sigismond dans une tour, par crainte d’être évincé par lui. Un jour il le fait endormir, transporter au château et mettre sur le trône. Le fils vertigineux agresse tout le monde et profite de sa nouvelle supériorité. Son père lui reproche d’être ce qu’il a fait de lui: une bête sauvage, et le fait renfermer.

Je pensais à ceux qu’un ministre a qualifié de sauvageons, auxquels on reproche de méconnaître la règle sociale (que personne ne respecte!) et d’être ce qu’on a fait d’eux dans leurs ghettos… A.B. 001.02.01

LE PERSONNAGE TRAGIQUE

Le soir du 15. 01. 02, j’ai vu l’émission  » Ca me révolte  » et j’ai été frappé et ému par la manière dont des parents qui ont perdu leur logement, ou dont un enfant a disparu, a succombé à la drogue, a une maladie génétique orpheline*, parlent de leur malheur, de leur souffrance, de leur lutte, de leur regroupement, avec une force d’âme, un amour et une dignité dans leur situation tragique tels que les vrais héros de théâtre en paraissent pâlichons.

Il n’y a peut-être que la Camille de Corneille dans Horace, qui soit à leur hauteur dans l’amour, l’abnégation et l’indignation. Corneille s’est beaucoup interrogé sur un défaut qu’il sentait dans cette pièce et qui est probablement dû à ce personnage dont l’humanité déstabilise l’ensemble. Elle dit durement à son frère ce qu’elle pense de ses actes d’héroïsme guerrier, et il la tue. Le reste a-t-il encore un intérêt, après? On préfèrerait en entendre plus de sa part, car avec elle la vie profonde parle.

Il y a aussi l’Infante dans le Cid qui a les grandes dimensions tragiques de l’humain de base si je puis dire. Elle subit son sort avec grandeur. Elle renonce pour Chimène à Rodrigue qu’elle aime et qui après sa victoire pourrait être digne d’elle, fille du roi. Elle apparaît avec force dans Fin de Journée. Y-a-t-il d’autres personnages secondaires d’une telle importance dans les autres pièces de Corneille? Je ne sais pas mais je les sens à l’œuvre partout. C’est sans doute quand Corneille attaque la grandeur un peu trop emplâtrée.

Le seul fait de naître sans le vouloir et d’avoir d’emblée une histoire toute écrite dans son origine sinon tracée, fait de nous toutes et tous des personnages tragiques. Seuls des rares individus incarnent pleinement cette situation tragique avec conscience, détermination, dignité et indignation. C’est à dire avec une force d’amour et une volonté de comprendre et de surmonter qui éclairent toutes les autres destinées.

Il me semble que la fille qui revient à la maison avec le cadavre de son ami, le jeune homme exposé, appartient à cette catégorie des héros du quotidien, d’une extrême banalité et d’une puissance étonnante.

16.01.02

* Il y a environ 8000 maladies génétiques dites orphelines pour lesquelles on ne fait guère de recherches, étant donné qu’elles ne touchent que des minorités infimes de malades. Et pour lesquelles la Sécurité Sociale ne fait presque aucun effort pour aider les parents. Rentabilité oblige.

LE MICRO COMME PROTECTION

J’ai développé dans Nous les Eureupéens, cette idée plutôt rigolote que nous sommes devenus tellement sensibles que nous ne pouvons plus regarder la réalité en face, et encore moins la toucher. C’est pour cette raison profonde que nous sommes obligés de nous replier sur nous-mêmes, de nous mettre à l’abri sous les longues visières des casquettes, derrière les verres fumés des lunettes et surtout derrière les œilletons des caméras, et donc devant des écrans. Car il nous serait insupportable de voir de près, réellement de près et bien palpable, tout ce que la télévision nous montre. Nous ne pouvons pas imaginer qu’on vienne nous déposer sur la table pendant notre dîner le moindre cadavre. Par contre, sans frémir et sans lâcher la fourchette, nous pouvons regarder sur nos écrans des morts en quantité, déchiquetés, sanglants, pourris. Ils sont tenus à bonne distance. Je pensais jusqu’ici que les micros étaient des prothèses. Ainsi bien pour les hommes politiques, des maires en particulier, que pour les artistes, les chanteurs qui ne peuvent pas se passer de micros même dans une petite salle, même là où l’acoustique est parfaite. Ils ont besoin de cette prothèse, ils s’y accrochent. Ils croient peut-être qu’elle les relie directement aux auditeurs, à leur entendement secret. Ils croient peut-être qu’elle les inspire, ou même qu’elle les justifie. Et qu’elle leur donne la parole. En même temps il faut bien constater que c’est l’expression même de la supériorité, la certitude de pouvoir s’exprimer malgré les autres. Qui peut me prendre la parole si c’est moi qui tient le micro ? Car le micro appartient au monde de ceux qui détiennent le pouvoir. Le micro est un appendice de Big Brother, et celui qui l’a en main, la force est avec lui. Et moi quand on me parle à travers le micro, je suis toujours en train de me demander qui essaie de me parler. Et pourquoi il le fait avec ce moyen. Or voici que le 25 janvier 2002, assistant à un débat sur l’exception culturelle, je me suis dit soudain qu’il en était aussi des micros comme des visières et des écrans. Contrairement à ce qu’on croit bêtement les micros ne sont pas utilisés pour mieux entendre, mais pour faire écran, eux aussi. Faire écran à la voix crue, à la chair crue. Pour mettre à distance la voix aussi bien du locuteur que de l’auditeur. Pour servir de filtre à la réalité. C’est comme si l’oreille charnelle ne pouvait plus recevoir directement le son émanant d’une bouche, d’une gorge, des profondeurs d’un corps en chair et en os. On peut même se demander si le préservatif ne fait pas partie de cette idéologie du filtre et de l’écran. Et qui a nécessité l’invention du sida. En juillet 68 au Verger d’Urbain V, quelques  » gauchistes  » criaient: Enterrez les micros! Beau programme.

Monsieur le Ministre,

J’apprécie beaucoup que vous vous soyez déplacé personnellement pour me remettre les insignes de chevalier dans l’ordre des Arts et Lettres, et je vous en remercie chaleureusement.

J’accepte cette distinction puisqu’elle m’est offerte, et au fond qui suis-je pour la refuser, et de quel droit? D’autant plus que mes camarades du théâtre on trouvé ça très honorable, et l’estiment bien méritée. Et comme dans une certaine mesure, eux c’est moi et moi c’est eux, eh bien j’accepte.

Certes je suis un peu gêné de me trouver ainsi distingué et désigné, et de recevoir en plus des témoignages d’affection, des fleurs et des livres, ce qui me touche beaucoup. Quoi qu’on puisse en penser, et même si je suis souvent sur la scène, je n’ai jamais cherché à me faire remarquer, encore moins à attirer l’attention ou même à provoquer qui que ce soit de quelque manière que ce soit. L’anonymat est la situation dans laquelle je me sens le mieux. Je n’ai pas réussi à m’y maintenir complètement, mais sans le faire vraiment exprès.

Simplement il me semble que j’ai quelque chose d’important à montrer en montant sur une scène, et uniquement comme ça. Je ne sais pas ce que c’est. Car si je le savais, je pourrais le dire sans m’exhiber. Moi je dois montrer ce que je pressens sans le voir, et elles et eux dans la salle, ils le voient sans même s’en rendre compte. Matérialiste et dialecticien autant qu’il se peut, je constate que quelque chose pendant le spectacle fonctionne entre nous et en profondeur dont aucune ni aucun d’entre nous n’a conscience.

Est-ce pour cette raison que le théâtre baigne le plus souvent dans une incantation soporifique qui favorise peut-être cette subcommunication? Je ne sais pas. Mais si cela était il faudrait hélas, que je reconnaisse un jour avoir eu tort en refusant d’endormir le public avec les violoncelles du lyrisme. J’indique humblement cette perplexité relative au sommeil et je la laisse là.

Peut-être que pour montrer ce quelque chose que les autres peuvent voir, et moi pas, ce qui est le propre de l’acteur, j’ai écrit des pièces de théâtre. Beaucoup de pièces, par nécessité, car on commence et ensuite, à essayer d’en réussir vraiment une, on ne peut plus s’arrêter. On l’écrit, on la monte pour voir ce que ça donne. L’inconvénient est qu’ensuite on ne peut pas l’effacer. Alors autant en tirer quelques exemplaires pour les participants, pour les amis et pour quelques spectatrices et spectateurs particulièrement intéressés.

Maintenant je dois dire que j’accepte et reçois cette distinction pour ce théâtre et même pour cette ville, pour les deux cofondateurs avec moi, Jacqueline et Bertrand, pour la mémoire de nos morts, Michèle Hurault, mon frère Georges, Christian Chamoux, Guy Azavedo, pour celles et ceux qui y travaillent en ce moment, pour celles et ceux qui y ont travaillé dans le passé, et plus c’est loin plus ils ont donné, pour celles et ceux qui le soutiennent, qui le financent, pour les programmateurs qui nous ont souvent fait confiance, acheté des représentations, ou même passé commande de pièces avec un budget (j’ai beaucoup écrit sur commande mais on ne m’a jamais dicté les textes), pour les gens d’associations très diverses qui ont souvent fait appel à nous.

Pour celles et pour ceux qui ont collaboré et collaborent avec nous à des activités artistiques et culturelles, pour les responsables qui ont fait le voyage parfois de très loin, ou qui auraient voulu le faire, qui ne peuvent pas être là, qui le regrettent parce que cette distinction est peut-être plus importante que ce que je croyais.

Pour les spectatrices et les spectateurs fidèles depuis plus de trente cinq ans, pour celles et ceux qui sont revenus au moins une fois, ou venus une seule fois mais qui ne pouvaient pas faire mieux, pour celles et pour ceux qui vont venir encore dans l’avenir, et pour la mémoire du Père Jacques qui nous a reçus ici en septembre 63, qui nous a hébergés très longtemps gracieusement, qui a supporté les critiques à cause de nous parce qu’il était de celles et de ceux qui lorsqu’ils entendent que les êtres humains naissent et demeurent libres et égaux en droits pensent d’abord que ça s’applique à tous les autres et pas à eux seuls prioritairement.

Pour les parents, pour les amis, pour les ancêtres et si vous calculez que vers l’an 1111 nous en avions chacune et chacun un peu plus d’un milliard (2 parents, 4 arrière grands-parents, 8, 16, 32…), vous voyez que ça fait beaucoup de monde. Si on ajoute les relations plus ou moins amicales, les connaissances, les fonctionnaires dans les diverses administrations et collectivités qui ont contribué et qui contribuent encore à notre survie, on se rend compte que ça fait un nombre astronomique. Alors une seule médaille peut-elle suffire ? Certainement car seul le partage total permet la multiplication sans fin pour toutes et pour tous.

Ici pour illustrer ce partage, je souhaite que nous tentions pour une seule fois un effet comme on n’en voit que sur les grandes scènes, en espérant qu’il réussira, l’effet d’une pluie de poussière d’or sur vos têtes, les ors de la République, car vous êtes toutes et tous des exceptions culturelles, des artistes, des gens sensibles parce que vous êtes des défenseurs du théâtre qui est souvent une école d’éthique et de démocratie, surtout quand il est bon.

J’accepte comme protection, comme armure et comme écu, pour les 3 ou 4 décennies qui me restent pour agir.

Pour pouvoir dire à tous les théâtres frileux: n’ayiez plus peur, achetez nos spectacles, c’est fini l’atypique, l’inclassable, le hors-norme, le subversif, le radical, l’engagé, etc… Je dois dire au passage que je n’ai jamais été engagé. Au contraire j’ai toujours essayé de me dégager des carcans, des idées reçues, des clichés, des banalités, des certitudes, des vérités éternelles, et souvent de moi-même. Alors je vous le clame: Je rentre dans le rang. Récupérez-moi vite. Faites-nous des promesses d’achat. Nous avons besoin d’argent pour cet été pour reprendre un spectacle, une vraie tragédie antique fondée sur un événe-ment déjà très ancien, qui remonte à avant le 11 septembre c’est vous dire, une pièce nécessaire, un affrontement cosmique entre une fille et son père, une nouvelle Antigone… du vrai théâtre à l’ancienne et à la moderne!

Au point où j’en suis parvenu, je ne peux conclure autrement qu’en espérant avec vous Monsieur le Ministre, que votre action au service de la décentralisation culturelle puisse s’intensifier et se diversifier dans tout le pays, partout, avec toutes et avec tous, citoyennes et citoyens que nous devons considérer non pas comme des consommatrices et des consommateurs mais sans restriction comme des créatrices et des créateurs.

André Benedetto

LE LYRISME L’HYPNOSE LE SOMMEIL POUR COMMUNICATION

Il me semble que j’ai quelque chose d’important à montrer en montant sur une scène, et uniquement de cette manière. Je ne sais pas ce que c’est. Car si je le savais, je pourrais le dire sans m’exhiber. Moi je dois montrer ce que je pressens sans le voir, et quand je le leur montre, elles et eux dans la salle, ils le voient sans même s’en rendre compte. Matérialiste et dialecticien autant qu’il se peut, je constate avec stupeur cette irrationnalité que quelque chose pendant le spectacle fonctionne entre nous et en profondeur dont aucune ni aucun d’entre nous n’a conscience.

Est-ce pour cette raison que le théâtre baigne le plus souvent dans une incantation soporifique qui favorise peut-être cette subcommunication? Je ne sais pas. Mais si cela était il faudrait hélas, que je reconnaisse un jour avoir eu tort en refusant d’endormir le public avec les violoncelles du lyrisme. Je n’aime pas cette façon qu’ont la plupart des actrices et des acteurs de relever la fin des phrases, de toujours se tenir comme en suspension, l’air inspiré, presqu’en extase, de chercher à tout prix à produire un discours discursif, à faire une démonstration au lieu de montrer et de donner à voir des images. Oh non je n’aime pas cette façon de tenir le spectateur en haleine et en quelque sorte en otage, jusqu’au moment de délivrer le dernier mot de la période. Je préfère de beaucoup délivrer une image après l’autre, sans lyrisme, sans une trace de sensiblerie, sans ce pathos dont ils ne peuvent se passer, sans cette complaisance baveuse qui fait de tout texte dit une sorte de confession de l’interprète.

Quel bonheur quand elle ou il se contente de dire, de projeter vers le public un texte dépouillé de toutes les mucosités et de toutes les morves dont la plupart veulent à tout prix l’affubler, l’orner, le décorer, le broder, le passementer au lieu de l’articuler simplement pour le donner à entendre et le laisser se débrouiller tout seul dans les oreilles et les cervelles des spectatrices et des spectateurs. Mais comme je ne tiens pas à avoir raison à tout prix, il ne m’est pas impossible de penser que peut-être quelque chose d’essentiel ne se manifeste chez les gens du public que si restant dans la tradition on se laisse emporter sur les ailes du lyrisme, et si on plonge tout le monde dans une somnolence qui serait propice à la passation des énergies et des images. J’indique humblement cette perplexité relative a un sommeil qui serait nécessaire au théâtre, et contre lequel je me suis beaucoup démené…

Je ne pense pas que ce soit en pure perte mais quelle souffrance! On a l’impression qu’on leur a inculqué cette vérité fondamentale: Si tu n’as ne serai-ce qu’un infime grain de pathos, tu seras sauvé et si tu le parigotises alors là ce sera la perfection. Je suis pour la prononciation de chaque syllabe et pour la fermeture de chaque phrase.

L’ESPACE DU THEATRE DES CARMES

Et les pièces que nous y avons créées

Il serait difficile d’établir un lien clair et direct entre architecture et dramaturgie, entre mes pièces et l’espace du Théâtre des Carmes, tel qu’il est devenu depuis quelques années, pas tout à fait à l’italienne, avec des fauteuils et un grand rideau de scène, rouges. Il n’y a jamais eu de coulisse cour. Mais heureusement il y avait une coulisse jardin d’où peuvent se faire les entrées, c’est à dire toutes les arrivées. Heureusement dis-je car pour moi tout arrive toujours de jardin, du fond même du théâtre, pour s’en aller vers cour. C’est à dire vers l’extérieur. Il nous est arrivé aussi de faire arriver des personnages de l’extérieur…

Difficile d’établir le lien architecture-dramaturgie parce que:

1. d’abord nous avons utilisé ce théâtre sans scène  » traditionnelle  » pendant près de 25 ans, de septembre 63 quand nous nous sommes installés, à 87 lorsque nous avons ouvert l’ancienne scène. Nous jouions en tréteaux adossés, et pour cela nous avons construit des scènes de toutes les sortes. Et comme la salle était modelable, nous l’avons disposée avec ou sans gradins, en frontal, en rond, en arène, en étrave, avec plusieurs plateaux un peu partout, et même pendant quelque temps avec une galerie presque tout autour,

2. ensuite parce que nous avons utilisé la scène d’origine encore fermée comme petit théâtre et une fois ouverte comme petit amphithéâtre, comme cabaret et comme salon de thé,

3. enfin parce que nous avons fait des créations ailleurs que dans ce théâtre,

– Emballage à la Bourse du Travail (Salle Franklin) du Havre, 1970,

– Gaston D dans le cloître des Carmes, 1973,

– Le Siège de Montauban, sur la Place Nationale de Montauban, avec quatre scènes mobiles, et le public partout, 1974,

– Géronimo à Bruxelles, 1974,

– Les Zulus des Ulis, dans la Maison pour tout, 1976,

– Un Bonjour de Bègles avec chariots sur les places, 1976,

– Les Drapiers Jacobins, en rond sur la Place Nationale, 1976,

puis en couloir à Paul Vidal Champfleury, 1977,

puis en italienne au Municipal d’Avignon, 1978,

– Fusillade à Montredon sous chapiteau, 1980,

– Les Ecluses du Temps, sous chapiteau, 1981,

– Croisière Paul Riquet, sous chapiteau, 1981,

– Un Soir le Chantier de Port de Bouc sur 400 m. de front de mer, 1981,

– Djebel Amour, sous chapiteau, 1984,

– Jaurès la Voix sur petit chariot n’importe où, 1984,

– Lope de Aguirre dans les bois d’Uzeste, 1991

– Ciao Amore au Festival de Veroli, Italie, 1994,

– Le Montreur d’Ours, Uzeste, 1999,

– Giordano Bruno, Vitry, 1999,

Nous avons plié l’architecture du Théâtre des Carmes aux besoins de notre dramaturgie protéiforme!

SOUS PRETEXTE DE FORMER DES ADOS

A toutes et à tous dans ce pays, d’où qu’ils viennent et quelles que soient leurs origines, il ne suffit pas de vouloir leur faire consommer les produits culturels traditionnels français considérés par le pouvoir comme supérieurs à tous les autres et dits en plus ‘de qualité’ et ‘élitaires pour tous’, non il ne suffit pas y compris par gavage, de vouloir les leur faire consommer. A toutes et à tous, et où qu’ils soient, il s’agit aussi et surtout de leur donner l’occasion de créer ce qu’ils veulent selon leurs désirs et leurs besoins et selon leurs capacités et leur cultu-re qui vaut bien la culture en place officielle et pétrifiante ? J’ai vu des ados, filles et garçons, faire du théâtre, et j’ai constaté qu’ils n’avaient rien à apprendre d’important du théâtre professionnel, par contre je pense que les professionnels du théâtre ont beaucoup à apprendre de ces ados dans leur manière de voir le monde autour d’eux et de se voir eux-mêmes avec des distances jamais encore imaginées, dans leur façon de se bouger, d’occuper l’espace et de développer leur gestuelle. Moi-même j’ai beaucoup appris à leur contact et pas simplement des techniques car eux aussi font de l’élitaire pour tous, mais ils sont considérés comme des nuls, des incultes, en bas de l’échelle sociale et même hors de l’échelle, rejetés dans les no man’s land du monde urbi et orbi avec tous les parias de la terre. Cependant là où ils sont, là où on ne veut pas les voir, ils préparent les langages et les arts à venir, et le jour où ils auront besoin pour passer le temps ou pour agrémenter leurs créations de quelques unes de toutes ces mignardises artistiques nationales qu’on veut leur faire ingurgiter de force, ils n’auront aucune peine à les trouver car elles encombrent tous les rayons, tous les écrans, toutes les scènes, tous les musées, et pour très longtemps encore, solidement plantées comme chiendent.

Ô STAGIAIRES

Si vous désirez progresser dans votre art, par vous-mêmes, au contact de formateurs et d’autres stagiaires qui sont autant de collaborateurs, de partenaires, de témoins: N’arrivez pas avec des idées toutes faites, des croyances et des convictions définitives, des clichés, Ne venez pas pour participer à une confrontation, à une conférence nationale ou à un débat télévisé, Venez avec un esprit d’ouverture et de créativité dans un atelier d’art, dans un lieu de pratique où on cherche, où on crée, Mettez-vous en question vous-mêmes, et tout ce que vous savez, et tout ce que vous croyez, N’attendez pas de leçon magistrale, ni un dogme infaillible, ni des recettes pour l’avenir, Vous êtes, vous-même, la matière même du stage sur laquelle vous allez travailler, la pâte que vous allez pétrir, Nous ne nous connaissons pas encore mais nous savons que nous avons un intérêt commun: la création théâtrale. Et nous aussi, nous avons à apprendre des choses de vous, mais pas plus que nous, vous ne pouvez savoir lesquelles! Elles dépendent de vous, de vos personnalités, de nos affinités. On pourrait ouvrir une école pour former les futurs stagiaires! Car quel que soit le stage, j’imagine que les problèmes doivent se poser de la même façon. Sauf là évidemment où on délivre des connaissances éternelles!

LECTURE TRES RAPIDE

Hier soir pour terminer, nous avons fait une lecture très rapide, à peine articulée, de Joue pour moi jeune fille. On se rend compte avec cet exercice combien l’imagination, la libéra-tion du jeu se déploie et devient créatrice dans ces travaux fluides, sans intonation particulière, à la va-vite. Bien des déve-loppements, des reliefs, des figures, des gestes, des manières de dire, des intonations apparaissent qui autrement, resteraient cachées, enfouies. Il en va de même avec la lecture à l’italienne qui permet d’écouter le texte, de s’écouter en train de le dire. Là dans la lecture rapide, et molle, quasi inaudible, on voit on sent comme des bestioles qui cherchent leur voie. Le texte apparaît comme un immense serpent qui se contorsionne en me passant par la bouche. Beurk! Le texte se matérialise autrement que dans une articulation structurée, plutôt comme dans un souffle, qui me souffle des secrets à l’oreille interne, comme dans une continuité matérielle. Le texte s’allège, vibre, se débat, grouille, essaie vraiment d’apparaître, de s’incarner, de se montrer comme une fresque. Apprendre à libérer le jeu par l’italienne, par la lecture très rapide, par des hypothèses de folies diverses, par le travail de l’insolite issu du banal réalisme quotidien, par mélopées et danses, et aussi par ralentis et par rigidités… Lire à plat, ce n’est pas lire bêtement sans donner de sens, c’est empêcher qu’un sens unique vienne imposer sa direction! Lire, filer, laisser filer l’ima-gination à son gré, voir se développer le jeu, toutes les possibili-tés, montrer et ne pas démontrer, ne pas s’interdire de faire un geste, en faire un autre à sa place! Si je dis: ils sont fous, ils vont jusqu’au bout, ils assurent à mort, et ça se prolonge de toutes les manières. Exemples: elle lui fait sauter des pétards dans les jambes, ils se canardent à la sarbacane, ils gonflent des ballons de baudruche, ils craquent des allumettes, ils se jettent de la farine, des serpentins, etc… ce sont des hypothèses qui peuvent être retenues mais qui peuvent aussi disparaître après avoir aidé l’exploration du personnage, le développement du jeu, l’imagination de l’acteur. Ils ne font pas la fête, ces trois-là, ils se déchaînent. Pas par méchanceté mais par passion. Ce n’est pas de la parodie, de la rigolade, c’est du très sérieux… cette séance rituelle initiatique infligée à la jeune fille. Le Monsieur cherche, le Secrétaire est l’être-là, l’acteur en somme!

SPECTACLE REALITE

Y en a qui doutent d’eux-mêmes, de leurs pratiques dans la vie, de leurs comportements, qui se demandent s’ils sont normaux, si les autres font comme eux, comme elles. Alors ils veulent se compa-rer à des vrais vivants, à des réels et pas à des fictifs. Ils veulent voir, se voir, se mesurer, savoir vraiment ce qu’il en est. Et bien sûr il y en a toujours d’autres qui sont prêts à fournir les produits désirés. A Londres, paraît-il au 19ème, parfois une famille pauvre était invitée à vivre pour de vrai telle qu’elle-même sur une scène de théâtre pendant un certain temps. A notre époque on peut voir tous les déballages qui se font devant des caméras mises au service de la réalité. Et de tout temps les ethnologues ont prétendu… Mais tout cela qui est montré, est-ce du réel palpable, authentique et banal, ou déjà de la fiction? LA CROYANCE On leur fait croire d’abord qu’ils ont une sensibilité à étaler pour émouvoir, et ensuite qu’il y a des personnages qu’ils doivent re-présenter, inventer, mimer, qu’ils doivent exhiber. Alors ils s’exhibent en clowns, en pitres, en grotesques, en geignards, en cabots, avec des techniques, des mimiques, des contorsions, des costumes, des accessoires, des maquillages, sans parler des décors très lourds. Ils étaient des acteurs potentiels doués, ils deviennent des comédiens, des imitateurs, des bouffis. Et pendant ce temps, des corps à tâtons dans la nuit, qui bougent, qui se cherchent, qui tentent de s’inventer entre eux et qui tentent de vivre parce que le vent se lève.

SANS RETENUE ET SANG GLACE

Quand l’émotion ouvre les vannes et les jette dans la transe humide et incontrôlée, c’était très dégoûtant, j’en ai vu pleurer, baver, se débonder en scène, se rouler par-terre et gueuler, le nez dégouli-nant de larmes et le nez de morve mais qui ne vont pas jusqu’à se pisser dessus mais c’est tout comme, ça fait le même effet, comment peut-on se laisser aller à ce point, ça me glace. LE BON TON Le bon ton c’est le ton convenu! Il y a le ton convenu du politique, le ton convenu du vendeur, le ton convenu du journaliste d’autant plus identifiables qu’ils cherchent à nous faire prendre des vessies pour des lanternes, à nous arnaquer, à nous mentir. On s’en rend compte, on ne dit rien, on accepte, on joue le jeu des dupes. Et ainsi de convention en convention rien ne se dit et rien ne bouge. De même il y a un ton convenu de l’acteur, c’est la langue de bois de la sensiblerie. Ca parle pour ne rien dire, pour bercer, pour endormir. Pour faire croire qu’on ressent toutes et tous la même chose, qu ‘on est tous d’accord, au fond. Et vogue la galère.

LECTURE TRES RAPIDE

Hier soir pour terminer, nous avons fait une lecture très rapide, à peine articulée, de Joue pour moi jeune fille. On se rend compte avec cet exercice combien l’imagination, la libéra-tion du jeu se déploie et devient créatrice dans ces travaux fluides, sans intonation particulière, à la va-vite. Bien des déve-loppements, des reliefs, des figures, des gestes, des manières de dire, des intonations apparaissent qui autrement, resteraient cachées, enfouies. Il en va de même avec la lecture à l’italienne qui permet d’écouter le texte, de s’écouter en train de le dire. Là dans la lecture rapide, et molle, quasi inaudible, on voit on sent comme des bestioles qui cherchent leur voie. Le texte apparaît comme un immense serpent qui se contorsionne en me passant par la bouche. Beurk! Le texte se matérialise autrement que dans une articulation structurée, plutôt comme dans un souffle, qui me souffle des secrets à l’oreille interne, comme dans une continuité matérielle. Le texte s’allège, vibre, se débat, grouille, essaie vraiment d’apparaître, de s’incarner, de se montrer comme une fresque. Apprendre à libérer le jeu par l’italienne, par la lecture très rapide, par des hypothèses de folies diverses, par le travail de l’insolite issu du banal réalisme quotidien, par mélopées et danses, et aussi par ralentis et par rigidités… Lire à plat, ce n’est pas lire bêtement sans donner de sens, c’est empêcher qu’un sens unique vienne imposer sa direction! Lire, filer, laisser filer l’ima-gination à son gré, voir se développer le jeu, toutes les possibili-tés, montrer et ne pas démontrer, ne pas s’interdire de faire un geste, en faire un autre à sa place! Si je dis: ils sont fous, ils vont jusqu’au bout, ils assurent à mort, et ça se prolonge de toutes les manières. Exemples: elle lui fait sauter des pétards dans les jambes, ils se canardent à la sarbacane, ils gonflent des ballons de baudruche, ils craquent des allumettes, ils se jettent de la farine, des serpentins, etc… ce sont des hypothèses qui peuvent être retenues mais qui peuvent aussi disparaître après avoir aidé l’exploration du personnage, le développement du jeu, l’imagination de l’acteur. Ils ne font pas la fête, ces trois-là, ils se déchaînent. Pas par méchanceté mais par passion. Ce n’est pas de la parodie, de la rigolade, c’est du très sérieux… cette séance rituelle initiatique infligée à la jeune fille. Le Monsieur cherche, le Secrétaire est l’être-là, l’acteur en somme!

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André Benedetto, Ecrits V

textes sélectionnés et « posés sur la toile » (expression de l’auteur) par lui même à partir de 1999

IL Y A DES TOURISTES QUI CUEILLENT NOS LAVANDES

Tout change avec le temps, les villes aussi bien que les gens. Par exemple, Henry Miller a fait un jour le recensement de toutes les pissotières d’Avignon, du fond de Champfleury au pied du Palais des Papes, en passant par la rue de la République. Il y en avait partout. Et peu à peu, elles ont toutes disparu. Et bien des choses ont disparu, sans parler de tous les gens au jour le jour. Il y a longtemps déjà le quartier de la Balance a été raclé jusqu’à l’os et vidé de ses petits peuples, expédiés vers les banlieues lointaines. Le Monument du Centenaire, remplacé par un manège, a quitté la Place de l’Horloge pour monter la garde aux allées de l’Oulle. Et la statue de Crillon a quitté la Place du Palais. Plus récemment les barres de Champfleury et puis le stupéfiant Guillaume Apollinaire de la Rocade, ont été explosés. On a perdu le Centre National du Théâtre. Quant au Rhône aujourd’hui transformé en lac, on se souvient qu’il fut un torrent et que l’été 68, il nous fit une nuit une crue si violente, qu’il emporta la scène montée sur une petite île devant le Pont St-Bénézet, où devaient des danseurs danser, lors de l’aïoli géant organisé pour fêter le départ du Living Theatre. Mais dans le même temps, on voit d’autres choses apparaître. Les plots le long des trottoirs, ou les bateaux le long du fleuve, qui avaient complètement disparu, qui sont de plus en plus nombreux. Les petits des particuliers, et les gros pour emporter des centaines de touristes, de nuit comme de jour! Et puis la navette fluviale. Mais ce qu’on voit proliférer de plus étrange sur les murs de la ville, naevi bruns, métastases d’un mal inconnu, ce sont des peintures de personnages qui pendant quelques nuits ont hanté la Cour d’Honneur, et qui apparaissent comme autant de fenêtres ouvertes sur des huis-clos saint-sulpiciens. Par contre les remparts, eux, ne bougent pas, sauf quelques poternes percées ici et là, quelques pelouses, les remparts qui nous permettent ici au moins de distinguer vraiment l’intra et l’extra-muros, le centre et la ban-lieue. Les remparts qui, plus qu’une frontière, sont un nouveau concept. Il y a ainsi des Av., des gens que je connais, qui se demandent s’il y a un monde à l’extérieur des remparts, et même quelques uns qui sont convaincus que non, tellement ils se sentent bien, et à l’abri. Récemment on a vu apparaître le Garde du Palais en habit du quatorzième siècle, le chapeau à plume sur la tête et la pertuisane à la main, et là soudain on a senti qu’on entrait dans une nouvelle époque sous le signe définitif du patrimoine. Car avant tout d’abord, il reste le Palais. Il reste là, célébré et magnifié. Il reste le cœur même de la cité, comme référence suprême, comme arbitre des élégances, comme le chef d’orchestre de la transformation. Je ne saisis peut-être que quelques apparences en me promenant dans mes souvenirs, dans mes réserves d’images, je constate. Mais jusqu’à quel point suis-je dans cette ville? Comment la connaître si je suis en plein de-dans? Ou si je suis en plein dehors? Entre deux eaux, voilà, et ni dans tous les lieux, ni dans tous les milieux. Mais les intérieurs percent les murs et se montrent. On voit des choses très secrètes. Il y a quelques années, un conservateur eut l’idée d’ouvrir les portes du Palais et de permettre à tous les Av. le passage à travers la Cour. Mais ça ne dura pas et elles furent refermées. Ce devait être contraire à toutes les règles. Car alors adieu peut-être tous les mystères, les réserves de froid et de fantômes séculaires, les miasmes et les mauvaises consciences au fond des vieilles pierres. Mais qui donc décide des règles? Les villes changent, elles deviennent peut-être ce qu’elles doivent être mais selon quels critères. Qui donc décide de la forme et du plan de travail? Qui inspire? Qui est le maître d’œuvre? Qui suscite, qui orchestre les changements? Qui donne tous les ordres? Est-ce le Palais, qui occupe tous les esprits? Petit insecte prêt à l’envol, le Pont c’est rigolo. Mais le Palais c’est du sérieux… du colossal. La ville se transforme, s’exprime, s’exhibe, s’affuble et s’affable pour devenir ce qu’elle doit être, en fonction de certains besoins. Elle est parcourue par ses agents, couturières, maçons, visionnaires, planificateurs, conseillers et quantités d’autres qui ne se concertent pas forcément. Des forces sont à l’œuvre de mille manières, tirent à hue et à dia, des choix se font, des mémoires en viennent aux mains. Et, façon de parler, ça avance! Un lifting permanent. Et tandis que ça se pare et que ça se technologise, que tout ça se passe, qui travaille et qui se réalise pour mieux vendre sans doute, la vie continue comme avant, avec ses humains tous plus intéressants les uns que les autres, hantant les marchés, les bistrots, les lieux de loisirs. Et c’est dans ce quotidien-là qu’on a le plus l’impression d’être sur une autre planète, la vie. Il est loin le temps de l’industrialisation, où un illuminé suggérait de faire arriver le train sur les remparts. Aujourd’hui tout au sud, le train plonge dans un no man’s land et se pose près d’un paquebot renversé la quille en l’air. Et alors tu te demandes si les Av. ne sont pas les anciens naufragés de ce vaisseau du futur, réfugiés sur une île déserte….

FAUT-IL TUER L’AIGLE?

Hier soir au Théâtre des Carmes, selon une liturgie de Liliane Fendler-Bussi, dans une structure et matières d’Anne Latour, Annick Giordano dans une chambre posée au milieu de l’espace, jouait la Cérémonie, ou les dévotions de Françoise d’Aubigné, veuve Scarron, marquise de Maintenon. On entendait la pluie tomber, le magnétophone claquer à chaque ar-rêt. On voyait par les vasistas dans le toit frémir les éclairs bleus de l’orage et par la lucarne du poêle à mazout se tortiller les flammes jaunes. Et tout cela autour, pour moi, ces bruits et ces lueurs, ces sons et ces images, accen-tuait encore la solitude de cette femme confite dans sa triste situation et dans sa chambre, accentuait le caractère isolé et insolite de cet élément sous nos yeux, ce morceau d’un autre univers à contempler déposé là comme un caillou sur la lune. Le monde entier, le cosmos, vaquait à ses occupations, comme elle aux siennes. Or voilà que cela pose problème à quelques uns. Et vous allez voir que c’est un problème sérieux que cela pose aussi et surtout aux autres, par contrecoup. Vilar disait un jour… Je veux dire qu’il me semble avoir entendu dire un jour à Vilar:  » Cet aigle par exemple, qui viendrait planer au-dessus de Prométhée enchaîné, cet aigle non prévu dans la mise en scène, ça me gênerait. Car il n’aurait rien à faire là, à ce moment-là, dans cette mise en scène!  » Et peut-être a-t-il ajouté:  » Je vous demande un peu. Le théâtre c’est du sérieux, c’est du prévu au quart de poil.  » Il refusait l’imprévu et l’anecdotique. En d’autres temps -et il faut aussi considérer qu’il y a dans notre temps-même des temps qui sont aussi autres, qu’il y a d’autres temps aujourd’hui-même et dans ce temps- en d’autres temps donc, les spectateurs, et le metteur en scène en premier, auraient vu dans le passage de cet aigle, un signe fort et plein de sens. Car ces hasards objectifs qui ne peuvent se provoquer mais qui sont provoqués -par dieu sait qui et dieu sait pourquoi- nous viennent de très loin pour dire quelque chose. Ils apparaissent soudain dans une masse d’autres qui nous restent invisibles. Faut-il s’en priver? Faut-il tuer l’aigle quand on le voit? Faut-il tout faire pour empêcher l’aigle d’arriver jusqu’à nous, ou nous avec tout notre tralala d’arriver jusqu’à lui? Quelques uns qui sont nombreux pensent que oui. Oui qu’il faut empêcher, de toute façon, tenir en mains, canaliser. C’est même la tendance principale qui a le pouvoir en art, car il y a un pouvoir en art, mais c’est un autre débat. Ils veulent simplement éliminer le monde entier, faire un grand trou béant pour y mettre une œuvre dite d’art, et qu’on puisse la voir telle qu’en elle-même, l’apprécier et s’esbaudir dans les meilleurs conditions. Ils ont des exigences, eux. Ils savent ce qu’ils veulent. Faire le noir, le désert, le silence, complets, pour pouvoir installer la création comme suspendue dans le vide, dans l’espace, dans le temp. Mais alors au théâtre, que faire avec les raclement de gorges et de pieds, le crisse-ment des vêtements, le souffle des respirations -merde il y a du souffle!- tous les frémissements, claquements, toussotements, gargouillis, chuchote-ments, craquements, éternuements, etc… Que faut-il en faire? Mais revenons au Théâtre des Carmes! Quelqu’un hier soir me faisait remarquer qu’on voyait les lueurs du poêle et qu’il faudrait peut-être penser à mettre un paravent… Ah ça alors, me suis-le soudain exclamé et dit à moi-même:  » Voilà bien douze ou quinze ans qu’on utilise des poêles à hublot, par nécessité, et nous ne nous étions pas encore aperçus que les flammes se voyaient de la salle, non seulement quand il fait noir mais aussi en pleine lumière. Quelle cécité, je l’avoue. Heureusement qu’il y a comme ça des gens qui arrivent et qui nous font remarquer ces défauts aveuglants car sinon, nous aurions continué long-temps à faire des signaux de fumée en croyant faire du théâtre. Mais trêve de perte de temps pour plaisanter quand on n’en a pas envie à force d’en perdre pour rien avec tous ceux qui savent tout, je connais un théâtre où rè-gnent le noir et le silence absolus et éternels. C’est le lieu idéal du jeu, sans plus aucune perturbation extérieure d’aucune sorte. Mais voilà, personne n’y joue. Même pas les perfectionnistes. Et pourtant il n’en manque pas dans le monde de ces théâtres où on a enfin le noir total et le silence définitif. Mais personne n’y joue! (1) La mise au pas, la mise en plis, la mise au secret, la mise au secret, la mise au cachot, au silence, la mise au piquet, la mise en boîte, la mise à mort (2), l’alignement des têtes et la taille du buis, au cordeau et au fil à plomb, rasez toutes ces têtes, passez-moi ça au noir, et puis donnez-moi un peu quelques précisions… Tout ça c’est du même ordre. C’est Monsieur Propre qui surgit… Il s’appelle selon le cas, rumeur ou majorité silencieuse. Il va vite et il frappe fort. Il est innombrable. Il est dangereux. Il égalise, Il uniformise. Il tue… Etc sur l’éclairage, etc sur les décors, etc sur le costumes, etc sur l’accent, etc sur le jeu, etc sur la vie, etc sur la poésie et sur les HLM qui ont une toute petite cuisine et une petite baignoire dans laquelle y en a paraît-il qui ont osé y élever un cochon ces sauvages, car ils n’ont jamais rien compris au théâtre idéal, de noir vêtu, bouche cousue et haut de borne, en concession perpétuelle. André Benedetto S 27.XI.82 NB. Picasso savait-il peindre? Remarques du 04.X.02: (1) Je ne sais pas du tout à quoi il est fait allusion. (2) J’ ai oublié la mise en scène, la mise en bière…

GÊNES 2001, LE JEUNE HOMME EXPOSE

Pour essayer de comprendre un peu la mondialisation, j’ai voulu écrire une pièce sur ce thème. J’ai imaginé divers scénarios qui avaient plutôt des allures de thèses. Et puis le 20 juillet 2001 il y a eu la mort de ce jeune homme à Gênes: Carlo Giuliani. Cet évènement violent et tragique m’a paru être le nœud de toutes les contradictions de notre monde en train de se mondialiser contre les intérêts des peuples, et pour moi l’occasion d’aborder et d’éclairer ce phénomène sous un angle vraiment humain. A partir du fait historique, j’ai imaginé une fiction. La fiancée du jeune homme qui était avec lui à la manifestation contre le sommet revient à la maison avec le cadavre de son ami. Elle arrive au moment où on célèbre l’anniversaire de son vieil anar de grand-père. Elle rapporte le cadavre. Elle refuse qu’on l’enterre et en plus, à la consternation générale, elle accuse son père, le député, d’être responsable du meurtre en sa qualité de membre des forces politiques qui dirigent le monde. On est alors en pleine crise.

DEUX PONTS TROIS ARBRES ET QUATRE HOMMES DU SUD

Il fallait que je refasse pour cette année une nouvelle édition de Jaurès-la-Voix, un ensemble de cinq monologues, joué en 84 et tiré à très peu d’exemplaires il y a longtemps. C’est alors que j’ai pensé à d’autres textes en attente, des textes de diverses époques sur les vingt dernières années. Pour la plupart des inédits, et j’ai constaté que plusieurs de ces textes auxquels je trouvais encore quelque intérêt avaient une chose en commun: le sud. Il y avait là deux ponts: le Pont du Gard et le Pont St-Bénézet ; trois arbres: le cyprès, le pin et l’olivier; et trois hommes sur lesquels, en plus du tribun Jaurès, j’avais écrit des textes à dire: le poète Artaud, le sculpteur Dardé et l’acteur Vilar. Jacques Brémond l’éditeur m’a suggéré de demander des illustrations à Ernest Pignon-Ernest, ami de longue date et peintre incomparable. Ernest a accepté. Il a gravé les quatre portraits saisissants. Et voilà comment le livre a été fait.

L’AUTRE EST UN JE

Il n’y a qu’une seule chose à apprendre, et la plus difficile, c’est le respect de l’autre. Oui, le respect de l’autre, et cela dès le moment de sa naissance. Car de ce moment-là il est un être humain, une conscience humaine, fut-elle embryonnaire, qui se met en action. Cet individu naissant, quels que soient sa couleur, sa conformation, ses mensurations, ses langages, ses mouvements et tout ce qu’on peut imaginer d’autre, tout cela ne change rien à sa qualité fondamentale d’être humain en devenir, jamais complet, sans cesse en évolution et en développement physique et psychique. Admettre que l’autre est un autre, un être autonome, totalement libre et indépendant, maître de son destin, de ses pensées, de ses désirs, cela ne va pas de soi. Il faut beaucoup d’amour et une grande force de caractère. Tout l’enseignement, agrémenté de la pratique ludique des sons, des traits, des couleurs, des formes, des mots, des nombres, ne devrait porter que sur cette seule matière : l’autre qui est un je au même titre que moi-même. Cet enfant quand il te regarde, il te toise d’en bas pour te faire comprendre qu’il est à la même hauteur. Il n’y a pas d’âge où ça commence l’altérité. C’est tout de suite. Au premier cri. André Benedetto Ce texte a été écrit le 01.08.02. et expédié le même jour à la demande de Nathalie Boitaud pour le Journal d’Uzeste, Hestajada de las Arts, 25ème Eté 2002.

LETTRES A FELIX MORT

HYPOTHESE 1 j’aimerais y croire un instant, m’adonner à cette drogue et les paupières alourdies par l’opium du peuple écrire : Cher Félix j’espère qu’ils ne t’ont pas lobotomisé et gavé de bonheur et fondu dans une majorité silencieuse encore plus gluante que celle d’ici-bas j’espère que tu as retrouvé des bons esprits et qu’au sein de la béatitude éternelle quelle horreur vous poursui-vez la contestation nécessaire et que vous agitez pour empêcher le triomphe de la société de consommation dont le Paradis semble le parfait achèvement, cet hypermarché infini dans les nuages, et pour poursuivre dans cette hypothèse saugrenue je t’embrasse et je te dis à bientôt car si tu y es pourquoi n’y serais-je pas et je pense que ce sera rigolo

HYPOTHESE 2 hélas Félix car je te préfèrerais vivant, te voilà depuis un certain temps dans les mille éclats du miroir de l’ubiquité absolue apparaissant disparaissant ici et là comme mille et mille papillons dans les esprits et dans les cœurs qui t’ont aimé ce qui au fond nous complique la tâche pour te rassembler et pour t’apostropher c’était déjà difficile de te saisir quand tu étais là corps présent et maintenant c’est encore plus difficile ainsi dispersé que tu es dans tous ces gens et personne ne les connaît tous et ils pensent tous différemment mais tout de même tous ces félix petits bonheurs un peu partout chez les uns et les autres stimulant posant des questions disputant ils forment un réseau pensant qui ne plie pas et au fond c’est peut être ça que ça s’appelle le paradis l’oiseau paradis alors je vous dis alors je vous salue les félix innombrables tandis que je vous vois vous marrer de bon cœur comme se marrait bien celui qu’on a connu .

Ces deux textes ont été écrits et envoyés manuscrits pour répondre à la demande de Sergi Javaloyès envoyée de Jurançon le 23 juillet 2002, sous la mention Confidentiel: Amic, C’est Betty qui m’a donné ton adresse, c’est aussi avec elle que nous avons eu l’idée d’une exposition qui montrerait agrandis (fortement) des lettres au paradis adressées à Félix-Marcel Castan par ceux qui l’ont aimé, côtoyé ou tout simplement lu (…) Je viens vers toi, qu’arribi tà’t demandar un tèxte com volhas, una letrota au Paradis a Fèlix… O un aute tèxte. 1500 signes maxi, manescriut. La mustra, l’expo sera visible -vededera bilingua a Uzèsta deu 19 d’Aost enlà au 25. Mercés hera e plan lo ton, Sergi Javaloyès J’ai envoyé une photocopie de la page à Betty Dael-Castan. Il y a 1727 signes…

SECURITE? OH OUI, ET VITE!

Oh oui sécurité, nous en avons besoin, nous toutes et nous tous, et puis surtout les jeunes. Nous vivons dans un monde instable, inquiétant, dangereux où la violence à chaque instant et sous toutes ses formes nous agresse et nous frappe. N’importe quand et n’importe où soudain des catastro-phes se produisent. Des fleuves sortent de leur lit. Des torrents s’enflent et déferlent. Des terrains s’affaissent. Des tremble-ments de terre engloutissent des populations. Des vagues de la mer emportent des promeneurs. Des bourrasques de vent arrachent tout, tuent et dévastent. Selon les statistiques, chaque année des records sont battus… Tout cela les jeunes le savent et ils constatent que les adultes, qui ont les pouvoirs, n’y peuvent rien et que quand ils y pourraient, ou bien ils ne font rien par négligence ou bien ils prennent des décisions lourdes de conséquences, hélas souvent par intérêt, dans les petites comme dans les grandes villes. Au niveau mondial, U.S.A. en tête beaucoup de pays refusent de signer et de s’engager avec la communauté interna-tionale pour réduire les gaz à effets de serre, pour promouvoir les droits de l’enfant, pour abolir la peine de mort, pour interdire les mines antipersonnel… Tout cela les jeunes le savent et si les grands pays du monde, si les très puissantes démocraties ne respectent ni les êtres humains, ni la nature, ni l’avenir de la planète et des espèces, pourquoi eux les petits, les infimes qui ne pèsent rien, pourquoi respecteraient-ils quelque chose? Ce serait dérisoire! Si les grands responsables et les chefs tant montrés et tant vantés ne font rien pour améliorer l’avenir, pourquoi eux s’inquiète-raient-ils du futur et même du présent? Quand ils voient ce que font les russes aux tchétchènes, les israéliens aux palestiniens et les nord-américains à tout le monde, quand ils voient que la force prime le droit et se permet tout, pourquoi eux, de quelque milieu qu’ils soient respecte-raient-ils leurs petits camarades? Pourquoi respecteraient-ils leurs enseignants qui leur paraissent peut-être au service d’un monde corrompu, et sans aucune règle que celle du profit? Il est épouvantable de constater cela et de se dire que la violence est pire que celle qu’on dit, que le mal est plus profond qu’on ne peut l’imaginer. Tout coûte trop cher, mais plus rien ne vaut quelque chose. Tout a une valeur mais les valeurs se dissol-vent dans l’air du temps. Le monde est une marchandise mais l’avenir ne vaut plus un clou. Depuis tout petits, les jeunes savent ce qui se passe dans le monde. Ils ont des yeux et des oreilles. Ils entendent les nou-velles. Ils voient les images. Le poids des mots dans leur esprit, et le choc des photos dans leur imaginaire ne peuvent les laisser indemnes. La violence des faits jaillit des pages et des écrans. Oh pas la violence des films et des séries, oh non. Mais celle des nouvelles qui dégorge à pleins tubes cathodiques et qui envahit les cœurs et les esprits. Ils apprennent qu’on peut entasser des milliards et jeter des gens à la rue. Des gens comme eux. Ils apprennent les gains excessifs des sportifs, les méfaits des violeurs qu’on appelle cyniquement des pédophiles et dont on fait l’apologie ouverte-ment, les sans-logis qui meurent de froid, les enfants squeletti-ques qui meurent de faim, les prostituées et les prostitués, très jeunes et toutes les autres horreurs déversées quotidiennement. Et trop souvent sans grande déontologie. Exemple: les drogues sont toujours présentées par les médias comme des sources de profits colossaux. On dit ce que ça vaut, des millions, et on ne dit jamais ce que ça coûte aux malheureux, à leurs parents, et à tout le monde. On pourrait dire aussi à quoi ça pourrait servir pour le bien… Mais quel présentateur s’est jamais posé la question? A ces jeunes, à ces adolescents, où qu’ils soient, tout leur dit à chaque instant et de mille manières que ce monde est foutu. Cette hypothèse d’une fin programmée contre laquelle on ne pourrait rien atteint tous les esprits avec une extrême violence. Et eux, ils ne peuvent rien du tout pour empêcher l’apocalypse. C’est déjà beau qu’ils aient encore globalement des comporte-ments civiques, qu’ils ne foutent pas tout à feu et à sang comme on semble l’attendre d’eux, ou qu’ils ne tombent pas tous dans les poches des intégristes. La violence gicle de partout. On ne peut pas y échapper. On n’échappe pas plus à la violence générale qu’à la pub. Elle a des répercussions sur les enfants, sur les jeunes, sur les ados. Il n’y a aucune sécurité, aucune protection possible. C’est comme une contamination générale. Ainsi dit un poète: Tu cueilles une fleur, tu bouges une étoile. Tout est lié. Une bourrasque ici et beaucoup plus loin une feuille qui tombe. La violence c’est com-me la marée noire. Un seul trou dans la coque d’un navire et des centaines de kilomètres de côtes polluées. Et que propose-t-on comme solution? La répression, toujours la répression. De qui la répression? Des feuilles qui tombent! Des sauvageons bien sûr, de leurs parents et jamais des lointains responsables. Et trop souvent la violence institutionnelle qui relaie la violence du profit. On accuse, on n’explique jamais. Les politiques ont des grandes responsabilités parce qu’ils accusent des innocents au lieu d’expliquer. Et s’ils n’expliquent pas c’est peut-être qu’ils sont complices et coupables. Il faudrait qu’ils se mettent à parler vraiment, à dire ce qu’ils savent, à expliquer à fond et pendant tout le temps qu’il faut. Qui donc, quoi donc les en empêche? Le taux d’audien-ce, le pourcentage des parts de marché? Si l’autorité de l’état est attaquée, l’état doit s’interroger sur cette autorité, sur ses fonde-ments et sur sa légitimité. Sécurité d’accord. Toute la sécurité pour toutes et pour tous et contre toutes les violences.

– FAUT-IL CRITIQUER? – NON, JAMAIS?

Si vous allez voir un spectacle donné par des gens que vous connaissez, parents, amis, relations, et que vous devez dire quelque chose à la fin, dites au minimum que c’est bien, que ça vous a plu du genre: J’ai aimé, c’est bien, vous êtes bons, etc… et au maximum, si vous voulez faire du zèle et faire vraiment plaisir, développez sur quelque chose d’un peu intéressant, de positif, d’étrange, d’insolite, etc… Il est très bien vu aussi de poser des questions, de demander des précisions sur des détails, de montrer que vous vous intéressez à la création. Mais surtout ne faites pas de critique, pas une seule critique, pas l’ombre d’une critique, ne formulez même pas une petite réserve, vous fâcheriez et ça ne servirait à rien, même si vous faites cela parce que ça vous paraît utile dans l’intérêt du spectacle. Les moindres critiques négatives, les plus insignifian-tes réserves sont toujours très mal perçues. Les gens ne veulent pas de conseils, pas de leçons, pas de doutes, ils veulent plaire et c’est tout et si vous leur montrez si peu que ce soit que vous avez des réticences, ils en concluront qu’ils ne vous ont pas plu, et vous deviendrez un ennemi. Il est vrai qu’il faut se méfier des critiques, et surtout des éloges, faites par des parents ou des amis qui souvent ne peuvent pas prendre la distance nécessaire et disent n’importe quoi. Mais si les professionnels écoutaient, s’ils voulaient entendre, ils pourraient tirer grand profit de certaines critiques qui viennent d’étrangers, de gens extérieurs au travail, surtout quand ils sont aussi du métier. Hélas dans ce cas, c’est bien pire. Le confrère est perçu comme un concurrent jaloux, tout simplement. Il m’est arrivé de faire des critiques qui allaient dans le sens du spectacle, qui pouvaient le servir, l’améliorer et lui permettre parfois de poursuivre son parcours. Le pire que je me suis permis a été de conseiller à un metteur en scène et acteur devenu auteur pour une fois, de supprimer les décors trop lourds et de réduire la distribution de moitié, tout en conservant l’essentiel, c’est à dire l’histoire et le principe de jeu, afin de pouvoir poursuivre les représentations en tournée car le spectacle était trop lourd. Il a très mal pris ces suggestions et m’en a beaucoup voulu par la suite. Il n’a donc pas tenu compte de mes suggestions et ce qui était prévisible, il n’a pas pu continuer à exploiter sa création, tandis que s’il m’avait écouté… Je n’ai jamais tellement fait de critiques dans le passé mais depuis plusieurs années, depuis cette malheureuse expé-rience, avec quelqu’un avec lequel je me croyais en situation d’amitié, je ne fais plus jamais aucune suggestion à personne, même quand ce serait d’une extrême urgence comme je l’ai vu dernièrement, car ça ne sert strictement à rien. Eh oui j’ai vu des catastrophes se profiler mais personne ne veut de profiler! Alors je te le dis: Laisse couler le navire, sinon on te reprochera d’avoir provoqué le naufrage. Et moi alors, moi, comment je réagis? Eh bien voilà, je vais vous dire. J’écoute les critiques et la plupart du temps, je n’entends rien d’intéressant qui pourrait améliorer le spectacle. Dommage! Car je me dis que je ne peux pas voir l’énorme erreur fatale que je pressens peut-être mais que personne hélas ne veut me montrer et me conseiller ainsi utilement, par crainte de… comme si tout le monde avait déjà lu les lignes qui précèdent!

Chères et chers amis, je vous prie de recevoir cette contribution à la mise en perspective d’un spectacle du jeune théâtre, l’En Famille de la troupe Organik II dirigée par Brigitte Canaan, la bonne actrice qu’on a vue jouer avec nous dans Comédie dans un Bus, Fleur du Béton, Macbeth, Joue pour Moi Jeune Fille, Houle de Fond, et qui a déjà quelques expériences de création dans des bars, des rues et places, et des théâtres.

LE PATHOS A LA FOURCHETTE

Lorsque il y a un an, Brigitte Canaan a lu sa pièce, En Famille, qui se déroule presque toute au cours d’un repas familial, et qu’elle envisageait de la monter, j’imaginais un spectacle de type marseillais haut en couleurs et en coups de gueule. Tous les personnages caractéristiques sont là: la mère possessive, le père qui obéit, les grands parents traditionnels, la sœur dé-pressive, le fils qui voulant échapper à sa mère tombe sur et dans le double maternel, plus vieille que lui de quinze ans et mère de cinq enfants, la fiancée comme pièce rapportée… Et ils sont tous autour d’une table pour le partage de la soupe, cette nourriture familiale et tribale par excellence. Mais voilà que cette soupe qui aurait due être au pistou, n’est plus que de pâtes! Et le spectacle qui vient d’être créé n’a plus grand chose à voir avec son origine supposée, ni avec le traitement scénique que je m’attendais à voir. La farce marseillaise où on se demande si on doit dire  » un  » ou  » une  » aïoli , et où on fait du sentiment, disparaît au profit d’une farce d’une autre nature, mais qui dit la même chose avec d’autres moyens qui, peut-être, explicitent mieux le propos initial. Le repas familial reste l’occasion d’une convivialité encore élargie ici, puisque les spectatrices et spectateurs sont conviés à la table même du repas, ou à ses abords immédiats, par nécessité d’accueillir plus de gens. Les spectatrices et spectateurs ne sont plus les témoins éloignés d’une action dramatique mais les parents et les amis assis parmi et entre les personnages. Et on évite ainsi l’écueil de la représentation d’un repas qui prend toujours, exposé en scène frontale, des allures de cène, tous de face au public. Ici les spectatrices et spectateurs sont impliqués dans l’espace du jeu, dans la proximité et dans l’intimité des personnages, dans le déroulement de l’action. Ils participent à la construction du spectacle en étant là présents, en buvant du vin et en consommant des produits de bouche réels, mais crus et donc très différents de ceux, en particulier de la soupe, consommés par les personnages, et dans le même temps ce spectacle se déconstruit sous leurs yeux, dans leur environnement immédiat. Ils sont installés dans un spectacle d’intérieur et on leur fait du théâtre de rue. Ils côtoient des personnages qui jouent en marionnettes et qui du fond de leur fripes de mousses colorées et de derrière leurs lourds maquillages cherchent à établir la connivence des regards et des sourires avec eux, spectatrices et spectateurs qui parfois un peu coincés et ne sachant s’ils peuvent intervenir, étouffent de tant de proximité, cherchent à prendre du recul, de la distance et même à s’étirer pour celles et ceux qui se sentent les plus mal assis. Elles et ils ne sont pas agressés mais ils ne sont plus du tout à l’abri dans le confort habituel des fauteuils. Ils sont au cœur même de la dialectique de l’élaboration du spectacle en train de se constituer et de sa destruction simultanée, au cœur de la dialectique du comédien et du personnage, au cœur de la dialectique des espaces, les personnages étant peu à peu éjectés de la table du repas. Bref c’est beaucoup plus riche, plus subtil et plus complexe que ça peut paraître au premier coup d’œil. Les spectatrices et le spectateurs sont les témoins d’un jeu de marionnettes bourrées de tics et couvertes de métastases, et les partenaires fraternels des êtres qui vivent au fond de ces mannequins déglingués et qui tentent d’établir des contacts entre naufragés de la scène et de la vie. Les consciences en paix et les consciences inquiètes, les consciences curieuses et les consciences dormeuses ne voient pas le même spectacle et ne réagissent pas de la même façon. Pour quelques unes quelques uns, une espèce de mauvais goût se donne libre cours. Et pour quelques autres il y a de la carence esthétique, là même où une esthétique est en jeu, parce qu’ils ne retrouvent pas leurs formes, leurs couleurs, leurs écritures et leurs mises en scène préférées. Alors voici des gens désemparés qui se sentent emmenés trop loin des spectacles dits de qualité auquel ils sont habitués, bien trop loin des convenances obligées, loin des conventions et hors du consensus. Ce qui les déstabilise… Il n’y a pas là des manques ou des erreurs esthétiques mais des choix esthétiques de bout en bout. Le spectacle se fait en se faisant et se dévoile peu à peu. Il y a beaucoup de choses à voir, et à découvrir après coup. Par exemple que le fiancé joue en torero, ce qui se voit à ses mollets, et qu’à la fin il sacrifie la bête, c’est à dire l’ennemi de la famille, donc de la société, donc le bouc émissaire… La mère est une statue préhistorique mamelue, stéatopyge et même callipyge. Le père comme une ombre. Le grand-père et la grand’mère sont devenus une seule et même personne, ce qui est fréquent, de même que la sœur et la fiancée mais pour d’autres raisons. Le texte c’est ce qu’il en reste dans un monde de perte accélérée d’identité, de télévision omniprésente, de sodas, de vulgarité, de guerres permanentes, de tueurs en série… Il sonne simple et juste, juste ce qu’il faut aux pauvres marionnettes pour continuer à être et à agir, ou juste pour être agis juste ce qu’il faut pour que demeure leur croyance d’être les décideurs de leur destin. Les actrices et acteurs sont aux prises avec des conditions de jeu assez inhabituelles et ils devraient avec la pratique, développer des actions, des mouvements, des comportements, des intonations, des cris, des danses désarticulées, des chants répétitifs par bribes que l’on sent déjà à l’œuvre dans un travail fort intéressant. André Benedetto Dim 19.X.02 Le personnage marseillais, provençal et plus largement méditerrané-en est fondamentalement un individu tragique, fataliste, non-croyant, toujours en représentation, jouant à fond sa différence, dépendant de sa famille, fils d’une mère souvent possessive, père d’un enfant qu’il met au centre du monde.

LE THEATRE DE CONFESSIONNAL

C’est la deuxième fois que je vois du théâtre français filmé très récemment et tout spécialement pour la télévision. Il est même précisé qu’il s’agit d’  » Une très belle adaptation qui respecte l’œuvre tout en s’adaptant aux impératifs de la télévision.  » Bref c’est adapté en s’adaptant… mais on n’énumère pas les impératifs, et de quelle télévision, dommage. L’adaptation en question, car on n’hésite pas à remanier les grands classiques, sans respecter l’alternance des rimes féminines et masculines, sans garder quelques petits morceaux essentiels, taille largement dans le texte, et arrange un peu l’intérieur de quelques vers. C’est donc plutôt de l’arrangement. Ca ne se joue pas dans un seul lieu, ça change de cadre, de pièce, ça met parfois un œil dans un dehors étroit, mais ça reste du huis-clos, sans les vrais extérieurs ni les foules comme y est contraint le théâtre, mais aussi sans public. Le résultat est surprenant de la part des actrices et des acteurs. Ils parlent tous pour le micro, ils articulent le moins possible, ils parlent le moins fort possible, ils susurrent. L’acteur bien sûr ne fait pas l’image comme il la fait au théâtre, de moins en moins d’ailleurs. C’est la caméra qui s’en charge, comme au cinéma, et dans cette image, les acteurs distillent le son. Ils distillent, voilà le mot. Curieusement, ils ne respectent pas la diérèse, di-é-rèse, qui pourtant pourrait contribuer avantageusement à leur façon de dire le texte. L’acteur télévision de ce type est en somme un chuchoteur. Tout se passe vraiment entre eux seuls dans l’image exposée, sans témoins, et surtout pas comme au théâtre. Ca relève du complot, de la conspiration, de la confidence, de la voix off, du journal intime, de la confession et peut-être du cauchemar. On dirait qu’ils jouent dans un confessionnal, et que nous sommes téléspectatrices et téléspectateurs à la maison, dans la posture du curé. Je ne sais pas si cela est bon ou mauvais. Je le constate. On est loin de ce qui a pu se faire en d’autres temps. Ce n’est plus du théâtre, un peu comme à la scène, filmé et re-transmis, c’est du théâtre télévisuel, une œuvre intime. Aujourd’hui l’acteur télévision de ce type est le contraire-même de l’acteur théâtre officiel qui se décarcasse toujours autant sur les grandes scènes, comme dans les siècles passés. Voir ci-après l’acteur barbaque.

L’ACTEUR BARBAQUE

Ca se passe sur une grande scène, dans un grand festival, avec un grand acteur, un grand metteur en scène… Et on constate d’abord que l’acteur est vieux, bien trop vieux. Il a au moins quinze ans de plus que celui annoncé dans la pièce, ce qui est rare. Et ça c’est un mal général. La plupart du temps, les acteurs sont trop vieux sur les scènes de théâtre. Même quand ils ont les moyens d’engager des gens de talent, les metteurs en scène prennent des Dom Juan, des Macbeth, des Tartuffe de 50, 60 ans… qui devraient en avoir vingt de moins. Pourquoi? Est-ce l’ancienneté qui prévaut dans les distributions? Ensuite il lyrise, il relève tout vers le ciel, il cherche à tout lier et à donner du sens, et à faire du sentiment, il chante les vers qu’il ne sait pas dire car il en fait de 11 ou même de 10 pieds, souvent à cause de la diérèse non observée et plus souvent de l’élision inopportune des e qui ne sont pourtant plus muets mais qui font une syllabe quand ils sont pris entre deux consonnes. Mais lui il s’en moque, il avale. Et pourtant il a du métier. Mais lui il croit sans doute, en agissant ainsi moderniser la langue… la mettre au niveau de la vie, c’est à dire du bistrot et du film policier. Ensuite encore il ne cesse pas de gueuler, quand il ne sait pas quoi faire d’autre avec son personnage, ce qui est insupportable. Enfin il tombe dans le pathos, il s’émeut, il pleurniche, il pleure même, surtout s’il est une femme, et ça coule, et ça bave que c’en est à vomir, il s’exprime, il s’expose, il s’étale. On dirait de la boucherie. Et voilà sous vos yeux, l’actrice ou l’acteur barbaque qui vous livre ses tripes. Ca doit durer depuis longtemps, depuis un siècle et plus encore. Après Diderot et Brecht pour citer des anciens, j’ai cru que ça allait disparaître. Eh bien non. Ce que j’ai vu il y a assez longtemps, je l’ai revu encore, il y a peu. Je comprends que des actrices et des acteurs, même célèbres, se laissent aller à ces épanchements, à ces débordements de sensiblerie, à ces livraisons de barbaque sanguinolente. Ce sont des âmes faibles… Mais ce que je ne comprends pas c’est que des spectatrices et des spectateurs puissent supporter ces cris, ces pleurs, ces crises de nerfs simulés, ces inconvenances, ces vulgarités, ces cochonneries affectives. Quand ils ne sommeillent plus bercés par les lyrismes de pacotille, peut-être que réveillés en sursaut par ces manifestations intempestives de la chair en délire, peut-être que dans ces excès vocaux, expressifs et corporels, ils voient les actrices et les acteurs se débonder et pisser et chier sous leurs yeux et que ça les soulage de quelque chose de violent, de quelques gros besoins cachés aux plus profonds. Tout cela relèverait alors dans la forme d’une espèce de distanciation qui n’a jamais encore été pensée par personne, et dans le fond de la plus banale catharsis! Mais d’où vient donc que cela me soit si pénible?

LES HECATOMBES SUR LES ROUTES

Il existe peut-être des statistiques sur les accidents de la route qui permettent de savoir quels sont les pourcentages des responsables selon le véhicule, ou camion, son tonnage, ou voiture, sa cylindrée, sa marque, le conducteur, son sexe, son âge, sa situation sociale, l’infrastructure routière, le climat… Mais comme on ne connaît pas ces statistiques, il faut donc s’en tenir à des généralités. On vend des automobiles trop rapides, beaucoup trop rapides. On vend même des automobiles qui peuvent être conduites sur toutes les routes, sans permis. Laxisme excessif, vitesse excessive, il y a des gens qui trouvent ces pratiques anormales et qui estiment qu’elles devraient être interdites. Ces gens oublient des règles très importantes de notre société. La première règle est que les êtres humains naissent libres et égaux en droits. Par conséquent ils peuvent tous prétendre posséder une voiture et se promener comme tout le monde sur le réseau routier, sauf sur les autoroutes pour les sans-permis, ce qui d’ailleurs est injuste. La deuxième règle est que, sous peine de récession et de chômage, l’indice de croissance doit impérativement augmenter d’année en année et par conséquent, peu importent les conséquences, l’industrie automobile doit vendre le plus possible de voitures. Aussi bien à celui qui, dans sa propriété, a une piste privée sans limitation de vitesse, qu’à celle qui est à moitié aveugle, ou qu’à celui qui n’a jamais réussi à passer le permis, comme à celui à qui on l’a retiré définitivement, bref à n’importe qui. Et ainsi ça continue à produire, à consommer et à rouler. Au fond, puisqu’il en est certainement de même dans les autres pays avec toutes ces ventes de bolides et de sans-permis, tout cela n’a peut-être, du moins en France, aucune incidence particulière sur les accidents de la route. Or la question principale est justement de savoir quelles sont les causes des hécatombes routières en France, qui sont des records en Europe et qui demeurent à ce jour, spécifiques et incompréhensibles. Pourquoi en France et pas ailleurs? On rend les mauvais chauffeurs responsables de tout. On les appelle les chauffards. On les accuse de vitesse excessive, d’alcoolisme, de cannabisme, d’incivisme, d’inconscience, d’égoïsme, etc… l’explication est courte. On préconise des mesures draconiennes, on en prend mais sans obtenir des résultats probants. Pourquoi cet échec permanent? Parce qu’on n’a pas encore mis le doigt sur le mal. Evidemment! Parce qu’il n’y a pas les bons conduiteurs et les autres sur les routes. Il n’y a, plus ou moins, que des chauffards… Y compris des ministres, des députés, des législateurs! Car sur la route il s’agit de se comporter comme dans la vie sociale. Être le meilleur, le plus rapide, le plus efficace, le plus rentable. Gagner du temps qui est de l’or en barre. Et pour cela aller le plus vite possible. Battre des records. Passer, dépasser, se surpasser. Plonger dans l’inconnu. Rechercher de la sensation. Brûler les stops et les feux rouges. Rouler en état d’ivresse. Rester sur la voie médiane. Et puis faire la morale aux autres à coups de klaxon ou de phares. Tout cela pour prouver quelque chose. Quoi donc? On va y venir. Car tout cela relève de la psychanalyse. Et on aurait bien besoin de Franz Fanon pour nous aider en cette circonstance. Pourquoi tous ces gens se comportent-ils sur les routes comme des malins, des voyous, des prétentieux, des inconscients, des sportifs, des frimeurs, des frustrés, des fous ah oui des malades mentaux. Pourquoi? Pour la raison bien simple qu’il n’y a aucun autre pays en Europe qui ait comme la France occupé un pays tel que l’Algérie par exemple, pendant plus de 130 ans, pour au terme d’une sale guerre perdue appelée pacification et après des centaines de milliers de morts , reconnaître son indépendance. Et pour cette autre raison bien simple aussi, qu’il n’y a aucun autre pays en Europe qui ait interdit à plusieurs peuples de pratiquer leur langue, qui les en ait empêchés par la répression la plus humiliante et qui continue à leur refuser ce droit, reconnu maintenant par la communauté internationale. Une charte a été promulguée que la France refuse toujours de signer. Des générations d’enfants ont été traqués, poussés à la délation mécanique. Le premier qui était surpris à dire un mot de  » patois  » (pas toi) devait porter un signal autour du cou, dont il ne pouvait se débarrasser qu’en surprenant un de ses camarades de classe en train de transgresser l’interdiction et en lui transmettant le signal, curieux relais, curieux entraînement à la recherche d’innocence et à une délation qui a très bien fonctionné pendant la dernière guerre. Cette belle œuvre de culpabilisation et d’anti-émancipation été menée, hélas, par l’école de la République. Le déplorable couronnement de ces méthodes d’épouvante a été la récente panthéonisation de l’Abbé Grégoire, le champion aux temps révolutionnaires, de la lutte contre les patois. Et ainsi systématiquement, impitoyablement pendant des décennies, des générations d’enfants ont été traumatisés et ont refusé par la suite de parler leur langue à leurs propres enfants tandis qu’ils continuaient à la parler entre eux, devenus adultes. Choqués à des profondeurs qui ne se mesurent pas, ils n’ont pas transmis la langue interdite mais ils ont transmis à leurs descendants, par la culture, par la manière d’être et de vivre, ces blessures inguérissables, ces peurs inavouées, ces culpabilités profondes. Et aujourd’hui les voilà toutes et tous lancés sur les routes, de même que tous ceux qui ont mené la guerre coloniale, ses combats, ses tortures et ses exécutions sommaires, dont on n’est pas encore sortis. Il n’y a sur les routes que des coupables qui roulent. La question est de savoir s’il faut faire passer tout le monde sur le divan ou si une bonne répression, très sévère et implacable, va calmer tous ces coupables qui ne désirent au fond que d’être punis et qui attendent impatiemment d’être pris en flagrant délit, verbalisés, taxés et privés de points? J’avoue n’avoir pas de réponse. André Benedetto P.S. 1 – Il y a aussi le problème des feux rouges, cette aberration. Le problème des policiers qui verbalisent des peccadilles, et sont rarement là où il faudrait. Qui n’a pas été pénalisé pour la seule forme, pour le principe, pour rien? Le problème de l’Equipement qui cherche à paralyser le trafic par tous les moyens, en prétendant l’améliorer… P.S.2 – Forcément je n’ai rien pu dire de la recherche de l’immobilité par la vitesse, et le retour à l’œuf originel. Plus tu vas vite, plus tu as des chances de piéger le temps, de le paralyser. Le rêve pour cela c’est d’atteindre la vitesse de la lumière et que plus rien ne se passe. Comme au théâtre, quand deux heures s’écoulent en une fraction de seconde, au temps de Zone Rouge, et de la moto noire.

Voici le texte de la communication que j’ai faite en séance plénière finale lors du Forum ‘Sciences et Citoyenneté’ à l’Hôtel de Région Paca le V.24.01.03 à 17:00 J’ai essayé de rendre compte de nos échanges du mardi 14.01.03 au Théâ-tre des Charmes à Avignon. Je ne me suis hélas pas souvenu de tout, d’autant plus que je ne disposais pour exposer, que de cinq minutes.

ARTISTES PASSEURS DE SAVOIR

Texte original que j’ai dû couper pour faire une communication de 5 minutes. Henry-Louis Taylor de l’ASTS a souhaité que nous organisions chez nous au Théâtre des Carmes à Avignon en amont de la journée qui se tient ici ce 24 janvier un débat public sur le thème des Artistes passeurs de savoir nous avons donc organisé ce débat le mardi 14 janvier et j’ai fait appel pour cela à 3 personnes que j’estime des artistes et des gens d’expérience avec lesquels le dialogue est possible et donc fructueux Claude Djian, acteur et formateur auprès de lycéens et d’étudiants Pierre Guiral directeur de l’Ecole Nationale de Musique de Théâtre et de Danse d’Avignon et surtout Artiste lyrique en exercice Henri Touati, conteur et directeur du Festival des Arts du Récit en Isère Henry-Louis empêché, nous nous sommes donc retrouvés à quatre avec une cinquantaine de personnes venues de tous les horizons et même d’autres villes… et après une demi-heure de monologues introducteurs nous avons débattu pendant 80 minutes. Je tente ici quelques réminiscences L’acteur doit parvenir à être aussi beau et présent sur une scène qu’une vache dans un pré ce qui vaut aussi pour tout être humain dans la vie mais qui est difficile à réaliser d’être là, seul, paisible, prêt à agir, sans micro, sans prothèse. Pour aider à atteindre ce résultat d’être là et pas ailleurs, soi-même et pas un simulacre il faut prendre les individus tels qu’ils sont ne pas chercher à les remplir de connaissances et de techniques ni à les transformer de fond en comble leur donner simplement l’occasion de faire par eux-mêmes et par exemple pour ce qui est du théâtre quand il ne s’agit pas d’une école d’acteurs leur donner l’occasion de faire du théâtre sans leur apprendre à en faire ce qui est paradoxal mais pédagogique faisons d’abord comme si sinon on commencera quand? Mettre une classe en situation d’atelier de théâtre c’est bouleverser les hiérarchies et les clichés habituels c’est permettre à tous les êtres d’apparaître différents de ce qu’ils paraissent être d’habitude de les révéler à eux-mêmes et aux autres comme ils ne se savaient pas encore ils se trouvent alors dans le rapport à l’autre selon d’autres codes que d’habitude et leurs images prennent d’autres couleurs et leurs corps d’autres contours plus tu te vois dans les autres et plus ces miroirs sont nombreux plus au fond tu deviens toi-même avec plein de profondeurs Cette passation du savoir fondamental n’empêche pas de leur donner quelques esquisses de conseils de leur faire pratiquer le minimum d’exercices pour échauffer le corps, la voix, pour stimuler la participation individuelle et la participation générale de cette collectivité nouvelle qui est en train de se découvrir sous un jour différent au fur et à mesure que les abeilles de l’imaginaire se mettent en mouvement et produisent de l’art Le professeur en art quand à lui, chanteur, musicien, doit rester impérativement un artiste en exercice un artiste pédagogue et non pas un pédagogue artiste à ses heures et toujours tenter de s’arracher aux pesanteurs individuelles et sociales aux réflexes conservateurs gare à l’académisme qui fut une bonne chose en son temps mais devenue ensuite et progressivement une mauvaise chose un tremplin, ressort perdu, qui est devenu une entrave S’ouvrir au monde, lancer des passerelles, croiser les disciplines, les arts et les techniques, ne pas chercher à fabriquer des chiens savants mais aider à l’individuation à la socialisation de l’être respect de l’individu qui n’est pas une disquette formatée prête à recevoir les informations et les vérités éternelles mais une mémoire vivante qui se développe mais une histoire déjà en cours et qui continue de s’écrire mais des milliers d’ampoules prêtes à s’éclairer mais un être humain en train de se construire et alors le savoir dans quoi comment faut-il le déposer? L’aspect affectif dans la transmission du savoir est fondamental on le vérifie avec les bébés à qui on raconte des histoires avec tous les handicapés et finalement avec tout le monde l’amour est le plus grand passeur de savoir et de savoirs il peut donner de l’esprit surtout aux filles paraît-il il peut même engendrer la vie, ce qui est stupéfiant alors nous insistons sur le plaisir à donner sur le plaisir à prendre on m’aime j’aime donc je suis donc j’apprends bref nous nous méfions de la dictature de la technique pour la technique de la barre mise trop haut des parcours du combattant pour celles et pour ceux qui n’ont pas du tout envie de se battre l’important est de mettre en confiance et de donner confiance avant d’imposer quelque chose le savoir est que tu es là dans le monde que tu n’es pas seul au monde que tu es en relation avec tout, avec toutes, avec tous, que tu deviens en permanence un toi toujours le même et toujours différent que l’apprendre doit être un plaisir je préconise par exemple pour les acteurs l’érotisme par la buccalité, je veux dire par la mastication des mots ainsi dans la Dernière Bande, Beckett en véritable artiste passeur de savoirs donne cette indication: il savoure le mot bobine cela veut dire qu’il le répète, plusieurs fois, qu’il s’en délecte, essayez, vous verrez venir le plaisir, bobine, bobine, bobine… et la difficulté avec mais avec quel plaisir Il faudrait aussi parler de la voix dans la transmission des savoirs ah j’aime beaucoup votre voix il y a aussi des voix insupportables quels savoirs la voix transmet-elle sont-ce les mêmes que le texte qu’elle profère il y a des voix effrayantes il y a des cooptations de voix pour chaque radio et Jaurès je vais te dire on l’entendait de l’autre côté du Vieux-Port que disait-il à ce moment je ne sais pas mais on peut dire qu’on l’entendait et c’est d’ailleurs ce qu’il voulait vous m’entendrez vous m’entendrez vous m’entendrez clamait-il et on l’a si bien entendu que… ça s’est terminé vilain Ce qui s’est tissé entre nous ce soir-là fut très riche réunis rien à perdre et rien à gagner nous avons été un peu comme des sages, ce qui est rare paisibles et perplexes, palabrant en confiance nous échangions des expériences, des pratiques, des tentatives, des interrogations mais aucune vérité définitive nous étions d’accord sur quelques essentiels non formulés nous avons ressenti cette grande émotion à se sentir penser ensemble quelque chose de bon et il en est resté un fragile émerveillement Il y a des peuples primitifs, tellement primitifs qu’ils ne connaissent pas le complément d’objet ainsi ils ne disent pas je vous parle mais je parle, vous écoutez, ce n’est pas un ordre mais un constat ils ne connaissent que les sujets actifs Ils appartiennent à des civilisations très anciennes qui survivent et nous influencent un peu au moins quelques uns d’entre nous ils pensent que le monde n’est pas une marchandise ils habitent des hautes montagnes Certains de leurs frères qui habitent les plaines pensent de même et ils précisent que l’homme ne peut vendre que ce qu’il peut emporter quand il s’en va seul et à pied mais nous malins, de l’argent plein les poches nous pouvons en emporter tant qu’on veut et acheter tout ce qu’on veut TOUT surtout des armes de destruction massive Nous qui, plutôt que d’une civilisation très ancienne, sommes d’une angoisse existentielle très profonde qui nous jette dans toutes les directions comme des chauffards, quand ils nous disent aussi que leur pensée est une étincelle du soleil nous pouvons leur dire que nous, notre pensée produit des étincelles nous sommes passés de l’homme qui a perdu son ombre de Chamiso à l’ombre qui a perdu son homme d’Hiroshima et quand nous entendons le mot Sciences traumatisme et réflexe nous voyons une grande lueur et nous entendons un grand boum Pour remettre l’homme à sa place le romancier Pierre Boulle a imaginé, cauchemar réjouissant que tout recommençait avec des singes aussi bornés que des humains on peut aussi imaginer cette utopie naïve et rousseauiste que tout pourrait recommencer avec des primitifs très primitifs qui maintiendraient l’humanité dans la voie des connaissances minimales de la sagesse non-rentable d’une citoyenneté dont nous n’avons aucune idée, d’un sens du sacré sans culpabilité initiale et d’une éthique qui nous visite parfois et si fugacement qu’il nous arrive de sourire comme les innocents que nous sommes sans le savoir

PEU CONNU HELAS

Sur une radio j’ai entendu un jour quelqu’un dire beaucoup de bien de moi. Puis il a ajouté que j’étais peu connu et qu’au fond j’avais tout fait pour ça. Il sous-entendait peut-être que je n’avais jamais rien joué ni rien édité, que j’avais fui la presse, que je m’étais retiré au désert, etc… Ce qui est absurde. Sans doute voulait-il plutôt dire que je n’avais pas fait tout ce qu’il fallait faire pour être plus connu. Mais cela pouvait-il le dire, ce qu’il faut faire, sans dévoiler sa propre stratégie? Pour moi disant cela, cette personne s’est sagement rangée dans le camp de la réaction, assise parmi ceux qui pensent que si un homme a été licencié, c’est qu’il l’a bien cherché, et que si une femme a été violée, c’est qu’elle l’a bien voulu. Car tout le monde sait qu’il est impossible de rengainer un sabre quand on agite son fourreau! Bref cette personne a choisi d’être avec ceux qui ne pensent pas par eux-mêmes et qui se contentent, c’est moins fatigant, de répéter des idées reçues. Je n’ai pas été consterné, ni au fond tellement surpris. Car enfin que suis-je aux yeux des assis, des installés, des singes savants, des adeptes de la réussite homologuée, des thuriféraires du pouvoir (quel qu’il soit), de celles et de ceux qui obéissent aux règles qu’il faut appliquer pour monter haut, qui savent ce qu’il ne faut pas dire et ce dont il ne faut pas parler, pour réussir. J’allais écrire pour obéir! Car il faut obéir pour réussir. Non seulement se plier devant les idées dominantes, les faire siennes et les mettre en pratique, et d’abord mépriser l’autre, et surtout fermer sa gueule. Toi par exemple qui te crois connu, dont le portrait peut apparaître à la télé et même à la couverture des magazines (chaque semaine des dizaines de stars), qu’as-tu fait pour cela, qu’as-tu évité de faire? Qui es-tu, et quelle est ta mesure pour décréter le niveau de notoriété de qui que ce soit? Sais-tu seulement que dans ce pays il y a des gens qui ne connaissent même pas le nom du Président de la République, et qui s’en foutent! Et des milliards n’ont jamais entendu les noms de Bouddha, de Jésus, de Mahomet. La gloire, ça va ça vient. C’est une chose très soluble, très volatile. Être connu, sincèrement, ça commence à combien de personnes? Fais froidement ce que tu as à faire et puis après… Cette personne qui semble, à ce qu’elle dit, avoir eu la chance de me connaître, elle devrait bénir son existence chaque jour pour cette chance et souhaiter que ça arrive à tout le monde, ouvrir des portes et donner à connaître, créer des occasions, susciter des rencontres, au lieu de regretter on ne sait pas trop quoi au fond. Ah combien ce genre de réflexion du  » Peu connu  » trahit de morgue et montre un manque immense de générosité, d’humanité, et simplement de cette humilité qui a toujours donné de la grandeur aux êtres. 11.02.02

ACTEUR AFRICAIN

JE PARLE A L’HOMME ET IL CROIT QUE JE PARLE A SA COULEUR J’ai commis bien des erreurs avec des actrices et des acteurs, très souvent sans m’en rendre compte. Et sans doute beaucoup plus encore que je ne pense. On croit qu’on se comprend parce qu’on parle la même langue. Il y a au moins deux erreurs dont je suis sûr, et que j’ai comprises après coup. Trop tard évidemment. Cet Africain, je l’avais apprécié chez lui, dans son pays et dans ses improvisations. Il a voulu venir. On a trouvé le principe du stage, car c’est très compliqué juridiquement, et il est venu. Globalement ce fut une bonne affaire pour lui. Mais l’opération n’a pas été ce qu’elle aurait dû être. A peine était-il arrivé que la peur sans doute s’est emparée de lui. Il ne sortait quasiment pas de son appartement. Il avait peur de tout. Lui de la ville comme nous de la forêt vierge, peut-être. Et peut-être aussi avait-il peur de nous, qui avons semé la terreur dans le monde. Je ne sais pas. Il avait surtout peur de ne pas réussir et il n’avait qu’une obsession: savoir son texte, ne pas se tromper. Il est vrai que nous n’avions plus beaucoup de temps, à cause des formalités interminables. Cependant, il y avait moyen de faire du bon travail. Mais il n’écoutait pas ce que je disais. Rien. Ca n’a pas été la catastrophe, mais il n’y a pas eu de lendemains à la création. Avec ce Beur ce fut presque pareil dans un autre spectacle et dans une autre époque. Il jouait le rôle d’un immigré, il n’a pas su prendre la distance et il a pris ce que je lui disais non pas comme des critiques à lui comme acteur, mais comme des flèches racistes à lui en tant qu’homme. Ce fut un immense malentendu. Il a souffert. Moi aussi. Il ne parvenait pas à faire des choses très faciles. Inhibé complètement, il ne devait plus rien entendre, ne comprenait plus rien, ni moi non plus. Je n’ai pas su m’y prendre. Le résultat ne fut pas bon. Et j’ai continué à m’interroger. L’être social détermine la conscience. Avec sa couleur, avec son histoire, avec le racisme ambiant, un Africain n’est pas un Européen et peut-être se sent-il moins égal, ou tout simplement en danger? Les méfaits de la colonisation agissent encore entre nous. Chacun porte son histoire avec lui, ses traumatismes, et si peu que ce soit qu’il y ait du pouvoir, le mal empire. Car nous sommes quelque part de l’empire du mal les héritiers. Nous parlions la même langue. Ce n’était pas un acteur comme un autre. L’autre non plus. Aucun acteur n’est comme un autre. Il faudrait un peu plus y penser. Mais comment? Comment empêcher que coïncident chez un acteur le handicap individuel moteur et  » le handicap ethnique  » vécu comme un frein? Comment empêcher cet acteur de vivre son origine comme un handicap, et comment lui offrir l’occasion de vivre pleinement son handicap ontologique qui est on tremplin artistique et sa caverne d’ali baba? Est-ce en lui faisant jouer autre chose que ce qu’il est? Peut-être. Mais alors qui jouera le beur, un blanc? Et un gros le maigre, un jeune le vieillard et une femme l’homme? 04.02.03

MOI ENGAGÉ? – MAIS OUI! – AH BON…

Editions Périphérie théâtre des charmes place des carmes 84000AVIGNON On trouvera dans cette brochure la communication faite le 22 Mai 2003 au Colloque international de Paris X- Nanterre: POUR UNE HISTOIRE CRITIQUE DU SPECTACLE MILITANT Organisé par l’équipe d’accueil EA 3458 Représentation. Recherches théâtrales et cinématographiques Département des Arts du Spectacle Université Paris X-Nanterre 200 avenue e la République 92001 NANTERE cedex Christian Biet Olivier Neveux Le texte ici complet a dû subir quelques coupures pour que la communication ne dure pas plus de 25 minutes. Il mériterait quelques développements et explications complémentaires. Nous en aurons bientôt l’occasion. A la prochaine rentrée. La veille d’annoncer le programme de la 41ème saison, ce sera du samedi 27 septembre 2003 à 14 H au dimanche 28 à 18 H, tout un week-end consacré à la récolte chronologique et à la vidéo-fixation des souvenirs sur le thème des 40 saisons du Théâtre des Carmes dont le premier spectacle, Le Pilote d’Hiroshima, a été créé le 17 décembre 1963.

J’ai été qualifié d’auteur engagé. Je ne sais pas très bien pour quelle raison. Ce que je peux résumer ainsi: – Engagé moi? – Mais oui! – Ah bon… Ce petit dialogue fut le titre pour cette communication avant sa rédaction. Il rend compte de ma perplexité a priori devant ce concept d’engagement qui ne m’a jamais paru échapper tout à fait au contexte militaire, et à la tenue de combat avec feuillage, sans parler des feuillets. Pour mieux positiver j’ai ensuite pensé donner pour titre cette citation: L’engagement du fœtus précède la descente et le dégagement. Car si engagement il y a, je ne le vois déboucher que, non pas sur une prise de pouvoir mais sur ma propre et complète naissance. Car en vérité, nous sommes encore à naître. Naître à ce qui serait la vraie vie pleine et entière d’un être libre. Ce qui ne peut s’obtenir qu’avec tous les autres. Peut-être me suis-je enivré d’une formidable utopie, le bonheur avec toutes et tous. Cependant malgré toutes les dénégations que je pourrais formuler, je reconnais en venant ici que j’appartiens bien à la cohorte des tarés, des ringards, des esclaves, des sectaires, des esprits secs, de celles et de ceux qui n’ont rien compris, qui se sont battus et pour certains qui se battent encore contre des moulins et pour tout dire de celles et de ceux qui méritent les injures, les ironies et les ricanements, les calomnies, les accusations, les dénonciations, les volontés de nuire, de clouer au pilori, et surtout de faire fuir le public, tout cela venant des bien-pensants, des braves gens, et surtout des distingués tels cette journaliste qui écrit dans le monde du 26 mars dernier, abandonné par un spectateur: « Mais réduire ce film à son aspect militant serait faire injure à son auteur. » Elle a tout dit d’un coup. Et moi je pense aussi depuis longtemps que les termes d’engagé et de militant sont plutôt des injures. Ces termes relèvent plus du monde policier et de la délation que du monde de la littérature et des arts. Ces termes permettent de réduire les œuvres, et ainsi de les occulter, et de tenter de les faire disparaître. La question serait de savoir pourquoi et au profit de qui. Je fais remarquer au passage qu’il y a pire encore que de dire « c’est un spectacle engagé » ou militant, ou même que « c’est de l’agit-prop », c’est de dire « c’est un spectacle poétique », tare rédhibitoire. Je reconnais avoir donné en 74 une représentation qui se voulait engagée mais je jure n’avoir jamais voulu faire un spectacle poétique! Et encore moins esthétique, du moins au sens qu’on attribue généralement et à tort à ce mot, quand on devrait plutôt dire maniéré, joli, gentil, convenable, de bon goût… Même l’agit-prop a une esthétique. Il n’y a pas l’Esthétique à majuscule et au-dessus de tout. Il y a des esthétiques. Et je pense que l’esthétique est la pointe avancée d’une éthique, et d’une cosmovision. L’esthétique c’est comme la gastronomie, mais il y a beaucoup trop de gens qui croient que la gastronomie c’est la sauce! Sans doute qu’une personne s’interrogera au cours de ce colloque sur le terrorisme des mots employés par des critiques qui préfèrent juger très vite plutôt que de s’interroger. Chemin faisant il vit le cou du chien pelé. Qu’est cela lui dit-il. – Rien! – Quoi, rien? – Peu de chose. – Mais encore? – Le collier dont je suis attaché, de ce que vous voyez est peut-être la cause. – Attaché, dit le loup. Vous ne courez donc pas où vous voulez? – Pas toujours mais qu’importe… J’avoue être dans la catégorie incriminée depuis avant 66 et y être resté bien après les années 70, et même jusqu’à aujourd’hui. Mais j’ai un peu évolué je crois. En particulier en ramenant la contradiction dans un seul individu . Ce qui permet des économies! Je plaide coupable mais paradoxalement j’affirme que ce n’est pas de ma faute. J’y suis tombé dedans tout petit. Oh je ne faisais pas du théâtre dit engagé dans mon grenier, étant enfant. Je n’avais pas de grenier. J’ai découvert le théâtre très tard quand j’étais déjà atteint par le mal. Tous mes malheurs ont commencé je crois l’été où voulant m’entraîner à la traduction j’ai acheté un magazine en langue anglaise dans lequel j’ai trouvé un grand reportage sur ce qui s’était passé à Hiroshima, le 6 août 45, où une démocratie a produit une esthétique à la mesure de son éthique dont on voit chaque jour et partout dans le monde les effets dévastateurs. De ce que j’ai lu, j’en ai été marqué définitivement. J’ai écrit une pièce, puis une deuxième puis une troisième que j’ai montée et comme il y a de cela 40 ans, il faudrait en écrire une quatrième dans laquelle le pilote dirait, me semble-t-il: Je suis un terroriste. A cette époque-là je suis donc tombé dans le monde moderne. L’année d’après je suis tombé dans le théâtre, à cause d’un professeur de philosophie qui ne pouvait pas s’en tenir au spéculatif pur, qui cherchait toujours à nous faire toucher du doigt la réalité. Et me voilà enquêtant sur une panne électrique ou, je ne sais plus pourquoi mais à cause de lui, taillant dans une pièce de théâtre pour en faire une adaptation, en toute innocence, moi un ignare, un non-littéraire et pas du tout artiste. Et là-dessus dans cette école est arrivé Gabriel Monnet et puis les grands stages d’été. Cinq semaines à monter un classique, rencontrer les œuvres de Brecht, ou croiser Michel Vinaver tout jeune quand il écrivait les Coréens. Rien que le titre annonce la couleur… C’était à Annecy presque avant le Déluge. Il m’est arrivé de me demander s’il n’y a pas eu à une époque, une vaste conspiration pour drainer les jeunes talents dans la voie sans issue du théâtre pour tous, de les attendrir, et les enfermer dans l’humanisme, au lieu de les endurcir et de les propulser vers Hollywood. En vérité, mon premier rôle fut le Père Noël! Et puis le Groupe Théâtral Universitaire d’Aix. Et puis le passage à Paris. Je n’y suis pas resté. Oh j’aimais cette ville mais je devais m’y sentir en pays étranger, sans encore savoir pourquoi. Et je n’y ai pas fait des rencontres décisives. Par les circonstances de la vie je me suis retrouvé à Avignon, sans l’avoir choisi, comme ça, à cause d’un mal de dents. Les autres Jacqueline et Bertrand qui y étaient déjà, faisaient un peu de l’amateur avec la romancière Elisabeth Barbier, amie de Vilar et voilà que je me suis retrouvé régisseur au Festival. Tout près de Vilar et de Philipe. J’aurais pu me retrouver au Théâtre Municipal et lever l’ancre avec les Galas Karsenty. Non, ce fut le Théâtre National Populaire. Que voulez-vous Monsieur le Président, on choisit pas mais ça vous marque, même si vous avez l’esprit très critique. Et on se retrouve un jour au banc des accusés. Plus tard je suis tombé dans le marxisme, et tout seul en plus. Je ne peux accuser personne de m’avoir influencé. A Champfleury où j’habitais il y avait le Palais Paul Vidal qui servait pour la Foire et dans lequel se déroulaient toutes sortes d’activités. Entre autres la Fête d’hiver de la Marseillaise, avec sa librairie. Brochures. Salaire, prix et profit, la Violence dans l’histoire, etc… Tu feuillettes, tu achètes… Et plus tard Le Capital… Les livres peuvent faire des ravages. On comprend pourquoi il y en a qui les interdisent ou qui les brûlent. Moi par exemple je ne serais pas tombé dans ces lectures, je serais peut-être un honorable retraité de l’enseignement, un auteur à succès de théâtre de boulevard, un académicien, qui sait, ou même un mort définitif… Mais non je suis tombé dans Prolétaires de tous les pays unissez-vous, alors je me suis uni, d’ailleurs plus à moi-même qu’aux autres mais ça revient au même, et me voilà aujourd’hui avec l’étoile rouge au front. Bien sûr l’engagé au sens du spectateur qui devient acteur, ça existe. Il ne se contente plus de regarder ce qui se passe, il voit soudain, il devient conscient, il s’implique, il se jette dans l’action, il s’engage, il pousse à la roue et il se salit les mains. Ainsi certains qui assistent à un combat, prennent parti pour un des deux camps, pour Pozzo ou pour Lucky. Moi je n’ai pas pris parti, ni pour les uns, ni pour les autres. Je suis tombé avec les autres, tous les autres de tous les pays, comme beaucoup d’autres sans doute. Et il n’y a pas d’ange gardien qui te retienne. Il y a là-dedans matière à une grande tragédie. Un vrai théâtre de la Cruauté comme celui de la Maladie que nous portons malgré nous sans le savoir. Mon frère cadet était un militant communiste farouche qui se battait contre le capitalisme. Il est mort d’un cancer de l’amiante qui met trente ans à se déclarer. Cela signifie qu’il se battait contre un ennemi qui lui avait déjà inoculé la mort. Il était dans la bataille, déjà mort, sans le savoir. Mais quelque chose en lui peut-être le savait, car il était une force de la nature, et la vie même. Et il vivait… Mais bien sûr à côté d’Œdipe-Roi, d’Hamlet et de toutes les histoires de papa-maman, c’est peut-être pas comme tragédie un sujet assez passionnant, trop quotidien… Alors je l’ai écrit en occitan. Bref je suis tombé dans le nucléaire c’est à dire dans la modernité, puis dans le théâtre, puis dans le marxisme et tout ça sans le vouloir. Il ne me manquait plus qu’un théâtre. Je l’ai trouvé par hasard encore en 63 et là prenant notre envol avec le Pilote d’Hiroshima, de pièce en pièce on n’a plus arrêté et tout est devenu de plus en plus irréversible, irrémédiable. Alors autant continuer. Il y avait toujours une question, une angoisse qui nous travaillait l’être. Essayer de comprendre pourquoi, de même qu’Ho Chi Minh, Johnson clame: « C’est toi l’envahisseur? », c’est pas de l’engagement ça, mais l’analyse concrète de la situation concrète. Et pris entre le Hipppie Bleu et le Garde Rouge, comment dire, autrement qu’avec les blousons noirs de Zone Rouge, la douleur que nous ressentions à l’exécution de Guevara dont les portraits fleurissent les manifs, comme celle de Gênes. Gênes 2001,

le meurtre de Carlo Giuliani. J’ai écrit et créé l’an passé une pièce. Une fille accuse son père. Ils se disputent ils argumentent. Chacun s’exprime. Moi je ne prends pas parti. Je ne choisis pas un camp. Je souffre aussi de ce père. Mais je crois que le seul fait de donner la parole à l’autre, à la fille contre son père, à la femme contre le mari, à l’ouvrier contre le patron, c’est considéré comme attentatoire au pouvoir et à la dignité du père, du mari, du patron. C’est peut-être ça l’erreur, le mauvais goût, si tu donnes la parole, je veux dire si tu permets de parler à ceux qui sont considérés par les puissants, les nantis et tous les majoritaires silencieux comme devant fermer leur gueule, tu fais une œuvre militante, engagée, et jugée simpliste, réductrice… au moment même où tu ouvres des portes et des fenêtres, où tu essaies de te dégager des poncifs et d’élargir les perspectives. A la fin de 68, après Zone Rouge, après Les Clowns et Lola Pélican, après Mai 68 qui fut la fin des espérances nées en 66, à l’aube du 1er janvier 69 après avoir dansé toutes la nuit de fin d’année, nous décidâmes de suivre une juste ligne de masse. Cette fois on était en plein dans la marmite et parfaitement irrécupérables. Cette nuit-là, nous étions dans une maison de village. Sur le mur à côté du portail Jean-Marc avait bombé: L’IMAGINATION N’A PAS PRIS LE POUVOIR MAIS ON EST CONTENT QUAND MÊME. Et tout de suite après les fêtes nous avons pris pour thème la lutte des classes en nous fondant sur la première phrase du Capital: La richesse des sociétés dans lesquelles règnent le mode de production capitaliste s’annonce comme une immense accumulation de marchandises. La première phrase de la Bible: Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, je ne vois pas ce que je peux en faire. Tandis que l’autre… Nous nous sommes emparés du concept du Parti Communiste sur le Capitalisme Monopoliste d’Etat. Nous avons pris pour sujet le démantèlement des voies ferrées, à la SNCF puisque la classe ouvrière était surtout représentée à Avignon par les cheminots du Dépôt des Rotondes. Et le 13 mai 69 nous avons créé le Petit Train de Monsieur Kamodé dans des décors bleu blanc rouge d’Ernest, une pièce didactique destinée aux BFM, les bons français moyens. A gauche l’usine et Peuple tout en rouge qui marche avec des cothurnes, à droite le tas des marchandises où trône Monsieur Kamodé tout en bleu, et au centre l’hexagone sur lequel est couchée Arachné dans sa robe de rails bleus et rouges. Et en face les spectateurs en hémicycle sur des pliants. Pendant le Festival qui suit, Bernard Mounier qui dirige alors la Maison de la Culture du Havre voit ce spectacle. Il me propose de venir au Havre de réagir, d’écrire une pièce et de la créer là-bas. Je précise là encore que je n’ai rien demandé. Je n’ai souvent fait que répondre à des demandes. Avec ou sans thème suggéré. – Viens au Havre! – Viens aux Ulis! – Viens à Bègles! – Viens à Montauban! – Lis ce texte de Gautier-Sauzin et dis-moi si tu peux en sortir quelque chose? – Ecris-nous un Jaurès pour créer à Carmaux. – Cent mille francs pour un truc au Palace! – On va faire chacun une création à partir de ce tableau, si tu as une idée, fais un spectacle ! – Une création de 40 minutes dans la forêt d’Uzeste. – Une création en Ile de France. – Une création en Italie… – Viens par ici ! Viens par là ! Et moi bonne pâte, j’y vais. Dans toutes ces propositions, un budget plus ou moins important et rien de plus. Dans tous les cas je n’ai jamais reçu aucune directive. Je n’ai en fait jamais été engagé par personne pour occuper un emploi salarié et me tenir aux ordres. Engagé c’est bien ce que ça veut dire: recevoir des gages pour obéir à quelqu’un! Moi je me suis toujours considéré plutôt comme un appelé! Beaucoup d’appelés, peu d’élus. La réponse beaucoup plus tard. Un ou deux siècles ! J’aurais bien aimé d’ailleurs. Etre engagé. Etre payé pour écrire avec des directives précises. Savoir ce qu’il faut dire. Etre bardé de certitudes. Disposer de tout un attirail et d’un appui logistique. Avoir peut-être des aides qui vous mâchent le travail, vous fournissent les mots, les expressions, les documents, les sujets bien sûr… Et 39 heures par semaine, le rêve! Jamais rien eu de tout cela. N’ai dû en faire qu’à ma tête. Qui ne savait pas, la pauvre, qui ne sait toujours pas où elle en est exactement. Et qui cherche. Oh y a toujours une idée qui s’impose. Tu rencontres par exemple un très beau personnage dans l’histoire: Akhénaton, Giordano Bruno, Robespierre. Tu as envie de le faire connaître à d’autres. Et pour cela il faut le mettre dans une situation intense, avec d’autres personnages? Le théâtre ça passe par des situations fortes qu’il faut trouver. Ca peut durer, la recherche! Pendant vingt ans j’ai laissé piétiner Robespierre, avant de découvrir la situation qui me permettrait de le mettre sur la scène, autrement que dans une de ces pièces convenues sur la Révolution. Et pour chaque sujet, une dramaturgie, une scénographie particulières. Car on n’a pas un moule dans lequel couler tous les thèmes, les uns après les autres. Il existait au Havre depuis 68 une commission qui regroupait tous les délégués culturels de toutes les entreprises de cette ville très récente et très ouvrière. Armand Salacrou avait écrit Boulevard Durand, l’histoire du syndicaliste Jules Durand, innocent inculpé du meurtre d’un docker, condamné à mort et devenu fou. A l’époque de cette tragédie il n’y avait que des dockers charbonniers dans ce port. Je me suis posé la question de savoir quel travailleur pourrait représenter l’importante classe ouvrière très diversifiée en 1970. Cette question fondamentale de dramaturgie, au lieu d’y répondre et de choisir un personnage, j’en ai fait tout un deuxième acte dans lequel on passe en revue des héros potentiels. Au premier acte et dans ces circonstances, plutôt que de m’appuyer sur la Bible, ce qui eut été plus œcuménique peut-être, je commençais par illustrer le livre premier du Capital sur l’homme qui cherche à vendre sa seule marchandise, sa force de travail. Pour se procurer un poisson pour manger, il doit vendre le poisson qu’il a dans le corps. Avant d’aller au marché pour acheter, il doit aller au marché pour se vendre. Et je me rends compte aujourd’hui qu’avec le poisson, il y avait du christique là-dedans. La preuve que nous ne contrôlons pas tout, ô confrères en écriture, et que malgré les filtres, il y a peut-être toujours des voix étrangères dans toutes les voix. C’était Emballage, une pièce écrite en collaboration avec les travailleurs et créé à la Bourse du Travail du Havre. C’est à l’occasion de ce spectacle que nous nous sommes posés la question de savoir si l’humour était révolutionnaire. On a répondu non et d’un spectacle épique de deux heures on a tiré une sorte de spectacle bizarre, elliptique et fumeux d’une heure. Invités par Guy à Bordeaux on l’a joué quatre fois. Les grands critiques étaient là et quand ils ont estimé que c’était de loin notre meilleur spectacle, nous sommes revenus aussitôt à la première version, considérant en fin de compte que l’humour était révolutionnaire, et dans cette voix-là j’ai fait quand même des progrès! Une pièce en engendre toujours une autre. Mais souvent bien différente. Après Emballage au Havre, A Bec et à Griffes à Avignon. Il peut même arriver qu’une contradiction brutale dans laquelle je me trouve engendre aussi une pièce. Voici deux exemples de la même époque, 70-71. On joue Emballage dans un Centre Dramatique National, bien payés, mal accueillis, aucune publicité. Au retour, très en colère, on prend à bras-le-corps cette situation pour nous insupportable et il en sort La contradiction dans l’œuf et l’œuf dans la contradiction. Selon Engels, selon Mao. Le germe dans l’œuf se nourrit de l’ancien, le contenu de l’œuf et quand il naît on conclut dialectiquement que le nouveau s’est développé au détriment de l’ancien. Une autre fois un autre directeur de CDN, metteur en scène, me demande une création. – A quoi tu travailles en ce moment? – Sur Rosa Lux… Pas eu le temps de terminer le nom qu’il s’exclame! – Moi quand Gatti écrit le Général Franco, pas d’accord… etc… Entre parenthèses c’est Gatti qui m’avait parlé de Rosa Luxembourg… – Et tu as quelque chose d’autre? – La Peste de Marseille en 1720! – Eh bien voilà! Ça c’est un sujet! Du coup j’ai écrit Rosa Lux. C’est l’histoire d’un narrateur qui lance les chiennes de l’imagination pour évoquer la peste de Marseille. Elles commencent et tout à coup elles font apparaître Rosa Luxembourg. Plusieurs fois de suite. On devait la créer et la jouer au moins vingt fois, puis ce fut cinq fois et finalement on ne l’a pas jouée dans cet autre Centre Dramatique. Dans ces circonstances-là moi je suis effectivement toujours engagé… dans l’action créatrice, dans le présent, dans le dialogue, enfin, dans le non-dialogue. Mais de nous deux le Directeur en place et moi, l’engagé, le politique, le militant, le militaire, c’est qui? Avec cette Rosa j’ai eu aussi des problèmes nouveaux avec trois ou quatre spectateurs qui avaient aimé Emballage et qui ne trouvaient pas leur compte dans cet autre rapport à l’histoire et au théâtre. J’étais en scène et tout en jouant je me disputais avec eux, un ou deux en particulier à Toulouse et à Lyon. Car les appréciateurs, pour ne pas dire les admirateurs, peuvent être redoutables. On peut tout craindre de leur part. Ils veulent dire du bien et peuvent faire un mal terrible, innocemment. Ils sont même capables de vous lancer la horde sauvage entre les pattes. Car ceux qui sont les plus pénibles en général sont les croyants. Ils ont des certitudes. Ils savent ce qui est bon et ce qui doit être fait. On voit le problème à très grande échelle en ce moment, qui obstrue tous les horizons. Les croyants purs et durs, voilà un aspect de la militance qu’il faudrait examiner. Je n’ai

jamais tellement cherché à avoir raison. J’ai voulu dire ce que je ressentais. Je n’ai jamais polémiqué avec aucun journaliste. Et pourtant j’ai lu beaucoup de choses, méchancetés ou louanges qui m’ont gêné. Mais je suis pour la liberté de la presse, malgré tout! Et puis elle passe, les œuvres restent. Les idées reçues aussi, malheureusement. On aurait tendance à nous présenter comme des obtus qui essaieraient de mettre en application une idéologie alors que nous ne sommes, mes nombreux confrères et moi, que des types qui sont aux prises avec toutes les lignes de force de l’existence, en contact, en sympathie et parfois en conflit, avec des quantités de gens et que mus par une espèce d’utopie et de sacré, aux sourds et aux aveugles volontaires, nous essayons de faire voir et de faire entendre un non-vu et un non-dit qui nous paraissent essentiels à connaître pour le bonheur et pour la dignité. Et c’est le seul désir de vivre libre qui parle, pas une théorie. Je ne vais pas passer en revue toutes les époques de mon existence jusqu’à aujourd’hui, ni même jusqu’à la fin des années soixante-dix. Cependant je veux en évoquer encore une qui sort des précédentes et qui a généré les suivantes. Avec la Contradiction dans l’œuf, on a pris pour personnage représentatif, un petit éleveur du Gard et du coup on a mis la main aux marionnettes et le pied en Occitanie d’où on sortait sans trop le savoir et qu’on a découverte avec passion. On était de retour chez nous. On a fait beaucoup de choses. On a organisé des Rencontres. On a créé des pièces importantes: La Madone des Ordures, Gaston Domnici et le dernier soir que nous jouions Esclamonda l’héroïne cathare, j’ai levé la main et j’ai dit: Notre prochain spectacle Géronimo, Ugh! Je ne sais pas pourquoi mais du coup les jours d’après, alors que nous campions à Montségur, j’ai découvert l’homme têtu qui incarne totalement la résistance armée, et parce qu’il n’y avait plus que cette chose à faire et parce qu’en même temps il ne fallait pas la faire, il a fait la dernière chose à faire. Et j’en ai fait le prototype du rebelle occitan. Ainsi les pièces naissent aussi du hasard, d’un seul mot, d’une image, quand on n’est pas fermé, quand on saisit tout ce qui passe à portée de la main, à portée de l’imaginaire. Quand on vit. Et quand on vit, quand on veut vivre comme un humain parmi des humains, dignement, on est tout de suite dans la subversion, c’est à dire la version aquatique. Ou alors il faut se taire, fermer les yeux et se boucher les oreilles. Et rester assis. Et reposer en paix. Je me suis attaché à montrer que je n’étais pour rien dans les orientations principales de mon existence. J’ai été porté par les évènements. J’ai répondu à des demandes. Je n’ai pas fait exprès. Je suis comme n’importe quel humain, un personnage tragique parce que quelque chose s’exprime à travers moi, et que je ne contrôle pas! Ça me tombe dessus. Je plaide coupable, mais non responsable. Les personnes qui pensent maintenant que je suis un irresponsable ont raison. Oui un irresponsable, évidemment puisque je suis un artiste, j’ai gardé mon âme d’enfant comme ils disent, un innocent, un ravi de la crèche donc un non-engagé, l’instrument du destin, la pauvre créature de Frankenstein qui va crever dans les glaces du pôle Nord. Ça la traverse tout cela qui doit s’accomplir. Le Yéti par exemple, ce n’est pas moi qui suis allé le chercher, j’aurais eu trop honte. C’est lui qui est venu et qui a voulu que je le représente comme parangon de l’exclu. C’était au matin du 1er janvier 1992. Le Yéti qui débarque sans crier gare! Car il y a des personnages qui ne s’embarrassent pas d’attendre et qui font un peu ce qu’ils veulent. Qui vous tombent dessus et auxquels il faut obéir! Engagé par le Yéti eh oui! Ou par Marie No Man’s Land! Ou par tout autre personnage. Ou même par une simple image, celle de ce type traqué par un projecteur qui a donné Napalm et cette interrogation d’Olivier Todd lors de la création: Comment se fait-il que la première pièce sur le Vietnam soit créée à Avignon? C’est vrai qu’en France tout ce qui ne sort pas de Paris, laisse perplexe! Il faut dire que pour parler du Vietnam selon la méthode traditionnelle à l’époque, c’est à dire l’allusion, j’avais fait une adaptation des Perses d’Eschyle car les traductions des classiques grecs étaient alors injouables, impossibles à proférer. Nous avons monté cette pièce. Ce fut le plus épouvantable spectacle que nous ayions monté. Pour corriger le tir, nous avons donc joué Napalm, la guerre du Vietnam à bras-le-corps et remonté le texte des Perses, en pur théâtre, à trois en blousons noirs sous le titre de Xerxès. C’était du théâtre athlétique. Après la situation et les personnages, il faut s’attraper avec la langue française, ce qui n’est pas une petite affaire, cet engagement-là. C’est un peu comme essayer de creuser un trou parfaitement cylindrique dans du sable. La seule certitude c’est qu’il y a toujours comme un malaise… Mais aussi quel plaisir, l’écriture, n’est-ce pas, ô dramaturges! J’aurais aimé vous entretenir: – de la culture occitane et de la diglossie, – de l’Acteur Sud, – du principe de représentation provençal et méditerranéen, – de la fameuse distance, d’Aristote à nos jours, – du décor comme soporifique, – du micro comme préservatif et comme canal de Big Brother, – du théâtre avec les enfants, les lycéens, les étudiants, – de la catharsis à notre époque, – du pathos et de la complaisance, – des mérites comparés des uns, nous les occidentaux, et des autres, les primitifs et sous-développés, à notre détriment, – de notre manifeste de 66 : Ne vous laissez pas cultiver par n’importe qui, la culture aux égouts, les classiques au poteau, lavez-vous le cerveau, etc… – des idées dominantes qui étouffent les êtres: l’homme est méchant, la femme est inférieure, l’enfant est petit, et celui qui sort de ces idées est un criminel, – du combat dans lequel depuis si longtemps je suis engagé corps et âme contre lyrisme de pacotille pour endormir le monde en relevant le ton à la fin de chaque vers, de chaque membre de phrase et presque de chaque mot, et contre parigotisme pour s’encanailler tous ensemble, en avalant les mots, en faisant des élisions, en ne respectant pas les douze pieds, lyrisme et parigotisme, voilà les monstres, les deux mamelles empoisonnées auxquelles s’allaite la jeunesse, avec l’aide du mauvais exemple de presque tous les anciens, et des médias, Nous partîm’ cinq cents mais par un prompt renfort Nous nous vîm’trois mille en arrivant au port Tant à nous voir marcher avec un tel visag’… – et vous entretenir encore de bien d’autres sujets qui relèvent tous plus ou moins du sujet qui nous occupe, – et tout particulièrement de cette question délicate du prix de revient de l’engagement. La liberté n’est pas une marchandise mais elle coûte quand même très cher. J’ai toujours eu le sentiment que je tentais de me dégager, de me désentraver et de me libérer peu à peu avec l’aide de toutes et tous les autres. Un type qui est en train de se noyer et qui se débat, je ne pense pas qu’il ait un programme politique. Il ne milite pas. Il ne fait pas de prosélytisme. Il essaie de respirer, de surnager, de résister, de se maintenir en surface, de se dégager pour survivre, de s’en sortir. Sans compter celles et ceux qui se noient sans le savoir, nous sommes nombreux à être dans cette situation désespérée, et quelques uns se viennent en aide, se soutiennent, se donnent des conseils. Ils se débattent en chœur. Ils n’ont souvent pas le temps de se demander s’ils ne se trompent pas de voie. De toute manière c’est très souvent trop tard pour bifurquer, pour faire marche arrière. A moins de tomber à genoux et de crier: Je crois, personne ne croira à un changement. Tout de nous devient suspect. Le présumé innocent n’existe pas en ce domaine, et on sent autour de soi comme une envie de tuer. D’où ce silence à partir d’un certain moment… Si on réfléchit mieux, comme miroir, on peut aussi penser que s’engager et militer c’est une manière de remuer pour éviter la noyade mentale, et la noyade générale. Narcisse se penche au-dessus de l’eau et il comprend qu’il y en a un qui mérite de vivre, lui-même, une étonnante découverte! L’engagement au fond, je ne sais pas à quoi ça a servi, à quoi ça sert encore. Peut-être à tenir quelques consciences en éveil? Peut-être à retarder le pire, sinon à l’empêcher? Ça doit quand même bien servir à quelque chose puisque les installés s’y opposent. Avez-vous étudié les censures insidieuses? Les comités d’experts, les intermittents du spectacle, le démantèlement des services publics… Nous avons quelques ennemis féroces. Mais ce qui me réjouit beaucoup, c’est que nous sommes encore là, vivants, et que -pour reprendre une blague de fous du bon vieux temps- nous pouvons voir les encagés qui nous montrent du doigt et qui, de derrière leurs barreaux, croient que c’est nous, les engagés, qui sommes enfermés, tandis que nous allons, nous, camarades, et tous les jeunes et nouveaux et nombreux résistants et guérilleros qui apparaissent. Oui nous allons au milieu d’un monde tellement plein de sujets d’indignation et de colère qu’on se sent immortels, n’est-ce pas, tellement il y a à faire! Et là alors se dresse la terrible question du style! Et des coupures… FIN

APPENDICES APPEL
Ne vous gargarisez pas d’une émotion factice et n’avalez pas des syllabes et pied à pied dites vos vers. Tordez le cou à l’éloquence et à la vulgarité! Devenez des simples tuyaux!

LE BON TON
Le bon ton c’est le ton convenu! Il y a le ton convenu du politique, le ton convenu du vendeur, le ton convenu du journaliste d’autant plus identifiables qu’ils cherchent à nous faire prendre des vessies pour des lanternes, à nous arnaquer, à nous mentir. On s’en rend compte, on ne dit rien, on accepte, on joue le jeu des dupes. Et ainsi de convention en convention rien ne se dit et rien ne bouge. De même il y a un ton convenu de l’acteur, c’est la langue de bois de la sensiblerie. Ça parle pour ne rien dire, pour bercer, pour endormir. Pour faire croire qu’on ressent toutes et tous la même chose, qu’on est tous d’accord, au fond, et qu’on se sent très bien ensemble, malgré tout.

LE GÉANT ANTÉE
C’était un géant qui pour reprendre ses forces, devait obligatoirement toucher terre. Dans la lutte, il était redoutable. Hercule vint à bout de lui en le maintenant longtemps dans ses bras, en l’air, et il s’épuisa, loin de sa terre-mère. Ainsi l’acteur qui s’élance sur les petites ailes du lyrisme, qui chantonne, qui s’évade vers les nuées au lieu de rester avec nous, terre à terre, il perd ses forces. On ne voit plus un type en train de vivre, de parler, de penser mais un type qui joue à l’ange, au distingué qui vibre et qui en plus parigotise. Le malheureux!

NOUS NE SOMMES PAS DES POLITIQUES

Il s’agit du texte qui paraît dans notre dépliant N°154, contenant le programme complet de nos spectacles pendant le 38ème Festival Off. Nous les gens de théâtre nous ne sommes pas des politiques. Pas du tout. Il y a entre les politiques et nous une très grande différence. Il y a même un abîme que nous avons laissé franchir par quelques journalistes, des critiques malveillants qui mélangent tout, qui lancent des ponts d’âneries, et pas des ponts aux ânes, et créent des confusions. Pour ne pas polémiquer, nous avons laissé dire et écrire… Nous sur scène, en règle générale, nous ne ponctuons nos tirades ni du geste ni de la voix comme les politiques ont tendance à le faire dans leurs discours, car il y a toujours un tribun des temps anciens qui s’agite en secret en eux. Ils ponctuent avec ferveur, avec fureur pour démontrer peut-être qu’ils croient à ce qu’ils disent ou parce qu’ils croient que les gens ne comprennent rien. Oui, ils veulent convaincre, ils veulent démontrer, preuves en mains. Ils ont toujours des chiffres, des statistiques à la bouche. Mais nous les gens de théâtre nous n’avons pas à démontrer mais à montrer, ce qui est bien différent, à donner à voir et à entendre. Et que chacun ensuite se fasse son opinion. Je concède que, à part moi et quelques autres, la seule ressemblance qu’il y ait entre la majorité des gens de théâtre et la majorité des politiques est une certaine tendance très profonde qu’ils ont à faire du lyrisme, pour montrer qu’ils sont sensibles, qu’ils ressentent des choses, qu’ils peuvent s’émouvoir et pour cela, ils relèvent la fin de toutes leurs phrases. Ils chantent quand ils parlent, comme la plupart de nos actrices et acteurs. Le plus étonnant est que le public dans tous les cas accepte cette convention que j’appelle de la petite chèvre de monsieur Seguin qu’elle était jolie et nia nia nia… telle que récitée à l’école. Certes, nous sommes préoccupés de gagner notre vie avec notre art, et avec l’aide des pouvoirs publics, et pour cela de plaire qui est le grand art dont personne ne connaît vraiment les règles. Mais les œuvres ne dépendent pas des voix exprimées, blanches ou nulles. Elles ne sortent pas des urnes mais des âmes. De toute manière, je peux le dire franchement, n’en déplaise aux étiqueteurs, moi je ne suis pas un politique. Je n’ai pas de solution à proposer. Je ne dis pas: Venez voter pour moi, mais: Venez vous voir, quand nous jouons…

LA DOUBLE CATHARSIS

Ce devait être le jeudi 26 juillet 2003 vers 18:30 quand au cours d’une représentation des Inter-mittents Ressuscités, j’ai découvert en public la double catharsis. Il y a une vidéo de cette représentation. Je racontais depuis quelques jours la scène d’une spectatrice qui rencontre une actrice et qui lui explique qu’elle a besoin qu’on joue pour elle pour être allégée de toutes les horreurs qu’elle ressent en elle accumulées, et en retour l’actrice en grève lui explique qu’elle-même souffre de ne pas jouer, car elle ne peut pas elle-même s’alléger de son propre mal qu’elle ne peut évacuer qu’en jouant. Et chaque fois laissant cette image en suspens de ce duo, avec une impression de malaise et d’incompréhension de la situation, je disais c’est ce que nous appelons la catharsis ou purgation des passions et je passais pour illustration plus précise de cette fameuse catharsis à l’histoire du meurtre rituel symbolique du responsable du protocole par exemple qui soulage tous les intermittents! Je sentais bien que dans mon duo actrice-spec-tatrice il y avait autre chose que cette simple catharsis pour la spectatrice. Et l’actrice alors, son besoin impéri-eux de jouer, son malaise à en être privée, ça relevait de quoi? Et là soudain j’ai compris qu’il y avait la double catharsis! La chose jusqu’ici impensée! Aristote ne s’est, me semble-t-il, préoccupé que des spectateurs. Mais il y a aussi les acteurs. Et il m’apparut qu’il y avait une catharsis pour l’acteur comme il y en avait une pour le spectateur. C’est la même pour les deux et elle a une double fonction. L’acteur a besoin de jouer, de représen-ter un acte symbolique, le spectateur a besoin de voir cet acte représenté. C’est en quelque sorte un échange de bons procédés, une assistance mutuelle. Ils se font plaisir l’un à l’autre. Ils se purgent, ils se soulagent ensemble. Bien sûr il serait bon de relire les quelques lignes d’Aristote relatives à la catharsis. A.B. 27.07.03 Le voici!  » Donc la tragédie est l’imitation d’une action de caractère élevé et complète, d’une certaine étendue, dans un langage relevé d’assaisonnements d’une espèce particulière selon les diverses parties, imitation qui est faite par des personnages en action et non au moyen d’un récit, et qui, suscitant pitié et crainte opère la purgation propre à pareilles émotions. J’appelle « langage relevé d’assaisonnements » celui qui a rythme, mélodie et chant, et j’entends par « assaisonnements d’une espèce particulière » que certaines parties sont exécutées simplement à l’aide du mètre, tandis eu d’autres, par contre, le sont à l’aide du chant. » Au fond Aristote parle pour le corps social dans son ensemble.

PROJET DE LIVRE : VIVRE AVIGNON 2003

Laurent Villeret, Oui je me souviens de vous. Je vous envoie trois textes sur le sujet qui nous occupe. Le premier, bref récapitulatif, paraîtra dans notre dépliant de la rentrée. A part deux détails, je ne le développe pas plus. Le deuxième du 27.07.03 a été distribué, ou envoyé, à tous les participants de ce spectacle, pour garder trace et rappeler à chacune et chacun ce qui lui revient. Le troisième, à titre d’information, a paru dans l’Humanité le 16 juillet. J’étais pour la grève, par solidarité quasi obligée. Si un jour il n’y avait plus d’Intermittents, il n’y aurait peut-être plus de théâtre. Dès la fin juin je me disais et j’en parlais, que si nous entrions en grève, nous pourrions peut-être en profiter amorcer un travail pour une prochaine création. Cela n’aurait pas été possible dans le contexte tel qu’il s’est développé dès le tout début de juillet. Mais on discute, on brasse des situations, des personnages… Et ça peut toujours servir! La preuve… Le 10 juillet, assez tôt, je me suis demandé s’il ne faudrait pas écrire au président de la Répu-blique dans la perspective du 14 juillet (on peut toujours rêvé, ça finit par servir!) et alors j’ai pensé à ce titre L’Intermittent Ressuscité par le Président de la République. Mais la veille il y avait eu le Conseil des Ministres, et rien! Il n’y avait rien à attendre… Alors la 2ème partie du titre est tombée lorsqu’à 10H j’ai proposé à tous les autres de faire une création collective. Ce qui a permis cette création c’est d’abord la situation dans laquelle nous nous trouvions toutes et tous, avec les mêmes préoccupations, les mêmes objectifs, les mêmes parcours, et de plus en collaboration avec des spectatrices et des spectateurs qui étaient aussi dans la même histoire. Nous avions une mémoire commune de l’évènement en train de se faire, ce qui n’empêche d’ailleurs pas les contradictions! Ce qui a permis aussi la création c’est la présence sur le même plateau de trois troupes du Sud qui se connaissent depuis bien longtemps et qui ont dans bien des domaines des pratiques qui se ressemblent, et qui se complètent. Nous avons donc pu mettre très rapidement sur pied une création, une vraie création de théâtre qui n’est pas du théâtre d’intervention, ni d’agitation. Le plus remarquable dans cette affaire est justement qu’il s’agit d’abord et avant tout de théâtre, tout simplement, comme il devrait y en avoir plus souvent. Je regrette de n’avoir pas joué deux pièces importantes pour notre époque: Gênes 2001, le Jeune Homme Exposé et L’Homme aux petites pierres encerclé par les gros canons. J’ai l’impression d’avoir été plongé dans un moment de vie intense et d’interrogations, de rencontres de la profession avec elle-même dans sa diversité et avec les publics de théâtre , plus passionnés encore qu’on ne l’imaginait. En partance pour quinze jours, sans illusion sur l’avenir, cordialement à vous.
André Benedetto

LES INTERMITTENTS RESSUSCITES

ou jouer pour montrer l’impossibilité de jouer et faire ainsi de l’obstacle le passage

Cet été au 2ème jour de grève le 10 juillet 2003 à 10H, j’ai proposé à celles et à ceux qui devaient jouer leur spectacle sur notre scène du Théâtre des Carmes, de créer un spectacle d’improvisation sur le thème de l’Intermittent Ressuscité. Ce projet fut longuement discuté, puis accepté, mis en chantier et joué à 15H30 pour la première fois par Migrations Culturelles de Bordeaux (Guy Lenoir et Limengo Benano-Melly), Pied Nu de Marseille (Mahoammed Adi et Karamoko Bangoura), Théâtre des Carmes d’Avignon (Françoise Baut, Claude Djian, Nicolas Flamen, Marie Labadie, Aude Laine, Corinne Levesque et Odile Picard). Moi-même André Benedetto je m’y suis incorporé à la 2ème, Kaki (Mimagine) à la 4ème, et Virginie Berland (Mes Dix Doigts) à la 13ème. Ca durait 25 minutes, ça a atteint parfois les 65 minutes. C’était un vrai spectacle de théâtre pour dire l’impossibilité prochaine de faire du théâtre. Ah oui du vrai théâtre fondé sur un thème fort et sur une mémoire commune d’un événement en cours, avec une dialectique collectif-individuel de ces gens allongés qui se relèvent pour improviser une scène, un chœur musical qui ponctue et agrémente les scènes, des vrais personnages tirés d’un réel extérieur (et intérieur) dans lequel tout le monde baigne, le tout transposé à la scène avec humour mais sans méchanceté. Chaque représentation était suivie d’un débat passionnant avec des spect-acteurs qui vivaient cette crise aussi fortement que les gens de théâtre. Nous avons joué aussi longtemps que ce fut possible pour nous jusqu’au dimanche 27 inclus, soit 28 représentations. Tout le monde a pu filmer, enregistrer, photographier sans entrave. Il n’était pas question de prélever des droits d’auteur sur l’histoire en train de se faire. A.B.

PLAN DU SPECTACLE L’INTERMITTENT RESSUSCITE (1ère version) représenté du 10 au 20 juillet 2003 à 15h30 et à 19h00

1. IL ETAIT UNE FOIS Mohammed, Karamoko

2 . LA FILLE QUI VEUT FAIRE DU THEATRE ET SES PARENTS Marie, Françoise et Claude

3. LE SALTIMBANQUE Kaki

4. LE MATIN ON PARLE DES CHOSES DU MATIN Mohammed, Karamoko

5. LA FILLE PASSIONNEE ET SON AMI DELAISSE PAS D’ACCORD Odile, Limengo

6. LA TENTATIVE D’EXPLICATION DU PROTOCOLE PAR ERNEST ANTOINE Guy Lenoir

7. LE LOUP DEVOREUR Virginie

8. JE VAIS FAIRE UN TABAC Claude en Centaure caracolant

9. CELLE QUI VEUT JOUER ET CELLE QUI NE VEUT PAS Corinne, Aude

10. LA CATHARSIS A UNE TABLE DE BISTROT Spectatrice et actrice. André et le poignard de théâtre pour l’agression symbolique du responsable.

11. IL FAUT HURLER Mohammed, Karamoko

12. LES PLUS RICHES PLUS RICHES LES PLUS PAUVRES PLUS PAUVRES Claude et le Chœur répond: -Exactement!

13. LE DIRECTEUR DE THEATRE D’AVIGNON Jouer ou ne pas jouer? Nicolas

14. MAMAN COURAGE JOUEZ MES ENFANTS Ne sciez pas la branche. Marie

15. LE SPECTATEUR SOLIDAIRE qui refuse d’aller au théâtre. Manger ou ne pas manger? André

16. LES AVIGNONNAISES REACS choquées par les intermittents allongés. Odile, Françoise

17. FAUT PAS PLEURER… DEBOUT! Mohammed Karamoko

18. CITATION DU MINISTRE AILLAGON DE 1997: Vive les marges!

19. LES FAITS LES CHIFFRES Quelques dates, Troupes en grève et Départs.

20. MARIE-JOSEE ROIG Moi je veux que ça joue, le Festival. Marie

21. PRESENTATION DES TROUPES QUI VIENNENT DE JOUER

22. DEBAT

Ce spectacle a été une création collective d’improvisations en solo, en duo ou en trio des actrices et des acteurs des compagnies qui devaient jouer sur la scène du Théâtre des Carmesau Festival 2003. MIGRATIONS CULTURELLES de Bordeaux Guy Lenoir Limengo Benano Melly PIED NU de Marseille Mohammed Adi Karamoko Bangoura MES DIX DOIGTS de Bonneuil sur Marne Virginie Berland MIMAGINE d’Avignon Kaki THEÂTRE DES CARMES Françoise Baut André Benedetto Marie Labadie Claude Djian Aude Laine Nicolas Flamen Corinne Levesque Odile Picard et parfois Benoît Baut Administration et Accueil: Frances Ashley Michèle Hoger Andriève Chamoux Clémence Benedetto Après le départ prévu de Migrations culturelles et du Pied Nu, le spectacle a continué

PLAN DU SPECTACLE LES INTERMITTENTS RESSUSCITES (2ème version) représenté du 21 au 27 juillet 2003 à 18h00 (sauf le 22)

1. ALLONGEMENT ETIREMENT LAMINAGE André et une sanza

2 . LA FILLE QUI VEUT FAIRE DU THEATRE ET SES PARENTS Marie, Françoise et Claude

3. LE SALTIMBANQUE Kaki

4. LA FILLE ECHEVELEE ET SON AMI PAS D’ACCORD Aude, Nicolas

5. LA MARE ORIGINELLE André

6. LA TENTATIVE d’EXPLICATION DU PROTOCOLE PAR ERNEST ANTOINE Claude, Françoise

7. LA CATHARSIS A UNE TABLE DE BISTROT Spectatrice et actrice. André et le poignard de théâtre pour le meurtre rituel du responsable.

8. LE LOUP DEVOREUR puis JE JOUERAI PAS MON SPECTACLE Virginie

9. LES DECHIREMENTS de chacune et chacun. André

10. CELLE QUI VEUT JOUER ET CELLE QUI NE VEUT PAS JOUER Corinne, Aude

11. LE DIRECTEUR DE THEATRE D’AVIGNON Jouer ou ne pas jouer? Nicolas

12. MAMIE COURAGE JOUEZ MES ENFANTS Ne sciez pas la branche Marie

13. LE SPECTATEUR SOLIDAIRE ET DECHIRE Manger ou ne pas manger? André

14. LES AVIGNONNAISES REACS choquées par les intermittents allongés. Françoise, Corinne

15. JE VAIS FAIRE UN TABAC A CE FESTIVAL Claude en Centaure caracolant

16. LES INTERMITTENTS SE RELEVENT André

17. LES PLUS RICHES PLUS RICHES LES PLUS PAUVRES PLUS PAUVRES Claude

18. LA CITATION DU MINISTRE AILLAGON DE 1997 Vive les marges! Virginie

19. LES FAITS LES CHIFFRES: Dates, Troupes en grève, Départs.

20. MARIE-JOSEE ROIG Moi je veux que ça joue le Festival. Marie

21. PRESENTATION DES TROUPES QUI VIENNENT DE JOUER

22. DEBAT

Le titre original était L’Intermittent Ressuscité. Lors de la première représentation il est devenu Les Intermittents Ressuscités. Logique! L’entrée était de deux euros, le chapeau rapportait autant que la recette. Notre tâche accomplie il nous a semblé préférable de cesser nos activités le soir du dimanche 27 juillet après avoir représenté ce spectacle 28 fois. Chaque représentation était suivie d’un débat avec la quasi totalité du public, jusqu’à la fin et toujours aussi passionnant. Qui aurait pu imaginer le 1er juillet l’émergence du spectateur qui allait refuser d’aller au spectacle par solidarité? Nous n’avons jamais été des intégristes de la grève. Chacune et chacun ont agi selon leur conscience et selon leurs possibilités dans cette situation difficile. Il n’y avait pas les grévistes et les non-grévistes. Il y avait celles et ceux qui ont joué sans états d’âme, qu’ils reposent en paix. Et puis celles et ceux qui s’interrogeaient et qui agissaient du mieux qu’ils pouvaient, avec un peu ou beaucoup de grève et de débats, que personne ne vienne leur faire la morale. L’éthique commande parfois de se taire! A.B. 27.07.03

ESCHYLE, SHAKESPEARE, MOLIÈRE ET NOUS-MÊMES : RECORDS BATTUS DE RENTABILITÉ

Preuve donnée par la grève annoncée, le Festival d’Avignon, et les autres, ne peuvent se dérouler que grâce aux intermittents. Sans eux pas de loisirs, pas de  » plaisirs supérieurs de l’esprit « , pas de soirées artistiques, pas de terrasses pleines de consommateurs, pas d’hôtels réservés depuis des mois, pas d’habitants louant leur appartement, pas de concours de boules entre personnalités… Alors toutes celles et tous ceux qui tirent profit d’un festival, et ils sont très nombreux, de l’épicier et de l’électricien du coin jusqu’aux vignerons du terroir, en passant par tous les autres: imprimeurs, annonceurs, libraires, limonadiers, restaurateurs et bistrots… devraient donc cotiser eux aussi pour les intermittents. Et l’état lui-même et les autres collectivités qui tirent profit de ces profits, grâce aux impôts, devraient aussi cotiser pour les intermittents. Et alors voilà de quoi alimenter les caisses, si on se fonde sur la toute petite et si nécessaire solidarité sociale sans laquelle il n’y a plus de société. Par l’ampleur du mouvement dicté par leurs intérêts et surtout par l’intérêt général dont ils ont conscience, on voit qu’il ne s’agit pas avec ces gens-là, intermittentes et intermittents, de quelques rêveurs qui seraient indemnisés à ne rien faire mais à de vrais travailleurs dont le travail revêt une importance sociale d’autant plus considérable qu’on ne la mesure jamais très bien. Pourquoi donc ceux qui ont en mains tous les pouvoirs en sont-ils encore à claironner Vous chantiez j’en suis fort aise, eh bien dansez maintenant! avec les cyniques accumuleurs de profits qui nous entraînent dans la régression générale. Ces ringards! Il y eut une époque où il y avait deux distributions de courrier par jour. Et nous dernièrement il a fallu, après étonnement à ne rien recevoir, que nous allions nous-mêmes récupérer notre courrier d’une semaine. Au nom de la rentabilité immédiate, les chercheurs de profits détruisent les services publics, et étouffent la planète. Ils exigent des 15% de bénéfice pour la location d’un argent qu’ils n’ont pas du tout gagné à la sueur de leur front. Objectivement, qu’est-ce que c’est que leur imbécile exigence de rentabilité immédiate auprès de la rentabilité par exemple des artistes et des littéraires avec le temps? Lequel de ces surpayés d’aujourd’hui pourrait prétendre recevoir dans un, deux ou trois siècles l’équivalent de ce qu’on devrait donner à Molière, à Van Gogh et à tous les autres pour le plaisir qu’ils procurent et pour leur apport à la formation des esprits et des sensibilités, depuis si longtemps. Les artistes sont très rentables. Ils sont même tellement rentables, qu’il suffit qu’un seul le soit dans l’avenir pour qu’il valide et cautionne tous les autres de son époque. Les artistes sont peut-être les seuls rentables! Ils sont si utiles à la société que, par exemple, les œuvres de la littérature et du théâtre deviennent propriété publique 70 ans après la mort de leurs auteurs, tellement on en a besoin. En vérité, qui est en train de scier la branche et de prendre de toutes les manières les spectateurs en otage et même tout l’avenir? Les gens du Médef, ces minoritaires par excellence, connaissent les conséquences d’une restriction du statut des intermittents, qui n’est déjà pas une sinécure. Au nom de quoi veulent-ils tout casser? Au nom de leurs profits? Peut-être pas! Mais peut-être bien de leur sécurité, c’est à dire de leur volonté de totalitarisme. S’ils réussissent à faire entériner par le gouvernement leur accord avec d’autres minoritaires, les intermittentes et les intermittents du spectacle vivant seront en fait les seules victimes et ainsi tous les petits foyers de l’art, de la pensée, du questionne-ment du monde, de l’intranquillité créatrice, de la joie, de la vie-même seront éradiqués, tandis que les promoteurs du spectacle mort, les sociétés de production audio-visuelles et autres plus ou moins liées aux loisirs, pourront continuer à piocher des profits dans les caisses de l’assurance-chômage, pourront poursuivre leurs entreprises d’abêtissement et d’endormissement tout en verrouillant la nouveauté, la pensée créative et critique, et tout simplement l’imaginaire. Et on ne sait pas encore tout.

André Benedetto

MANIFESTE PER LO TEATRE D’OC

Avem una lenga nòstra que inventet la poèsia europenca una cultura tant rica que nos es venguda d’en pertot un biais de jogar lo teatre… e lo cinema una tipologia de personatges tancats ailas desempuèi mai d’un segle en riba de rota coma lei santons, e que bolengan plus Avem d’escrivans ancians, autors d’òbras magers, e mai de joves escrivans que sabon escriure d’òbras bèlas e bònas Avem tot aquò! E pòdi dire qu’ai vist d’espectacles que son fòrça bòns. Mai la situacion actuala dau teatre fa crenta e la devem cambiar un pauc. Per aquò vaqui çò que me pensi que devem faire: 1. Jitar fòra la scena toteis aquelei decòrs laids, lords e encombrants: telas, taulas, cadieras, cosinieras, armàris e bufets… Garçatz tot aquò defòra que ne’n avem ges de besonh. Nos cau servar una scena vueja e nusa. Un plateu e basta! 2. Prendre la lenga coma una lenga vertadiera, fòrta, poderosa, rica que pòt tot dire a totei sus la terra sensa ges de besonh d’assajar de se faire comprendre dei solets franchimands, sens aquela manía de revirar tot en frances ò d’escriure lo proensau amb la fonetica francesa. La lenga es pas un sota-francès, un patès. Es una lenga coma una autra. Es pas simpletament un suplement d’anma per lo paure proensau. La lenga es pas soncament facha per lo pantais, la galejada, la farsejada, lo desconatge, la mantenença de sabem pas de qué, la politica estrecha… Devem quitar tot aquò que son d’entrepachas au desvolopament nòstre. La lenga es facha per la vida, per la comunicacion, per dire lo mond e lo cambiar, per dire la femna e l’òme e per leis adjudar a viure e per que se podon dire elei-meteis tot çò que an dins lo còs e dins l’anma. Devem auborar lo niveu de la lenga e lo biais de la dire sus lo pontin. E per aquò leis amators devon trabalhar coma lei professionaus e mai e mielhs encara. 3. Durbir lei pòrtas e lei fenestras sus lo mond d’ara, aici e aila, e sus lei fòrmas nòvas de la creacion. E jogar tanben defòra, dins lei carrieras. Mandar d’invitacions en totei aquelei que fan lo teatre, que sabem jamai çò que se jòga en cò nostre, dins la lenga. Organizar d’acampadas mai nombrosas per manejar aquela situacion d’ara. De segur qu’avem de se parlar e de veire ensems çò qu’es possible de faire. Per acabar vaqui lo mementò: 1. La scena vueja 2. La lenga plena 3. Lo fenestron dubert.

Andrieu Benedetto

APPELE? OUI! ENGAGE? NON!

J’ai été qualifié d’auteur engagé. Je ne sais pas très bien pour quelle raison. Il est vrai que j’ai reçu parfois des commandes pour créer un spectacle sur un thème donné (Tu viens au Havre et tu réagis! Viens aux Ulis! Viens à Bègles! Lis ce texte de Gautier-Sauzin et dis-moi si tu peux faire quelque chose avec? Un Jaurès pour Carmaux…), ou même parfois sans thème défini (Dix briques pour un truc au Palace! On va faire chacun une création à partir de ce tableau…) Mais dans tous les cas je n’ai jamais reçu aucune directive. Je n’ai en fait jamais été engagé par personne pour occuper un emploi salarié et me tenir aux ordres. Engagé c’est bien ce que ça veut dire: recevoir des gages pour obéir à quelqu’un! Il parait que c’est Sartre qui aurait inventé ce concept d’engagé! Moi je me suis toujours considéré plutôt comme un appelé! J’aurais bien aimé d’ailleurs. Etre engagé. Etre payé pour écrire avec des directives précises. Savoir ce qu’il faut dire. Etre bardé de certitudes. Disposer de tout un attirail et d’un appui logistique. Avoir peut-être des aides qui vous mâchent le travail, vous fournissent les mots, les expressions, les documents, les sujets bien sûr… Et 39 heures par semaine, le rêve! Jamais rien eu de tout cela. N’ai dû en faire qu’à ma tête. Qui ne savait, qui ne sait toujours pas où elle en est exactement. Très pénible! Le théâtre ça passe par des situations qu’il faut trouver. Ca peut durer, la recherche! Vingt ans à laisser piétiner Robespierre dans l’attente de la situation qui permettrait de le mettre sur scène. Et les personnages qui ne s’embarrassent pas d’attente et qui font un peu ce qu’ils veulent. Qui vous tombent dessus et auxquels il faut obéir, comme ce yéti de 92, qui débarque le jour de l’an! Engagé par le yéti ah oui! Ou par Marie No Man’s Land! Ou par tout autre personnage. Ou même par une image, celle de ce type traqué par un projecteur qui a donné Napalm et ses malentendus! ou encore par la première phrase du Capital de Karl Marx qui dit: La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s’annonce comme une immense accumulations de marchandises! La première phrase de la Bible n’est pas mal non plus: Dieu, au commencement, créa les cieux et la terre! La seule certitude c’est qu’il y a comme un malaise… Et après la situation et les personnages, il faut s’attraper avec la langue française, ce qui n’est pas une petite affaire. C’est un peu comme essayer de creuser un trou parfaitement cylindrique dans du sable. Pour moi, elle fout le camp de tous les côtés.

REGENERATION 

chez nous on a ravalé des façades comme les chinois ravalent périodiquement les ossements de leurs ancêtres 

et puis ils les renfouissent mais nous nous transformons tous les bâtiments en sépulcres qui se dressent honteux dans leur obscénité mais la pluie ne les dissout pas dans l’air du temps

déjà les explosions avaient commencé le travail juste au pied du palais pour la rendre à la mort 

la ville et là-dessus il y a des idées bizarres qui courent dans des archi-têtes sur la manière d’organiser l’urbain on a vu un quartier central devenir une sorte de nécropolele centre-ville a eu son premier infarctus 

je suis toujours en plein coeur du sujet alors le quartier de la balance le bien nommé a été balancé on a oublié où mais il en reste un souvenir

après ce fût le palais paul vidal où se donnait toutes les fêtes mon mal vient de plus loin à peine au fils d’égée 

sous les lois de l’hymen je m’étais engagée ils ont fait péter les immeubles pour offrir du terrain dans la proximité aux tribus de la mort qui ont plus d’or accumuléque toutes les tribus de la vie rejetés loin vers les bâtiments gris ils existent ces bâtiments je les ai vus sous leur nom de poète ils existent encore 

et sur leurs façades au soleil il n’y a pas une seule fenêtre je n’ai jamais cessé de redécouvrir les banlieues 

elles ne sont jamais les mêmes moi banlieue faite de banlieues leur histoire est aussi la mienne 

j’appartiens à l’océan sud qui vient battre tous les remparts de ses grandes vagues salées 

pour chanter la rengaine des peuples nous sommes là vivants pensez à nous ne nous oubliez pas

c’est pas des sauvages du tout mais c’est moi dont il est question pas des peuplades écoute bien ni des insectes je ne noue pas avec eux la relation du sociologue ni du missionnaire ni du commerçant ni de l’ethnologue ni du militaire vainqueur ni du livreur de culture ni du négrier encore moins 

ni en allant un peu trop loin de l’exterminateur partisan of course de l’inégalité des races 

je noue sans forcer la dose la relation de l’autre à l’autre avec moi-même et moi-le-même

ça me concerne étroitement il faut le dire je suis en terrain de connaisssance 

des connaissances et de la connaissance

c’est mon histoire qu’il s’agit tu vas voir et là-dedans y a plein d’histoires 

dans cette histoire-là la mienne y a plein de noeuds de carrefours de connections 

avec plein de chemins partout dans tous les sens où tu peux si tu veux te perdre ou retrouver 

mon histoire comme un univers de neurones une corde à noeuds une vie

il y a la langue de l’école il y a la langue de la vie et puis d’autres langues d’ailleurs venues 

mais les gardiens de la prétendue pureté versaillaise veillent encore et même ils se font des dictées en direct très subtiles et ils s’y font des fautes et des farces et ils rient 

ah comme ils sont heureux tous ces crânes savants aux machoires articulées trop bien huilées 

à radoter des subjonctifs et à sucer des platitudes ah oui ton café fout le camp y a plus rien dans la cafetière 

hélas comme bientôt gueulera mon macduff venu réveiller un vivant 

je ne peux réveiller un mort en vérité qui voit autour de lui tous ces cadavres

moi aussi j’ai entendu les injures du racisme crétin à cause de quoi que mon pays que ça aurait pu être totalement la france ça le sera jamais tout à fait vraiment ça restera un pays inachevé dans moi avec un gros trou qu’on aurait pu en attendre beaucoup de ce pays mais il perd de plus en plus des morceaux de sa conscience évidemmenty en a qui croient que c’est pas grave que ça repoussera peut-être la conscience en entier comme les nageoires du tigre mais non 

ils sont pas forts en biologie ils savent pas comment que ça se mélange ou comment que ça se mélange pas 

des morceaux qui tombent à la poubelle de sa conscience à lui de responsable éthique du monde 

ce pays qu’il aurait pu êtrepour donner un exemple à toutes et à tous juste un exemple

y en a plus des exemples nécessaires ce pays ne veut plus ressembler à la France 

il veut ressembler à n’importe quoi adieu adieu je m’en vais sans tourner les yeux 

je ne sais pas très bien encore si je serai chercheur d’or 

ou chasseur de phoques au pôle nord chef de banque chez rockfeller 

ou chef de bande chez les gangsters mais bientôt je serai millionnaire….

et pendant ce temps-là des gens quelque part dans le monde en lutte se mettent à chanter la marseillaise 

et voilà que le disque s’arrête dans leur gorge ils se demandent ce qui se passe il se passe que le moteur il a calé dit po po po y en a plus des exemples et en même temps y en plus de plus en plus des exemples regarde c’est le concept de différence qui a hérissé ses cheveux sur leur langue et ils zézaient n’importe quoi à profusion lui il est plus ceci que l’autre il est plus cela et l’altérité alors c’est où que vous l’avez jetée

on devient on est devenu une autre république une et très divisible comme un troupeau de gnous fonçant dans les savanes 

harcelé par les prédateurs pour accomplir sa migration mais nous les prédateurs 

ils nous embrassent sur la bouche l’homme est un homme pour l’homme 

tout le monde tue tout le monde pour la sélection de l’espèce 

qui deviendra ainsi au cours des décennies de plus en plus forte et méchante cette espèce 

il le faut il le faut pour conquérir les galaxies 

et le progrès porter toujours plus loin on ne reviendra pas sur la loi du profit 

ça nous dépasse individuellement beaucoup trop nous les individus on n’y peut rien faut accepter

peut-être oh je dis bien peut-être une chance à saisir avec eux et moi et nous les pieds dans les périphéries 

qui sommes jusqu’au cou enfoncés dans le sujet principal et de l’intérêt général 

intérêt et principal la fourmi n’est pas prêteuse eux je te dis qu’ils sont debout et que des citoyens ils sont 

et ils refusent de se lancer dans la guerre civile dans laquelle on les pousse à grands renforts de forces 

de manière systématique ô temps suspends ton vol

si dans leur coeur et dans leur corps et dans leur conscience les banlieues étaient identiques aux non-banlieues 

villages restaurés centre-villes immeubles bourgeois hôtels particuliers zones résidentielles lotissements 

elles ne seraient pas ce qu’elles sont c’est évident elles seraient depuis longtemps ces banlieues-là 

en guerre déclarée ouverte impitoyable ce qui n’est pas le cas et on semble le regretter 

mais ni moi ni bien des amis et connaissances on ne pense le mal et beaucoup et beaucoup qu’on ne connaitra pas 

qui ont encore quelque imagination et grand désir de vie 

désir aussi intense que celui des ados là où ils ont vécu là où ils vivent est leur pays 

territoire de leur jeunesse ils sont partie intégrante de nous 

moi par exemple qui suis un cas extrème nous sommes tous des cas extrèmes 

considère-toi comme un cas extrème et tu te verras autrement 

au milieu des problématiques et des horreurs. 

LE PAIN LE VIN LE CHRIST DE CHAIR

LES INTEGRISTES

Une de nos invitées s’en allait avant la dégustation. Je l’ai abordée. Elle m’a dit que je l’avais choquée, protestante pour qui le pain et le vin ont une telle importance. Elle n’avait jamais vu ça comme ça. Je la crois volontiers. Pour elle sans doute depuis la petite enfance les expressions: Ceci est mon corps, ceci est mon sang n’étaient quedes mots presque vides, ne renvoyant à rien de réel, de visible, de palpable, n’étaient que des expressions convenues, des formules.Une sorte de langue de bois!

 Et voilà que ces mots tout à coup présentés dans ce contexte,joués, incarnés acquéraient une densité inconnue, une vie en quelquesorte, une espèce d’obscénité! Comme si soudain aux infos du vingt heures, les récepteurs s’ouvraient au moment du repas et que du sang en coule, et que des cadavres en sortent. Le réel réel épouvante. Nous avons besoin d’écrans… En l’occurence, moi je n’ai fait qu’extrapoler un peu, qu’illustrer un peu la parole. Car c’est bien lui, fondateur du cannibalisme religieuxqui a dit au fond: Mangez-moi! Buvez-moi! Je prolonge, j’interprète, jedonne tout son sens à sa parole en lui faisant dire: Mangez-vous et buvez-vous les uns les autres! Car enfin c’est bien cela qu’ils font, ou du moins les catholiques je crois, quand ils ouvrent la bouche pour recevoir l’hostie. Et alors, moi aussi je suis choqué. Par elle! Par cette réaction si réductrice. De quel droit divin s’autorise-t-elle à être choquée?Comment peut-elle se croire détentrice de tout le sens, de tout le sang,de tous les sens? Et se croire le droit de contester ma parole? Laquelleémane de lui directement! Elle me parle comme si j’avais porté atteinte à sa foi, à son sensdu sacré, et même à son moi le plus intime. Comme si j’avais étésacrilège! Ca veut dire quoi: sacrilège? Il y a donc des intégristes parmi nous. Ils ne voient pas quejamais peut-être on ne leur a montré leur christ aussi vivant, aussi réel,aussi humain. Ils se referment dans quoi exactement? Heureusementqu’ils sont minoritaires et qu’ils n’ont aucun pouvoir. Sinon attention lafatwa! Comme en terre d’islam… Moi je ne cherche pas à provoquer. Je dis ce que je sens, ce queje pense… pour contribuer à l’élargissement des consciences. Hier soir il y avait une émission sur Arte (2/5) sur le procès deJésus. Il a été mis en question la responsabilité de Pilate, du Sanhédrin,etc… mais personne ne s’est demandé pourquoi l’église traduit: « Il leleur a livré » par « Pilate a livré Jésus aux juifs? » Pourquoi aux juifs? Ill’a livré aux chefs religieux de l’église de cette époque! Mais peut-êtreque ceux qui traduisent ont raison? Peut-être n’était-il pas juif ?

Ah Letizia!

Ieri alla mattina sono arrivati i librial pomerrigio ho faxato due volte al 61 71 144e ciascuna volta, la sua voce: pronto, pronto, pronto…allora ho telefonato e lei me ha dato un altro numeroallora ho faxato al 61 67 512e ancora la sua voce: pronto, pronto, pronto…allora ho spedito il fax come una lettera!Oggi faxeremo alla notte dope le diecidope la rappresentazione di  » La Dégustation aux flambeaux »una nuova commedia con vino del paese…Speremo che il fax funzionera durante il vostro sonno!Vengo di scrivere a Giovanni che sono felice, e anch’io fiero.Si si è molto buona la colore, la stessa che la mia camicia per recitare.Recitero Nous les Eureupéens ad Avignone il 26 aprile, a Montpellier i30 aprile, 1 e 2 mai maggio e il 13 maggio alla Guadeloupe! Parlero dellibro,de lei, de Giovanni e de Lorenzo. L’arrivo del libro adesso è unbuon segno.Tutto il libro è un bel oggetto. Mi piaciono la coperta, il disegno dellap.58 e la p. 77, la traduzione e il prefazione. Le due testi insieme: unabellissima idea.Non sono preoccupato per i diritti d’autore. No problema! Vorreisoltanto sapere che cose mandare, spedire a Giovanni, a Lorenzo:sigari? sigarette? dolci? oggetti? vini? libri? La prego de consigliarmi.Fax 00 33 4 90 86 52 26Grazie per i libri blu e per il rosso de Sand,e per il prossimo consiglio.Anch’io spero di vederLa un giorno. Affettuosomente,Ho conosciuto Dario Fo vinti-cinque anni fa, per due giorni!

Amigas e amics bonjorn en totei. Vos presenti Peire Pessemesse e la cola de Rasteu que va legir sa peça:  

Quora siau estat jogar quauquei morceus de Nous lesEureu-péens au festenau de Mollans, es estat un jorn important per ieu.Ai rescontrat dei gens, ai vist dei pèças de teatre, e ai crompat La Tesi,lo darrier libre de P.P. qu’es un escrivan que m’agrada fòrça. P.P. es un escrivan dei grands e sa lenga es lo provençau. Salenga es aquela qu’ai ausida dins ma joinessa, ont ai trobat totei lesmòts qu’emplegavian nistons e qu’eran pas d’argòt coma o cresiam maid’occitan. La lenga de P.P. es una lenga rica, una forma efemèra esubran eternala dau reau que de lònga cambia, una lenga minerala,vegetala, animala, una lenga d’abans Versailles, una mescladissaespelofida, una sòrga e una fònt mai es pas la fònt de Nimes… Es una lenga que bolega e totjorn en trin de cercar e de se faire,una lenga que vos dòna enveja de legir encara un pauc, de parlar e maid’escriure. Es una lenga que vos dòna d’adjuda, que vos pren per la manper vos faire charrar. Es benleu una lenga de reconciliacion, una lengamoderna, una lenga per l’avenir, la lenga dau brès de deman perque setròba dins aquela lenga, me sembla, l’engenh meteis de la lengaprovençala. I a pas ges de vertat , i a un tipe au mitan dau mond qu’esen trin de faire sortir la lenga… Quand sa peça LoViatge a Cuba m’es estada donada de legir mene siau congostat e ai decidit de la faire coneisser. E uei anatz laconeisser, mai soncament per la legida. Es l’istòria de dos pareus vesinsque se parlan plus dempuei mai de vingt ans dins son vilatge e vaquique se retroban dins lo meteis viatge toristic a Cuba. Dau vilatge auvilatge en prenent l’ala dau viatge. I a mai de sens aqui dedins que nepodetz pensar! Aquelei quatre, dos per dos, se van fugir, puei se reconciliar e finfinala s’empegar ensems amb totei lei rons de l’isla. Vesem ansin queCuba sota de la sarrada e dau blocatge nòrd-american es lo païs de lareconciliacion. Coma avem decidit de trabalhar amb l’ostau de païs de Rasteu,son elei que van legir la peça. Ieu legirai leis indicacions escenicas quese dison ara lei didascalias. Vos grandmerceji d’estre toteis aqui ambPeire Pessemassa,l’ostau de païs de Rasteu,  

André BENEDETTO théâtre des charmes 84000 AVIGNON 
à
Thierry PAILLARD compagnie le rouge et le vert 13 ARLES 
Cher ami,
Je vous remercie de m’avoir invité à la lecture de votre prochain spectacle. Comme je vous l’ai dit rapidement à la fin, j’ai apprécié ce travail et souhaité que la ville d’Arles la première, sache l’aider comme il le mérite.

Le choix du thème est pertinent et renouvelle un peu la vison qui s’impose trop souvent de ce « pauvre » Van Gogh, souffrant dans son coin comme un damné! Ici au moins on sent la création au milieu de la vie quotidienne. Le montage et le rythme sont bons.

 C’est une belle idée de montrer cette amitié du facteur et du peintre. La sempiternelle vie passionnée de l’artiste s’enrichit tout à coup de la vraie vie entre les gens. Il faut dire que ce Roulin était quelqu’un lui aussi d’étonnant. Vous avez eu raison de suivre la leçon de Michon. Vous sera-til possible d’utiliser un portrait de Roulin?

Meilleurs voeux pour la suite! 

P.S. Ceci dit je dois vous faire deux remarques. D’abord, le titre me paraît faible. En général il est préférable que le titre ne fasse pas de commentaire sur l’oeuvre, et qu’il se contente simplement de la désigner! Exemple: Le Facteur de Van Gogh! Pour qu’on sache de quoi il s’agit!

Ensuite si vous devez refaire une lecture, demandez-vous si le texte à la main n’est pas plus efficace que les pupitres, très tendance? J’ai reçu un groupe polyphonique corse: Voce et Terra. Ils chantaient autour d’un pupitre, parce qu’ils ne savaient pas les textes par coeur! Et moi j’avais l’impression que leurs voix ne sortaient ni de leurs poitrines ni de la terre mais du pupitre! 

Evidemment la question se pose de savoir s’il vaut mieux pour une lecture que le texte sorte d’un corps ou d’un pupitre? De toute manière, à partir du moment ou un texte est proféré, de n’importe quelle manière, il n’est plus le texte qui est écrit! La chair déjà l’a corrompu de ses haleines… Oui bien sûr que le pupitre permet de dégager les deux mains…

JE FAIS UNE ENQUÈTE SUR LE THÉATRE PROVENÇAL

Pour préparer notre rencontre, à sa demande, une étudiante m’avait envoyé un questionnaire : 1.Quelle est la situation du théâtre provençal lors du passage au troisième millénaire 2. Quelle est la situation actuelle 3. Ecrivez-vous encore ? Pourquoi ? 4. Quelles les œuvres et les compagnies qui se produisent depuis l’an 2000 ? 5. Quel public rencontrent-elles ? Je lui ai répondu : Je veux bien vous rencontrer pour discuter un moment avec vous de théâtre provençal cependant ne comptez pas sur moi pour répondre à ce questionnaire de police. Si ça vous amuse de répondre à ces questions, faites-le, personnellement ça ne m’intéresse pas du tout. Si je prends cette seule question : Ecrivez-vous encore ? Pourquoi ? Le seul fait de la lire peut faire tomber quelqu’un raide mort s’il ne s’y attend pas. Et vous, êtes-vous encore vivante ? Si oui je vous souhaite un joyeux noël. Nous avons convenu d’un rendez-vous. Elle est venue. Pouvons-nous avancer l’heure ? D’accord. Puis-je enregistrer ? D’accord. Avant qu’elle ne me pose la première question je lui ai demandé si elle avait lu ce que j’avais écrit en provençal ? Elle m’a dit s’être renseignée sur moi dans la Revue Acteurs N°3, et dans une interview dans la Linha Imaginot. Avez-vous lu la pièce qui se trouve dans cette revue ? Non ! L’entretien a tourné court. Comment peut-on venir interroger un auteur sans avoir lu une seule œuvre de lui (la seule œuvre publiée !) ? Surtout quand on a eu un ouvrage entre les mains qui la contient. Une œuvre si courte. Le théâtre ne l’intéresse pas. Peut-être ne lit-elle pas le provençal. Beaucoup d’autres étudiants font comme elle. Ils posent des questions sur le théâtre, mais le théâtre ne les intéresse pas. Elle n’a pas du tout compris mon point de vue. Ça ne m’étonne pas. 080404 Ps qu’est ce que leur professeur leur enseigne

POUR L’HUMA

Je salue toutes ces femmes et tous ces hommes qui au cours de ces cent dernières années, jour après jour ont fait l’HUMANITE. Ils étaient de toutes ces professions employés par un journal. Innombrables. Les escaliers, les ascenseurs. Salut! Salut! Les journalistes et les monteurs de pages. Pas seulement. Ô typos de jadis sur vos lourdes machines, ô dactylos à vos écrans. Copier, coller, en avant! Fini le plomb depuis longtemps, fini le marbre. Dessinateurs, photographes et les livreurs à bicyclette par tous les temps dans les débuts du siècle. Techniciens, maintenance, spécialistes de toute sorte. L’imprimerie, les rouleaux de papier et puis les encres. Les vendeurs sur les marchés, surtout le dimanche matin à la sortie de la messe. Et aux pires moments de l’histoire, sur des feuilles ronéotées. Se mettent en péril pourquoi? Pour une idée, pour une humanité, je vous salue! Et les archives. Celles et ceux des rubriques rituelles. Actualité, politique, culture, théâtre, cinéma, télévision, littérature, cuisine, mots croisés, échecs, y en aura pour tout le monde, même pour celles et ceux qu’on oublie, des bisous accompagnés évidemment de mises en garde. Parce que moi tu vois… C’est une mer immense. Et les vagues suivent les vagues. Mais les eaux de la rumeur du monde restent le plus souvent amères. Tant pis on analyse. Et les lectrices et lecteurs qui écrivent, les invités de la semaine, et toujours un historien, un littérateur, un politique, un philosophe, un poète, etc… qui apportent son point de vue pour faire avancer les idées quand le schmilblick n’avance pas. Ce qui fait qu’il y a toujours quelque chose en plus à lire. Et on a très peu de temps! Mais quand tu lis, entre les lignes, de derrière les pages, ce sont celles et ceux qui sont dans la soute et qui maintiennent la vapeur, qui apparaissent et qui font des petits bonjours. Je vous salue. Et en avant. Et à travers ces gens, le journal continue. Vive l’Humanité!

UN GROS MONSTRE QUI NE SAIT PAS TROP COMMENT S’HABILLER POUR VOUS SOUHAITER LA BIENVENUE

Ici-dedans et ci-dessous, en suivant les pistes des phrases de Jean-Jacques Coltice qui s’en vont à la quête, vous allez voir apparaître Mesdames et Messieurs un monstre comme vous n’imaginez pas. Sous la carapace de toutes les analyses, et des explications et des tentatives de comprendre, sous l’écaille luisante des mots qui dansent sous la lune, vous allez voir apparaître le monstre noir et palpitant, l’insaisissable dont tout le monde parle et que personne encore n’a vu. Certains qui croient en avoir fait un animal de cirque, s’imaginent l’avoir apprivoisé depuis longtemps, d’autres l’avoir dressé comme une bonne bête de spectacle, d’autres en avoir fait un animal de compagnie, d’autres encore le faire visiter aux enfants au cours de matinées scolaires, d’autres le faire gambader dans les rues et sur les places au cours de parades foraines, d’autres l’habiller de draps d’or et dans des décors luxueux le faire évoluer. Tous ceux-la sont fiers de ce qu’ils font et croient être arrivés à quelque chose. Mais le monstre reste invisible, on attend toujours sa venue. Pendant ce temps, des tas de petits autres qui se doutent que le monstre a des possibilités encore inexploitées surtout si on le met en contact avec le plus grand nombre, et qui pensent d’ailleurs que le petit cercle ne peut devenir un grand cercle que par un changement qualitatif et non par une simple multiplication, qui espèrent bien lui voir inventer des cabrioles nouvelles, cherchent pas tous les moyens à l’approcher, à le faire sortir de sa cachette, et le montrer enfin dans toute sa splendeur. Et il y a des types qui ont des gros pouvoirs et qui ne rêvent que de voir toute la population le soir devant la télé, rêvent aussi de flinguer tous ces jeunes cornacs (certains sont vieux déjà mais ils sont restés jeunes à espérer le monstre) et d’en finir avec cet animal mythique. Alors ils éliminent comme ils peuvent, ils réduisent, ils asphyxient mais ce qui est réjouissant, c’est qu’il y a toujours des nouveaux cornacs qui se dressent. On se demande d’où ils viennent et qui leur a parlé de ce gros monstre qu’ils désirent tant chevaucher. Quand je dis que vous allez voir apparaître, je veux dire que vous allez voir se profiler la grosse bête de temps en temps, ici et là, très fugitivement. On croit à des moments le tenir aux oreilles et puis crac il disparaît. Mais persévérez, il revient, il fait des petits signes, des petits grognements. Il laisse des messages, des petits papiers dans les coins, des souvenirs, des avertissements. Et peu à peu, on se fait une idée de ce gros monstre maladroit qui n’en a pas fini de hanter notre imaginaire. André Benedetto Préface au livre de Jean-Jacques Coltice: Au Théâtre, Citoyens, paru au Temps de Cerises.

TOUT SE JOUE AVANT DE JOUER

Le spectacle se prépare, se pense, s’organise avant de jouer, se décante, se concentre… Il faut un long temps de méditation avant la représentation pour reconstituer en profondeur l’intention du spectacle, pour la faire remonter à la surface, pour se tenir prêt à la faire émerger, en se débarrassant de toutes les écumes et sueurs du quotidien et des petites préoccupations… Il s’agit de projeter le texte et le mouvement vers les autres. Ils veu-lent voir et entendre. Même si tu te parles à toi-même, même si tu ne fais que chuchoter, même si tu ne bouges pas! Projette! Et parle plutôt vers le public. Même si c’est pas naturel! Plutôt que vers la coulisse ou vers le fond. Bouger, danser, les mouvements du corps dans l’espace, ça parle parfois plus que le texte. Etant entendu que les gestes ne sont pas là pour accompagner, pour réconforter, pour souligner… les mots. Le jeu, c’est la tentative toujours et indéfiniment renouvelée, de réussir enfin à dire les répliques, à dessiner les mouvements. Si tu as l’impression que tu récites, c’est que tu n’écoutes plus le texte c’est que tu ne t’écoutes plus le dire, c’est que tu ne te regardes plus bouger, tu es comme dans la mort. Tu es devenu(e) un disque. Eviter d’emprunter les ornières par où on passe cent fois sans conviction. Mais même dans l’ornière, il y a encore des ressources à mettre en valeur si on y regarde de près. Il suffit d’être là. Résolument! [Je te suggère de sourire en permanence, tu n’es pas convaincu(e) de cette nécessité. Tu ne joues plus, tu fais de la morale, tu ennuies. Une indication n’est pas un ordre. Mais ça vient de l’extérieur amical. Ce n’est qu’une suggestion, qu’une hypothèse à partir de laquelle il est possible de travailler, ou tout au moins de réfléchir. Et c’est mieux que rien! 08 07 04

LA PENSEE UNIQUE (Lelay Sellières)

On n’a changé d’époque. Ça continue comme par le passé, récent ou plus ancien. Ça s’aggrave tout simplement et on peut dire aussi que ça se simplifie. Ça devient plus clair, plus visible, plus terrible. Tous les masques sont tombés. A visage découvert, les usuriers c’est à dire les actionnaires qui détiennent l’argent nécessaire sont implacables. Ils exigent des intérêts de plus en plus importants des grandes sociétés. Alors les PDG qui sont aux commandes peuvent sans honte appliquent leurs vieilles convictions qu’ils osent désormais énoncer au grand-jour et gueuler: vive le profit maximal, le plus fort impose sa loi, en avant la compétition! Ainsi dans un livre d’entretiens récemment paru, le directeur de TF1 déclare:  » Le métier de TF1 c’est d’aider Coca-Cola par exemple, à vendre son produit. Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible, c’est à dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible.  » Le patron du Médef estime pour sa part dans d’autres entretiens:  » Le terme  » égalité  » de notre devise nationale, considérée par la fonction publique comme la grande valeur républicaine, nous mène à un projet de déclin car c’est aujourd’hui un concept de non-réussite économique. Mon jugement n’est pas moral. Il porte sur l’efficacité du concept. Il va à l’encontre du jeu mondial devenu capitaliste fondé sur la compétition par l’efficacité qui est en place pour, peut-être, un siècle. La reconnaissance qu’il y a inégalité dans la performance,’ donc dans la rémunération et même le destin des individus est désormais au centre de la réussite ou de l’échec collectif. Le drame est que nous ne sommes pas gouvernés par des politiciens allant à contre-courant de l’opinion publique. Ils reflètent ce que veut le pays. A droite comme à gauche!  » La pensée unique, cette espèce de gros bon sens de prime abord irréfutable, se conforte d’un cynisme de forts en gueule et ne cesse de nous accabler. Elle tape ses vérités comme une masse à tours de bras. Grandir, grossir, avaler, absorber, devenir le numéro un, survivre et se développer et par tous les moyens, au détriment de tous les autres, au détriment de tous les êtres. Et d’abord de la Terre qui est le premier de tous les êtres vivants. Tous les tenants de cette pensée unique qui dégouline des coffres forts, sont convaincus ou feignent de le croire que cette pensée unique saura résoudre dans le futur tous les problèmes qui sont posés aujourd’hui à l’humanité: l’eau polluée, l’air pollué, l’effet de serre, la déforestation, la disparition des espèces, la raréfaction des énergies, etc… par on ne sait quelles inventions. Par contre d’autres plus sceptiques se demandent si nous ne courons pas à la catastrophe générale. Au pire on ne les entend pas, au mieux ils participent à des débats. Des scientifiques tirent les signaux d’alarme. Mais jusqu’ici, ça va! Il n’y a pas de raison que ça continue pas. Pourquoi ne pas faire la fête? En attendant.
28 08 04

LES ALARMISTES ET LES INCONSCIENTS

La Terre est un univers clos, infiniment petit dans l’Univers immense. Certains disent, les Alarmistes, qu’elle est en danger de mort en tant qu’être vivant. Ses airs, ses eaux sont pollués, ses ressources s’épuisent, ses forets disparaissent, les déserts gagnent… Le mal ne fait que s’aggraver de jour en jour. La majorité, les Inconscients ne veulent rien entendre. Ils pensent que c’est très bien ainsi. On n’arrêtera pas le progrès. Qu’il faut entrer dans la compétition mondiale -ou tu joues le jeu ou tu meurs- ou disparaître. Tout fonctionne par chantage pour appliquer la loi du profit. Peu importent les résultats à longue échéance. Il n’y a d’ailleurs pas de responsable suprême, ni plusieurs. Si par hasard vous croyez en découvrir un, il vous dira qu’il ne peut pas faire autrement que d’aller de l’avant comme tout le monde, pour rester dans la course. Qu’il fera des efforts… si tout le monde en fait. Pour les Alarmistes c’est une tragédie dans laquel- le, au prix de millions de victimes, ils nous entraînent tous. Pour les Inconscients, accumuler c’est la vie elle-même, qui prospère, qui se développe, qui se complexifie, qui apporte peu à peu le bonheur à tout le monde. Ils croient avoir raison. Les autres pensent qu’ils ont tort. Les fourmiscules et les dinosaureurs, quelle épo- pée! L’époque est formidable! Rendez-vous à Vitry en juin 2005 pour l’avant-première de notre création: Le Grand Théâtre du Monde Contemporain. En attendant, voyez ce Que nous vous proposons pour les mois à venir.

Communication à la journée de Montoral sur le conte au théâtre du rond point à Paris le 19 octobre 2004

LA QUESTION POSEE AU CONTEUR: POURQUOI FAUT-IL RACONTER DES HISTOIRES?

Humains transformés en animaux, en arbres, ou en fleurs, et très sou-vent en pierre. Distances abolies, vitesse de la lumière, voyages dans les airs et bottes de sept lieues. Animaux, plantes, rochers, objets qui parlent. Epreu-ves insurmontables surmontées, monstres effroyables vaincus, cadavres en morceaux, en miettes, décomposés, qui se recomposent et qui vivent. Un tis-su de mensonges et d’invraisemblances énormes. Pourquoi tout ça? Dis-le! Car je ne pense pas que tout ça, ce soit pour endormir le monde, n’est-ce pas, pour le tromper, pour le perdre dans des labyrinthes obscurs, pour détourner l’attention des choses essentielles, pour effrayer, pour inciter à se tenir tranquilles, à ne jamais sortir et à ne rien tenter, pour prêcher la résignation, pour empêcher les pauvres, en les captivant par le souffle, de devenir des rois, car ils deviendraient pires qu’eux, ou bien pour activer de mauvaises passions, nationalisme, patriotisme ou intégrisme, ou quelque autre folie, pour recruter des hommes, pour lever des armées, pour partir à la guerre. Non je ne pense pas que ce soit pour endormir les consciences, n’est-ce pas? Est-ce alors pour les réveiller? Pour leur apprendre à vivre? Pour leur apprendre à se comporter en public, ou en privé? J’étais venu le voir à la fin de son racontage. Je le harcelais de questions et il ne m’interrompait pas. Est-ce donc pour donner à voir? Pour montrer? Pour donner son point de vue? Pour prévoir ce qui arrive? Pour comprendre ce qui se passe? Pour dresser une carte des possibles? Pour enseigner? Pour informer? Pour expliquer le monde? Pour transformer le monde? Pour agrandir la connaissance? Pour faire visiter des pays inconnus? Pour faire connaître des gens? Pour faire vivre des situations étonnantes par la pensée? Pour leur faire entrevoir leur naissance possible hors d’eux-mêmes, de leur prison? Pour former les esprits? Pour structurer les cerveaux? Pour gagner sa vie au jour le jour? Pour repousser sa mort de matin en matin? Ah la ruse de Schéhérazade, le stratagème nuit à nuit! Toi Schéhérazade peut-être? Mais de quel Sultan? Pour dire ce qu’on a sur le cœur? Pour se soulager? Pour recracher les mauvaises idées, les réflexes brutaux, tous les mensonges inculqués? Pour se débarrasser d’un secret trop lourd? Pour transmettre un secret préci-eux et bien gardé? Pour révéler une vérité cachée? Pour raconter des souvenirs? Pour dire ce qui a eu lieu et comment? Pour passer le temps? Pour divertir? Pour émouvoir? Pour tenir en haleine? Pour le plaisir de dire, de parler, de tchatcher? Pour s’écouter et se voir parler souverain? Pour profiter de la vie? Pour montrer ce qu’on voit? Pour montrer ce qu’on ne voit pas? Pour montrer ce qu’on ne veut pas voir? Pour montrer ce qu’on voudrait voir et qu’on ne verra jamais? Pour relier ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas? Les conteurs les meilleurs sont aveugles, dit-on! Pour chasser les mensonges et les mouches tsé-tsé? Pour échapper aux trames, aux trappes, aux pratiques et habitudes ancestrales, aux réflexes anciens qui alourdissent et paralysent? Pour sortir des cercueils plombés et respirer à l’air libre? Pour comme des momies, se désenvelopper des longues bandelettes enroulées sur des mètres? Pour remonter à la surface et germer à nouveau? Pour sortir du béton dans lequel on nous coule? Pour s’extraire des films où imbéciles heureux, nous ne jouons que les esclaves? Pour émerger avec les émergents? Pour venir à la vie et vivre… vivre en vrai, vivre enfin, vivre toujours? Ou pour quelle autre raison, dites-moi? Et pour toutes ces questions, il aurait pu trouver une petite réponse. Mais non! Il restait là muet, souriant, sirotant un peu d’eau tiède en marmon-nant: – Je ne sais pas… je dois le faire… ça ne sert peut être à rien… ça n’aura peut-être servi à rien… on a passé un moment ensemble… c’est vrai… tout est vrai… y a que les mensonges et les choses incroyables pour faire apparaître et pour dire la vérité… je dois le faire… je ne sais pas pour-quoi… y en a un qui dormait, tu as vu… il était en paix sous ma parole, à l’abri dans le ventre à écouter, seulement écouter, il n’y a que ça à faire… j’imagine toute une salle qui dormirait de moi… et moi marchand de sable… Et il se mit à rire d’un petit rire satisfait. Lui aussi il était en paix sous mes yeux. Un bonhomme d’un gris indéfinissable comme dans des habits de laine, non, c’était dans un grand manteau, avec une grande écharpe et des mitaines… peut-être. La vérité, c’est qu’il ne m’a pas du tout répondu. J’étais venu le voir à la fin. Je l’avais harcelé de questions pour savoir et il ne m’avait pas répondu. Il m’avait simplement marmotté « oui-oui, oui » puis il avait pris une chaise et il s’était assis, là, souriant, sirotant à petites gorgées son eau tiède, en attendant peut-être qu’à mon tour, je veuille bien… Il est donc là, timide, insignifiant, malingre, doux, pas fort en gueule, non violent, paisible, vieux et tout craquelé. Il ne paie pas de mine mais il a traversé tous les temps, il a des traces sur lui de tous les climats, il provient de tous les espaces, et il ne bouge pas. Il est en somme le mouvement lui-même quand il reste immobile, un tourbillon qui ne fait pas tempête, sinon dans les esprits. Une hallucination quand il ouvre la bouche. C’est le maître des mots, des morts et des vivants. Il voit tout dans sa tête, derrière ses paupières, dans le repli des circonvolutions, dans le fond de son cœur. Et quand il a envie, il était une fois, il convoque le monde, le monde se tient prêt, au grand complet, à sa disposition. Et c’est vaste, le monde, et c’est même infini. Le jour, la nuit, la lune, les étoiles, le soleil, les eaux de toute sorte, les nuages, les vents, les brouillards, les fumées, les rochers, les montagnes, les sables des déserts, les neiges et les glaces, les tourbillons du feu, les arbres, tous les arbres, toutes les plantes et les herbes magiques, les gros poissons, les oiseaux, les reptiles, les mammifères, les hommes et les femmes, les merveilles et les chimères, les monstres indescriptibles, les phénomènes innommables. Tout ce qu’on peut imaginer est là, prêt à intervenir, à jaillir de ses lèvres, à faire tout ce qu’il demande. Aux êtres et aux choses, il fait faire tout ce qu’il veut. Et tout peut devenir tout, c’est à dire n’importe quoi. Car ils sont tous tissés de la même matière universelle, éternelle, immortelle, et malléable comme la pâte à modeler. Ah oui je le regarde et je me dis qu’il est prêt depuis longtemps. Il doit avoir appris à regarder, à écouter. A l’affût en permanence. Il entend parler et chanter tout ce qui est autour de lui. Il voit des métamorphoses. Il enregistre des choses indicibles. Il capte ce qui traîne dans l’air. Il veut montrer et montrer toutes les images qu’il tire du monde, du fond de l’univers et du fond de lui-même où se projette tout l’univers. Il doit se retourner lui-même comme un gant et plonger dans cette matière du moi, du je, du ça et du reste, et pister et traquer, lancé à la poursuite des rêves. Et alors toutes les puissances du ciel et de la terre sont à sa disposition. Il en use et il en abuse. Il joue avec le feu. Il ne fait que jouer avec tout ça. Il ne prétend pas influer sur le monde comme un shaman. Il se tient à un fil. Il ne tient qu’à un fil. C’est tout. Il faut le voir à l’œuvre. Il joue tous les personnages, princesse, prince, mendiant, singe, monstre, sans mettre les costumes, sans se maquiller le visage, tous les uns après les autres avec les intonations, les démarches, les mimiques, les grimaces… Et puis les paysages, les décors… Souvent il psalmodie. De ces rythmes divers sur lesquels il s’appuie, des modulations montent et ouvrent des portes élastiques et déformables, comme des volutes de fumée. Il fait parfois un peu le pitre avec sa langue. Mais il ne blesse personne. Il ne met personne à l’écart. Chacun écoute avec ses oreilles. Et puis il redevient sérieux. On voit bien que ça sort de lui. Que ça lui sert. Peut-être essaie-t-il de se connaître en se confrontant à ces histoires? Et nous aussi? Mais en même temps on sent bien que ça se sert de lui. Il est entre les mains de quelque chose qui lui sort des mains. Il est entre les dents de quelque chose qu’il a entre les dents. Et eux autour de lui, ils se sont arrêtés un moment, se sont posés, ont écouté, ont respiré et sont repartis en silence et en meilleure forme. Ce qu’il disait faisait comme un miroir devant eux où ils se voyaient, se regardaient et se reconnaissaient. Il leur a peut-être transmis des vérités qui proviennent des siècles, des manières de faire espoir, des nouvelles connaissances qui s’inventent au fur et à mesure qu’il parle. Ni fou, ni simplet, ni enfant, ni sorcier, plutôt sourcier, il est au cœur du monde sous les apparences et il veille. Il est en quelque sorte le maître du trésor sans fond, intarissable. Peut-être se dit-il en lui-même: – Tout est là, tout est présent, c’est certain. Mais je dois persévérer, je vais bien un jour percer le secret, apprendre la révélation finale, trouver enfin la clef des champs et disparaître et m’évanouir dans l’azur. Alors on pourra dire: Il était une fois, ici et maintenant, vous, moi et un vieux bonhomme tout gris qui racontait des histoires pour faire rêver tous ensemble, et qui, une nuit, en touchant le fond, a rebondi jusqu’aux étoiles.

André BENEDETTO

TEXTE ET NAUSEE

Un texte n’est pas fait pour donner la nausée. Quel auteur pourrait bien avoir cette idée absurde? Non, un texte n’est pas un instrument de torture, il n’est pas fait pour gaver des comédiens. Il n’est pas fait pour être avalé, ingurgité, régurgité, ravalé et dégluti, pâtée immonde comme une punition. On n’a pas à le transformer en vomissure pour obtenir on ne sait quelle perte de conscience, quels réflexes imbéciles, quelle possession ou quelle dépossession bénéfique pour la comédienne ou le comédien, quel anéantissement pour atteindre on ne sait quel mystère qui ne fascine que les crétins, les vieilles idiotes et en général tout les gens qui se prennent pour des artistes, les pauvres! Il est plutôt donné lui-même comme mystère à explorer. Il n’est pas une drogue riche de promesses non tenues. Il est une lumière, une bénédiction, un moyen de visiter des personnages et de se visiter soi-même par la même occasion, sans chercher la souffrance mais plutôt le plaisir. Les plaisirs supérieurs de l’esprit, évidemment. Un texte est un outil d’investigation d’une extrême subtilité. C’est pour cela qu’il faut le lire et le relire. Et le passer à l’italienne qui est une sorte de radioscopie. Essayer de faire monter tous ses sens à la surface. Et le lire parfois très vite pour le voir sous un autre aspect et apercevoir encore d’autres couleurs, d’autres sens, dissimulés sous les sens apparents. Et l’apprendre par cœur, c’est reprendre ce travail de recherche dans les moindres détails. Voir comment tout s’enchaîne et s’écrit. Entendre chaque syllabe et prendre plaisir à l’articuler. C’est l’érotisme de la buccalité. Bien sûr parfois on souffre un peu, mais qu’est-ce que cette souffrance auprès de la jouissance de la profération, de la mise en mouvement des os, des nerfs, des muscles? Et de cette tentative sans cesse relancée pour essayer de dire ce qui paraît le plus évident. Et à chaque représentation tenter l’impossible de réussir à dire enfin au plus près de la clarté. Et tout ce travail il s’agit de le faire froidement en tenant le texte de loin pour bien le voir, pour y voir clair, et loin, avant de se lancer dans les vagues. A.B.23XI04

LE SPORT PORTE EN LUI LE RACISME COMME LA NUEE PORTE L’ORAGE

On s’est ému que deux joueurs de football « aient été molestés et injuriés par des supporteurs uniquement à cause de la couleur de leur peau ». On a pris une mesure immédiate! Désormais les joueurs de L1 porteront, avant le coup d’envoi de chacune des dix disputes, des T-shirts arborant deux slogans: « Non à la violence! Non au racisme! » Ensuite ils enlèveront, on suppose, le T-shirt et entreront sur le terrain pour la dispute! Et le jeu se déroulera comme il se déroule d’habitude… Cette mesure est inutile. On verrait bien mieux les joueurs revêtir des combinaisons intégrales blanches ou noires, avec gants, cagoules, masques de manière à cacher complètement leur peau, et qu’ils soient ainsi inidentifiables. Sauf à voir, les bleus et les rouges, leur appartenance à une équipe. Ainsi les supporteurs ne pourraient plus faire pression sur eux. Car il n’est pas prouvé que ces supporteurs soient racistes. Le racisme pour eux, dans ce cas, n’est pas une fin en soi mais un simple moyen. Un moyen de gagner. Eh oui! Ils veulent que leur équipe gagne. Ce que tout le monde trouve normal, logique, honorable. Ils utilisent donc toutes les armes qui sont à leur disposition pour déstabiliser l’équipe adverse. Et sans penser à mal! Innocemment peut-être! Ils estiment que c’est de bonne guerre. Et bien sûr on imagine l’effet désastreux que des insultes racistes peuvent avoir sur des joueurs exposés sur un terrain à la vue de tous. Mais que voulez-vous, il faut gagner! C’est la dure loi du sport, la loi du profit, la loi des parts de marché, la loi de la publicité sur les maillots… La loi du sport: Gagner, porte donc en elle le racisme tout simplement. C’est terriblement logique! Il ne s’agit sans doute pas d’arborer des slogans moraux, mais peut-être d’apprendre à perdre. Perdre! Le mot le plus difficile à comprendre à notre époque! Perdre! On a perdu! On a perdu… Ceci dit, peut-être que ces supporteurs là sont effectivement racistes! André Benedetto N.B. Un porteur, un gros porteur, un transporteur… Pourquoi pas un supporteur?