Pèlerinage à l’olivier

Pèlerinage de nuit à l’olivier, Tavel 2013, récit apocryphe.

Décor posé: Une toile peinte, la ronde de nuit de Rembrandt

Là, nous passons devant ce qui fût la maison de Jean-Marie Lamblard, qui a été la cheville ouvrière de la Compagnie des Carmes à ses débuts et qui vivait ici avec son frère et ses parents.
Cortège sombre dans la nuit nocturne. Suite funèbre ou messe noire? Nous sommes le dimanche 27 octobre 2013 à Tavel. Dans un temps qui pour moi est un temps chimérique dans lequel je suis une ombre projetée dans un espace immatériel qui ne m’appartient plus. Frances nous a affublés , Guy L. et moi-même, d’un flambeau minuscule pour éclairer la route.
Nous longeons les poulaillers. Derrière il y avait le labo photo de Jean-Marie et un millier de pintades en semi liberté. J’entends sans magnétophone la voix de son frère Yves disant son poème « le soleil et la pluie», j’entends cette voix éraillée qui était traversée d’éternité et croisée avec le son de la corde bourdon d’une vielle à roue, une voix monodique qui psalmodie un cri doux et saturé d’oiseau des marais.
Claude G. n’est pas venu participer à cette étrange cérémonie. Je suis seul à connaitre cela. Avec le flambeau, je pense que le sort me désigne comme le dernier gardien des enfers, de la crypte. Nous passons. La voix d’Yves continue le poème. C’est un poème d’amour inouï. Il était inspiré d’un autre, comme un repeint. Mais il était cousu d’un fil invisible. Chaque lettre tracée avec des trous d’épingle dans le papier quadrillé d’un cahier à spirale, surpiqué par le temps passé à faire cicatrice entre les lignes. Il est un temps sans tempo et sans bord, il est avant nous et longtemps après toujours…
Nous nous dirigeons vers un olivier planté en hommage au Poète Benedetto dans ce qui était un terrain vague à l’époque. Là où nous faisions fêtes et méchouis. Là où des italiens de Spolète avaient joué en 1968 un Œdipe peut-être avec les colonnes du fond, là où commençaient herbes folles et caillasse.
Plus personne pour attester de cela, le dernier à parler.La jeune femme se cale sous l’olivier son texte à la main, un poème d’André sur les arbres, un poème modeste.
G. de l’autre coté, un peu en recul, fait la symétrie. En Géorgie j’ai vu ces sortes de cariatides baroques portant flambeau et soutenant la voûte à l’entrée des théâtres. Maintenant, nous soutenons à peine l’indiscutable nuit.
Je me suis planté là derrière elle à coté de l’arbre pour éclairer sa feuille avec mon allumette.
C’est une jeune actrice étonnante de verdeur dans la voix et d’une épure totale dans les artifices. Elle est des Cévennes. Elle ne sait pas qu’elle sait. Elle est à l’aube de sa vie. Un coup elle montre l’olivier, un coup elle désigne la nuit. C’est tout pour la chorégraphie.
Je titube dans l’immobilité, avec cette flamme qui vacille.
Elle va jusqu’au bout de son chemin sans faiblir. Elle a une pointe d’accent dont elle joue sensiblement. Les mots sont en suspens dans l’air, sans corps, tracés. Il y a des odeurs de terre cramée par le soleil et de garrigue dans sa voix. Elle pioche elle lutte avec ce texte. Elle sait qu’il faut cela pour tirer du vin de ces contrées arides, que ce n’est jamais gagné. Elle sait cela depuis toujours. Personne ne le lui a appris. Elle sait cela.
Le guetteur ferme un œil, je ne suis pas seul à savoir, finalement.
Ces emballements oniriques qui nous traversaient alors ici même et que le noir enveloppe à tout jamais, invisibles aux yeux de tous, dont nous marquons la clôture en cet instant, la nuit nocturne, la nuit des paroles, l’envers du mourir, les lèvres suspendues à la nuit, prophétie pour des lucioles.
Mais cette actrice finalement, elle est rieuse, elle parle aux ombres mais elle s’en fout, elle a la vie devant elle, pleine de promesses.
Elle pourrait s’être extirpée des sabbats nocturnes qui se tenaient là sous ses pieds il y a longtemps et y retourner danser après, incognito,
mais non, elle est détachée de cette tâche.
Elle dit à peine, mais c’est entre les mots qu’elle lit, c’est entre les dents du verbe, je vous délie également de tout.
Tout flottement égal.
Les arbres restent et les oiseaux volent de branche en branche, tant que nous parlons des fous aux pierres et aux farfadets.
Foin des cataplasmes mais remède quand il n’y a plus de remède, le conte, le théâtre des lieux, le théâtre hantique, les paroles de vent, la veille, les simagrées.
Tourmenter et puis soigner et puis s’éloigner, finalement.
Le gardien stoïque du temple de l’oubli éteint son sémaphore.
« le veilleur de nuit tambourine
Nous nous reposerons ».
La nuit est claire,
Finalement.
Et c’est enfin la fin d’un épisode daté approximativement, difficilement cerné, inachevable

( épisode tel quel ).
JMP /28 /10/2013